France : l’étrange débat européen edit
L’Europe est devenue un thème central de la campagne électorale française. Longtemps évitée, comme tous les thèmes qui divisent les principaux camps, elle s’impose désormais comme un élément incontournable de l’affrontement entre Nicolas Sarkozy et François Hollande. Non pas que ceux-ci l’aient souhaité mais simplement parce qu’ils sont bien forcés d’accepter la réalité : la crise est européenne ; seuls, les États ne peuvent pas y faire face.
Lorsque l’on regarde de plus près la façon dont les thèmes européens sont abordés, deux constats s’imposent : les louvoiements auxquels se livrent les deux premiers candidats et la multiplication des couacs dans leur camp.
Dans le discours qu’il a prononcé à Toulon la semaine dernière, Nicolas Sarkozy a certes martelé avec insistance les thèmes qui inspirent sa politique européenne depuis son élection. Volontarisme : l’Europe doit être renforcée ; elle doit être « politique » et protéger ses citoyens. Éloge de la souveraineté partagée, mais méfiance envers toute velléité de contrôle supranational : on ne peut se résigner au « pilotage automatique qui ne fait qu'appliquer aveuglément les règles de la concurrence et du libre-échange». Maintien de la ligne gaullienne de toujours : foin de l’Europe fédérale, source de « vieilles querelles » : « C'est par l'intergouvernemental que passera l'intégration européenne parce que l'Europe va devoir faire des choix stratégiques, des choix politiques. » Même s’il est bien forcé que reconnaître que jusqu’à présent, cela n’a pas suffi : « l’Europe a déçu » par ses atermoiements et son incapacité à mettre en œuvre ses propres décisions (« pas assez vite, pas assez loin, pas assez fort. ») Concession aux thèses allemandes, il accepte toutefois la nécessité d’une plus grande discipline budgétaire, avec « sanctions plus rapides plus automatiques et plus sévères », qui forment l’essentiel du projet de réforme qu’il a présenté lundi avec Mme Merkel.
Derrière ces principes quelque peu contradictoires, on retrouve un des leitmotiv de la politique européenne de la France : oui à une Europe forte… à condition qu’elle ne soit dotée que d’institutions faibles. Certains dans la majorité, surtout sur sa droite, enfoncent le clou avec vigueur. Les hérauts de la Droite populaire, un des courants du parti présidentiel, dénoncent pêle-mêle les velléités d’ « intrusion monétaire » de l’Europe (Lionnel Luca), sa « vision comptable » et son « intégrisme monétaire » (Jacques Myard).
À gauche, les choses ne sont guère plus claires. Soucieux de consolider son image présidentielle, François Hollande, lors de ses récents déplacement à Bruxelles et à Berlin, n’a remis en cause ni le principe d’un renforcement de la discipline budgétaire, ni son corollaire – la nécessité de faire respecter les règles. Il a toutefois rejeté toute idée « d’intervention du judiciaire dans la formulation d’une politique budgétaire nationale » et plaidé en faveur d’un « saut fédéral » et d’un « pacte de responsabilité, de gouvernance et de croissance » , avec la mise en œuvre rapide du fonds européen de stabilité financière, d’euro-obligations, et un rôle plus actif de la BCE ¬– positions qui épousent celles du gouvernement. Mais sur sa gauche, le discours est plus musclé, la palme étant âprement disputée entre Arnaud Montebourg, avec sa saillie sur «la politique à la Bismarck employée par Mme Merkel », et Jean-Marie Le Guen, qui évoque, lui, le fantôme de Munich.
De part et d’autre de l’échiquier politique, on retrouve donc la même constellation. D’un côté, des candidats qui acceptent les termes du débat imposé par l’Allemagne, tout en cherchant à affirmer leur différence – crypto-souverainiste pour Nicolas Sarkozy, néo-keynésienne pour François Hollande— ; de l’autre, des grognards qui ne répugnent pas à la provocation. Comment expliquer ces contradictions apparentes, et la remarquable symétrie entre les deux camps ? La réponse est simple : en campagne électorale, les candidats se doivent de tenir compte des attentes de l’électorat. Or celui-ci est singulièrement partagé.
Une enquête Sofres TriElec récente nous permet de mieux comprendre les ressorts de ce multi-positionnement. Lorsqu’on les interroge sur la meilleure façon de faire face efficacement aux grands problèmes des années à venir, les Français se montrent prudents : ils ne sont que 39% à accepter l’idée de renforcer les pouvoirs de décision de l’Union européenne, une nette majorité (54%) préférant le maintien de la souveraineté nationale, même si cela doit conduire à limiter les pouvoirs de décision de l'UE. Mais ce verdict clair cache des nuances importantes. Ainsi, les sympathisants des deux principaux candidats se montrent plus pro-européens que la moyenne, et dans une proportion semblable (près de 44 %). Ils doivent cependant tenir compte de la situation dans l’ensemble du camp qu’ils espèrent rassembler au second tour. Cela complique singulièrement leur tâche puisque les réservoirs de voix potentiels sont généralement beaucoup plus frileux à l’idée de nouveaux transferts de pouvoirs: le souverainisme frôle les 80 % parmi les sympathisants de Marine le Pen ; il les dépasse chez ceux de Jean-Luc Mélenchon.
Ces données nous permettent de comprendre deux choses. D’abord, la prudence des deux principaux candidats, tiraillés entre le réalisme politique et le souci de leur image, qui plaident en faveur d’un accord avec l’Allemagne, et le peu d’entrain que manifestent les électeurs pour le changement. Ensuite, les discordances entre modérés et ultras que l’on constate dans chaque camp répondent au besoin de parler à deux électorats différents : d’un côté les sympathisants des partis de gouvernement ; de l’autre ceux de partis anti-système au souverainisme prononcé.
Certes, il ne s’agit là que d’un sondage, et beaucoup de choses pourraient encore changer au cours de la campagne. Néanmoins, sur cette base, les interlocuteurs de la France ne doivent s’attendre ni à de grandes initiatives lancées par les deux principaux candidats, ni à voir disparaître les sorties populistes à la Montebourg.
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