Un nouveau départ pour la présidence Macron: à quelles conditions? edit

11 mars 2019

Si Emmanuel Macron souhaite renouer le fil de son mandat, il importe de comprendre ce qui a rendu possible son élection.

Sur le plan idéologique, cette élection représentait tout d’abord la victoire du libéralisme. Non pas le « néo-libéralisme » caricatural, mais le libéralisme politique des Lumières (la protection des libertés est prioritaire et suppose à la fois la garantie et l’impartialité de l’Etat) et le libéralisme social et économique de la tradition scandinave (un système économique visant à garantir une concurrence équitable tout en protégeant les personnes). Plutôt que de faire référence au libéralisme, Emmanuel Macron a souligné que ce positionnement politique était dans la droite ligne des valeurs de la République et de l’UE.

Ce positionnement est traditionnellement marginalisé par trois forces politiques rivales : la gauche (libérale politiquement et sur le plan des moeurs mais dans une large mesure opposée au libéralisme économique), la droite (libérale économiquement mais majoritairement non sur le plan sociétal, donnant la priorité à la sécurité et aux mœurs traditionnelles sur les libertés individuelles) et les extrêmes (illibéraux sur les plans politique et économique). Or, en dépit de la victoire de la République en Marche et du Modem aux élections législatives, le socle idéologique « libéral » d’Emmanuel Macron reste minoritaire. Le « macronisme » pourrait bien rester une parenthèse sans lendemain, comme ce fut le cas avec Matteo Renzi en Italie.

Sur le registre de l’incarnation, la force d’Emmanuel Macron a été de mobiliser et d’unifier l’électorat libéral. Il a su pendant la campagne incarner avec beaucoup de talent et de conviction le corpus de valeurs libérales qu’il défendait. Dans une campagne marquée par les scandales, il a su mettre au cœur de son programme l’éthique en politique. Sur l’Europe, il a fait le pari qu’il était possible de gagner une élection en affichant son engagement pro-européen. Cette ambition réformatrice s’accompagnait aussi d’autres valeurs chères à son électorat (où l’on retrouve chrétiens de gauche, démocrates-chrétiens et centristes modérés de gauche ou de droite) : la bienveillance (c’est-à-dire le souci de l’autre), la reconnaissance des erreurs (c’est-à-dire une forme de modestie) et un discours positif (le refus de la politique du ressentiment).

Sur le plan enfin de la structuration politique, pendant la campagne électorale, Emmanuel Macron s’est appuyé sur des idées venues de la société civile (par exemple sur l’importance de l’éthique en politique ou encore sur le thème de l’ « Europe régalienne » devenue « Europe souveraine ») et sur une campagne de terrain (avec les « Marcheurs »). Cela a apporté une part d'innovation et de fraîcheur à la campagne politique. Le caractère « disruptif » d’Emmanuel Macron a également conduit à promouvoir des formes de participation politique horizontale qui ont pu séduire ses électeurs dans un contexte de défiance, y compris chez les citoyens modérés, vis-à-vis des formes verticales de structuration politique et partisane.

Comment Emmanuel Macron a-t-il perdu le fil de son électorat?

Le comportement d’Emmanuel Macron dans l’exercice du pouvoir est celui qui a le plus évidemment agacé voire exaspéré l’opinion publique. Ses petites phrases ont donné l’impression de mépris ou encore d’un complexe de supériorité d’un « premier de classe », assez caractéristiques d’ailleurs aussi d’une partie de son entourage (l’exemple emblématique étant le président du groupe LREM à l’Assemblée nationale regrettant « le fait d’avoir probablement été trop intelligents, trop subtils »). Cette tendance à lâcher des petites phrases blessantes qui tranche avec l’idée de « bienveillance » qui caractérisait sa campagne conforte les craintes de ceux qui s’inquiètent de la « déconnexion » du Président. Y compris dans son entourage, tel l’hubris dénoncé par Gérard Collomb avant de démissionner de ses fonctions ministérielles. Il semble s’inscrire dans un continuum monarchique, tant dans sa conception verticale du pouvoir que par l’utilisation de symboles, tels Le Louvre, Versailles et les cahiers de doléance. Cela apparaît en contradiction avec l’identité républicaine et libérale qu’il a promue.

Concernant les structures politiques sur lesquelles le Président s’appuie, le déséquilibre est flagrant entre la faiblesse de la dimension politique du système mis en place par Emmanuel Macron, d’un côté, et le rôle joué par la haute administration (cf. « La République des technocrates », Telos, mai 2018), de l’autre. Le gouvernement dirigé par Edouard Philippe est majoritairement composé d’experts qui peinent à donner un sens politique à leur action et la majorité parlementaire est composée essentiellement de novices dont le poids politique est très relatif ; d’où la grande solitude politique du Président révélée par la crise des Gilets jaunes. Le manque de diversité dans les cabinets ministériels, et plus généralement dans la pratique du pouvoir du président de la République qui s’appuie quasi exclusivement sur les grands corps, prête d’autant plus le flanc à la critique d’une pratique élitiste du pouvoir. Cela conduit à un manque d’ouverture sociologique, idéologique et opérationnelle et entrave l’ouverture de la sphère administrative à la société civile qu’il prétendait incarner face aux tenants du système politique.

Cette faiblesse de la dimension politique est accentuée par l’absence de transformation d’En Marche en véritable parti politique, et l’isole des relais locaux et des territoires extérieurs aux grandes métropoles. Les comités LREM se heurtent à trois obstacles : le manque d’autonomie (pour éviter la constitution de baronnies), le manque de moyens et la défiance, ces dernières étant liées à la gratuité de l’adhésion. Cette organisation est hyper-centralisée et pyramidale, en contradiction avec la politique proposée durant les campagnes présidentielle et législative, ce qui démobilise les militants.

On peut espérer enfin que les réformes menées en début de mandat produiront des résultats en matière d’emploi et d’activité qui seront portés à son crédit. Mais le début du mandat d’Emmanuel Macron n’a pas été complètement cohérent, en termes de priorités, avec le socle idéologique qui les fonde. Outre une réforme de la SNCF (qui ne figurait pas dans le programme présidentiel) politiquement coûteuse, la politique budgétaire a été confuse : absence de baisse des dépenses (les réformes structurelles étant prioritaires), mesures fiscales incomprises (CSG, ISF ou encore taxes sur le carburant) et immixtion dans le financement des collectivités locales (taxe d’habitation). Ces mesures, ont conduit à un ras-le-bol des Français qui n’est pas entièrement étonnant au vu de la pression fiscale en France qui est la plus élevée dans l’Union européenne (48,4% du PIB en 2017). Cela suppose des choix plus explicites et mieux expliqués sur la répartition de l’effort fiscal ainsi que sur les priorités (et les réductions) de la dépense publique. Enfin, si le Président souhaite promouvoir un libéralisme économique et social à la scandinave comme c’était son objectif pendant la campagne, il ne peut en ignorer les conditions de possibilité : le développement de systèmes de retraites et sociaux moins catégoriels et plus universels. A défaut, à chaque fois qu’il s’agit de conduire une réforme de ces systèmes, ce n’est pas d’une mais de multiples réformes dont il s’agit, mobilisant des ressources politiques et administratives considérables et créant le doute de chaque catégorie d’être moins bien traitée que les autres.

Un nouveau départ est-il possible pour Emmanuel Macron?

En Marche s’est présenté aux élections avec un programme et un candidat cohérents dans leur démarche disruptive mais avec comme contrepartie un manque de maturité politique. Et un soupçon d’arrogance : c’est le propre des start-up, comme des révolutionnaires, de croire que le monde, fût-il nouveau, est né avec elles/eux. Entre la campagne et l’exercice du pouvoir il y a un changement de dimension qui doit être acté : structures (assumer qu’En Marche devienne un parti), expérience (y compris politique) de ceux qui définissent et portent les politiques publiques et enracinement (prise en compte des sensibilités locales) sans lequel les politiques publiques ne seront ni comprises, ni admises. Emmanuel Macron doit aussi démontrer qu’il est capable d'ouvrir les postes à responsabilité à d'autres personnes que celles issues de la haute fonction publique et des grands corps de l'Etat. De multiples talents représentatifs de la société française sont aujourd’hui ignorés. Pour mémoire, le Président avait pris cet engagement quand il était candidat : « construire une société de mobilité plutôt que de statuts ». Il devrait enfin renouer avec la dimension « girondine » de la tradition libérale française, en relançant la décentralisation et assumant des solutions asymétriques, adaptées aux spécificités locales, ou encore en encourageant l’expérimentation et l’innovation territoriales.

Le brio et la verve macroniens ne sauraient compenser l’absence de clarification idéologique. Emmanuel Macron souhaite incarner une voie indépendante et libérale. Toutefois, le libéralisme, en France, c’est le centre et le fait majoritaire de la Ve République a réduit ce dernier à un simple auxiliaire du bipartisme socialistes/gaullistes. En ce sens, le « macronisme », en autonomisant ce centre, incarne une rupture avec ses prédécesseurs, mais aussi un continuum avec le mandat de Valéry Giscard d’Estaing qui avait également conquis le pouvoir « par effraction », en profitant d’un affaiblissement conjoncturel de la droite. Pour sortir de la logique d’un centre libéral qui réussit « par effraction », et donc par fulgurance, Emmanuel Macron doit démontrer que l’alliance du libéralisme et du social répond structurellement aux attentes d’une partie significative de la société, entre le besoin de liberté et d’efficacité et la nécessité de répondre à une insécurité économique et identitaire croissante. Le libéralisme n’est pas l’ennemi de l’ordre et de l’autorité ; au contraire, sans règles (et la possibilité de les faire observer), il n’y a pas d’équité possible ni in fine de justice et d’efficacité économique et sociale. Le Président doit aussi accepter de nouer des alliances avec ceux dont il partage les convictions, à gauche comme à la droite, plutôt que de chercher à faire le vide entre le centre et les extrêmes.

Enfin, Emmanuel Macron doit se garder de conceptualiser son action sur le fondement de la seule opposition entre « progressistes » et nationalistes qui est inadaptée, risquée voire potentiellement dangereuse. Elle est inadaptée car elle ne correspond pas à la complexité des clivages qui structurent aujourd’hui la vie politique européenne ; en outre, ce serait une erreur d’assimiler les « progressistes » (notion vague qui est insuffisante pour definir une identité politique solide et qui mériterait donc d’être clarifiée) aux seuls partisans de la construction européenne : parmi ces derniers on trouve par exemple des adversaires du libéralisme culturel qui défendent des positions « conservatrices » sur le registre des valeurs sociétales. Elle est risquée car elle donne aux leaders nationalistes et « illibéraux » un espace politique considérable. Et elle est potentiellement dangereuse car elle crédibilise l’idée que les nationaux-populistes et les extrémistes constituent la seule alternative politique au « macronisme » ; dans une telle situation, que se passera-t-il si LREM perd les élections européennes ou même les gagne d’une courte majorité ? Comment ce résultat sera-t-il interprété en France et à travers l’UE, si cette polarisation s’impose dans les esprits ?

Si Emmanuel Macron ne parvient pas à démontrer en quoi son positionnement centriste s’inscrit dans les valeurs communes et structurantes de la société française, et légataires d’une tradition en ce sens, la méfiance générée favorisera le basculement du pays vers son contraire, le national-populisme souverainiste et illibéral, à l’instar d’autres démocraties occidentales.

L’Europe est un marqueur de la victoire présidentielle et le domaine par excellence pour expliciter les choix économiques du gouvernement. La France n’a pas mis en place les réformes dites structurelles prônées par l’UE et qui ont permis de réduire significativement le chômage, de réduire l’endettement et de moderniser les économies dans de nombreux pays. Les Gilets jaunes sont, au moins en partie, une expression de l’exaspération produite par des dépenses excessives et inefficaces : les uns se plaignent que le travail ne paie pas et qu’ils sont assommés d’impôts, les autres se sentent piégés car survivant à peine grâce aux aides sociales, comme maintenus structurellement dans une situation de marginalité.

En sus de cet ADN économique, les Européens ont pu ignorer la dimension identitaire de la construction européenne. C’est parce que nous sommes réunis par un corps de valeurs et d’intérêts communs que nous prétendons constituer un espace politique commun. Cet espace n’est pas indéfini, il ne peut exister que protégé par des frontières extérieures et une politique de sécurité efficace de nature à répondre au sentiment d’insécurité sociale et identitaire croissant. Cet espace doit aussi être structuré et le principe démocratique européen par excellence, et qui fait aujourd’hui écho dans le débat public français, est la subsidiarité : la décision doit, autant que possible, être prise au plus proche du citoyen, car plus elle est éloignée de lui, plus son acceptation est difficile. C’est un principe cohérent avec la culture girondine française qu’incarne, sans l’expliciter, Emmanuel Macron. L’Europe doit fonctionner selon deux principes : (i) elle ne doit intervenir que si un niveau inférieur ne le peut pas efficacement et (ii) là où elle intervient, elle doit disposer des moyens adéquats.

Alors que l’action politique est entravée par un climat de contestation, les élections européennes sont l’opportunité d’ouvrir un nouveau cycle politique. L’erreur serait de ne pas corriger, en profondeur, les insuffisances révélées par le début de mandat tant sur le plan du comportement et de la communication présidentiels, de la structuration politique que du socle idéologique. L’erreur serait aussi de se rassurer du fait d’absence d’opposition crédible. Les exemples britannique et italien démontrent que la politique du « moi ou le chaos » n’est jamais pérenne. Les passions tristes qu’Emmanuel Macron avait su combattre avec succès durant la campagne présidentielle sont aujourd’hui exacerbées et menaçantes. Afin de retrouver la confiance, revenir à l’exercice initial de vérité sur l’état du pays et les mesures nécessaires ne saurait nuire, mais cette fois en reconnaissant aux citoyens leur part dans son énonciation et ce au-delà du grand débat national...

Nous tenons à remercier vivement Jean-François Jamet et Lukáš Macek ; ce texte doit beaucoup à nos discussions. Les opinions exprimées ici n’engagent cependant que les auteurs.