Référendum grec : une irresponsabilité choquante edit

Nov. 2, 2011

Après être parvenus de justesse à s’entendre jeudi à l’aube sur un plan destiné à sortir la zone euro des turbulences – le troisième en un peu plus de six mois – les Européens viennent de voir le Premier ministre grec Andreas Papandreou prendre le risque de réduire à néant leurs efforts en soumettant à un référendum le compromis en question.

Sur le plan interne, la décision de celui-ci peut sans doute se comprendre comme une façon de mettre chacun – responsables politiques de la majorité et de l’opposition, bien sûr, mais aussi l’ensemble des citoyens – face à ses responsabilités. Sur le plan européen, toutefois, cette décision est d’une irresponsabilité choquante. Voici le gouvernement d’un pays porté à bout de bras depuis deux ans par les autres membres de la zone euro – dont certains sont pourtant moins riches – qui, pour se refaire une légitimité, prend le risque de compromettre par des décisions unilatérales la stabilité de l’ensemble de l’économie européenne. Le grand manteau de la démocratie, dont s’est paré M. Papandreou lors de sa courte allocution devant le Parlement grec, ne doit pas faire illusion. Certes, les Grecs auront la parole, mais ce ne sera pas le cas des plus de 260 millions d’habitants qui peuplent les autres pays de la zone euro, dont le destin sera pourtant en jeu dans ce vote. À nouveau, on voit qu’organiser au niveau national un referendum sur des enjeux européens équivaut à prendre en otage ses partenaires.

Passons sur le fait qu’annoncer maintenant une consultation qui n’aurait lieu qu’en janvier est totalement surréaliste. On voit mal comment dans l’attente les acteurs publics et privés, nationaux et européens, qui sont censés mettre en œuvre les décisions de la semaine dernière pourraient bouger. Pourquoi continuer à prêter à la Grèce si celle-ci s’apprête à faire défaut ? Passons aussi sur le fait que M. Papandreou a choisi de faire cette annonce au moment même du passage des consignes entre Jean-Claude Trichet et Mario Draghi : on pouvait difficilement rêver mieux pour ajouter à l’incertitude.

En revanche, au-delà du caractère manifestement inadapté de l’instrument référendaire à ce genre de situation, l’épisode grec met en lumière une faiblesse structurelle dans la construction européenne. Pourquoi, depuis le début, l’Union européenne peine-t-elle à répondre à la crise qui l’affecte, accouchant toujours in extremis de plans qui se révèlent dépassés avant même d’être mis en œuvre ?

La réponse tient à la façon dont elle est gouvernée. Depuis le début de la crise, les chefs d’État et de gouvernement, au premier rang desquels, nul ne peut l’ignorer, on trouve M. Sarkozy et Mme Merkel, sont à la manœuvre On ne peut pas leur reprocher de chercher à protéger les intérêts de leur pays : c’est précisément pour cela qu’ils ont été élus. Mais il y a des limites structurelles à ce que peut permettre de réaliser un système de gouvernance conçu de la sorte. Intérêts particuliers et intérêts collectifs ne coïncident pas toujours, et la somme des premiers ne correspond pas nécessairement à l’intérêt général. C’est particulièrement vrai lorsque l’accord de tous est nécessaire puisqu’un seul membre peut, pour des raisons qui lui sont propres, mettre en danger le bien commun, comme on vient de le voir.

À ces faiblesses structurelles s’ajoute le poids des contraintes qui entravent l’action des leaders nationaux, contraintes qui se sont multipliées ces derniers temps. Une des raisons pour lesquelles il a fallu deux réunions du Conseil européen la semaine dernière est qu’entre les deux, Mme Merkel a dû demander le feu vert du Bundestag pour satisfaire aux exigences de la Cour constitutionnelle allemande. Au cours de la semaine précédente, le Premier ministre britannique David Cameron avait été désavoué par 81 parlementaires conservateurs, qui ont réclamé l’organisation d’un referendum – encore un ! – par lequel serait notamment posée la question du maintien de la Grande-Bretagne dans l’Union européenne.

Là encore, il ne s’agit au premier abord que d’exigences normales : les parlements sont là pour contrôler les gouvernements, et le pouvoir judiciaire pour assurer le respect de la règle de droit. Du reste, dira-t-on, il ne faut pas dramatiser. M. Sarkozy n’est pas outre mesure handicapé par son Conseil constitutionnel, et M. Berlusconi s’arrange toujours d’une façon ou d’une autre pour trouver les voix qui font défaut à sa majorité. On n’en voit pas moins le caractère pernicieux de la multiplication de ce genre de contraintes. Imagine-t-on ce que serait le fonctionnement de l’Europe si chacun des acteurs était soumis à des exigences constitutionnelles ou politiques du même ordre ? Non seulement il deviendrait difficile de s’entendre, chacun invoquant la menace, réelle ou imaginaire, d’organes de contrôle ou de l’opinion, mais la crédibilité de l’ensemble du système serait réduite à fort peu de chose, toute décision – surtout les plus importantes, qui sont souvent les plus contestées – étant susceptibles d’être remise en cause au niveau national. La somme de décisions individuelles rationnelles peut aboutir à un résultat qui, lui, ne le sera pas.

La faiblesse systémique de l’Europe des États que nous connaissons tient avant tout à ce que l’on pourrait appeler un problème de niveau. Le pouvoir y est détenu par des responsables politiques dont la mission première n’est pas de la gouverner (ce n’est pas pour cela qu’ils ont été élus), dont le comportement est régi par des règles qui mettent au premier plan l’intérêt national, et dont la carrière est tributaire des choix d’une partie seulement des électeurs, ceux de leur propre pays.

Imaginerait-on de confier le gouvernement de la France à un aréopage composé des présidents des 22 régions décidant à l’unanimité ? On voit bien ce qu’une telle solution aurait d’incertain et de dangereux. Et pourtant on semble s’accommoder d’un système de même nature pour l’Europe.

Pourquoi cette différence de traitement ? Parce l’on estime normal de voir aux premières loges les représentants des États, auxquels s’identifient au premier chef la plupart des Européens. Cela semble logique. Encore faut-il s’assurer que ces représentants soient amenés à préférer la collaboration à l’action unilatérale. C’est le sens profond de l’instauration de systèmes de votes à la majorité, qui les forcent à s’entendre, même s’ils choisissent la voix du consensus. Il faut également doter des institutions autonomes du pouvoir d’agir au nom de l’intérêt commun, parce que le concert des États n’y parvient pas toujours, on l’a vu, et leur permettre d’agir de façon efficace.

Ce n’est pas par hasard que la Banque Centrale Européenne, qui répond à ces conditions, a joué un rôle décisif à plusieurs reprises depuis le début de la crise. Gageons qu’il en ira encore de même dans le futur – par défaut, serait-on tenté de dire. Mais à l’évidence, cela ne pourra suffire. Si elle entend sortir de l’ornière, la zone euro va devoir trouver autre chose que les seules réunions des chefs d’État et de gouvernement.