Trois leçons des midterms edit

15 novembre 2018

Les élections de mi-mandat ont redonné le moral aux Démocrates, mais changeront-elle vraiment la donne ? Un bilan rapide peut s’attacher à trois points : la signification politique de ces élections, les perspectives au vu des contraintes du système électoral américain, les possibilités ouvertes à la nouvelle majorité démocrate à la Chambre.

Remettons d’abord les choses en perspective : si la Maison-Blanche avait un autre locataire que Donald Trump, les résultats n’auraient rien de surprenant. Les Démocrates ont remporté entre 35 et 40 sièges à la Chambre, un succès certes, mais rien d’inhabituel pour le parti qui ne contrôle pas la présidence. Les Républicains ont remporté deux ou trois sièges au Sénat, ce qui est inhabituel pour le parti du président dans les midterms, mais les calculs concernant le nombre de Démocrates à réélire (beaucoup) par rapport au nombre de républicains à réélire (relativement peu), laissaient d’emblée assez peu d’espoir aux Démocrates. Enfin, des gouverneurs démocrates ont été élus dans un certain nombre d’États, avec des gains aussi dans les assemblées législatives des États, mais, encore une fois, ce n’est pas très surprenant étant donné le nombre d’États qui étaient détenus par des Républicains. En un sens, c’est plutôt un retour à l’équilibre qu’on a constaté.

Ce qui ne s’est pas produit est tout aussi important. Le fait qu’il n’y ait pas eu dans les urnes de rejet massif de Trump en dit long. Il semble qu’environ 40 à 45% des électeurs américains le soutiennent avec enthousiasme, alors qu’environ 50-55% ne l’aiment pas, ou ne le supportent pas. Or, étant donné les défauts bien connus du système électoral pour les présidentielles, cela signifie que Trump conserve toutes ses chances lors de la prochaine élection présidentielle (bien que, toutes choses égales par ailleurs, si les Démocrates regagnaient la Pennsylvanie, le Michigan et le Wisconsin, comme ils l’ont fait lors des midterms, le candidat démocrate remporterait une victoire dans le collège électoral). Par ailleurs, compte tenu des préférences des électeurs dans chacun des 50 États, les Républicains continueront d’être surreprésentés au Sénat, où chaque État envoie deux représentants quel que soit son nombre d’habitants. En d’autres termes, le soutien d’une partie significative de l’électorat à Trump semble se maintenir et, à l’instar des candidats républicains dans de nombreux endroits, vu les particularités du système électoral américain cet appui le rend électoralement compétitif, et ce malgré le fait que les bases électorales traditionnelles des grands partis semblent avoir subi un changement significatif et probablement permanent. Les habitants des suburbs (et en particulier les femmes blanches ayant fait des études supérieures) semblent être passés du Parti républicain au Parti démocrate, tandis que les Blancs de la classe ouvrière (et en particulier les hommes blancs) ont fait un mouvement inverse. Cela dit, les élections sont remportées à la marge, de sorte que même un léger retour de la classe ouvrière blanche au Parti démocrate dans le Michigan, le Wisconsin, la Pennsylvanie et l’Ohio donnerait la victoire aux démocrates dans ces États (la même chose est vraie, dans de nombreux États, pour les diplômés vivant dans les suburbs, qui pourraient faire basculer les majorités).

Les démocrates espéraient une véritable vague qui leur aurait permis de remporter une soixantaine de sièges à la Chambre, de regagner le Sénat (ou du moins de ne pas y perdre de terrain), et de remporter d’autres postes de gouverneur, notamment en Floride et en Géorgie où étaient en lice des candidats démocrates noirs. Cela ne s’est pas produit (en Floride on se dirige vers un recomptage, mais il est peu probable que le résultat change). Les candidats noirs ont obtenu de très bons résultats et le candidat démocrate du Texas pour le Sénat a failli battre Ted Cruz, l’un des Républicains les plus contestés, mais il a échoué sur le fil. Les Démocrates n’ont pas réussi à s’emparer des postes de gouverneurs de l’Ohio, de l’Iowa et de Floride, qui semblaient gagnables. Les sondages effectués avant les élections suggéraient pourtant qu’ils avaient plusieurs points d’avance dans ces États. Les candidats trumpiens ont réalisé 2 à 3 points de plus que ce qu’indiquaient les sondages, ce qui suggère que les méthodes des sondeurs sont à revoir ou que les sondés mentent aux sondeurs parce qu’ils n’assument pas de soutenir Trump. En résumé, les Démocrates sont mieux lotis aujourd’hui qu’avant les élections. Mais Trump n’a pas reçu la claque espérée.

En ce qui concerne les implications politiques, la première est probablement la poursuite, voire l’intensification du blocage. Il est possible d’imaginer des ententes bipartites sur un certain nombre de questions, en particulier un programme d’infrastructures dont le pays a grand besoin, mais rien n’est encore signé. Le plus grand obstacle à toute action constructive sur pratiquement n’importe quoi, à savoir le « freedom caucus » de l’extrême droite qui a pris en otage le Parti républicain à la Chambre, est désormais privé de son pouvoir de nuisance. On peut s’attendre à ce que les comités contrôlés par la nouvelle majorité démocrate de la Chambre, armés du pouvoir de citation à comparaître, lancent une série d’enquêtes qui pourraient mettre Trump et ses amis dans l’embarras. Il y aura également des pressions en faveur de procédures de destitution contre le Président, mais la destitution n’aura pas lieu – elle requiert les deux tiers des voix du Sénat pour réussir, et tous les Républicains du Sénat s’y opposeraient. Une procédure d’impeachment allant jusqu’à son terme nécessiterait un soutien républicain substantiel pour être considérée comme légitime ; sans cela, elle n’aboutirait pas, et aggraverait encore l’amertume du pays, faisant de Trump un martyr. Bien sûr, si le procureur Mueller trouve quelque chose de vraiment dommageable (ce qui serait une surprise), il est possible que cela change.

En plus des enquêtes, la Chambre à majorité Démocrate pourrait suivre deux voies, qui ne s’excluent pas mutuellement. D’abord, elle pourrait discuter et adopter une loi « progressiste » qui serait morte à son arrivée au Sénat. Cela donnerait des arguments à un candidat démocrate à la présidence et, s’il était élu, à un président démocrate après 2020. Cela aiderait à définir une orientation politique et servirait à « éduquer » le public. Mais la discussion d’une telle loi pourrait aussi être considérée comme une attitude oiseuse et, compte tenu de la dynamique de la nouvelle majorité démocrate à la Chambre, cela pourrait ouvrir la voie à l’adoption de toute une série de loi irréalistes, incapables de passer l’obstacle du Sénat. Deuxièmement, il s’agirait d’essayer d’adopter une loi de réforme structurelle, particulièrement en ce qui concerne les élections. La priorité absolue serait ici de rétablir certaines dispositions de la Loi sur le droit de vote, dispositions que la Cour suprême a vidées de toute substance il y a plusieurs années, ouvrant ainsi la voie à diverses tentatives de répression visant principalement les électeurs démocrates, en particulier ceux des minorités. Il est tout à fait possible que ce projet de loi soit adopté par le Sénat, puisqu’il ne suffirait de quelques Républicains pour l’appuyer et que certains sénateurs pourraient conserver une partie de l’engagement historique du parti de Lincoln en faveur des droits civiques. Les Démocrates adopteront probablement aussi certains projets de loi sur le financement des campagnes électorales, mais le Sénat les tuera dans l’œuf. S’ils parviennent à trouver une façon plausible de le faire (ce qui est peu probable), les Démocrates essaieront peut-être aussi de s’attaquer à la question du découpage électoral. Mais là encore le Sénat bloquerait sans doute ces tentatives – sans surprise, puisqu’après tout la Chambre haute est aux Etats-Unis l’incarnation la plus connue de ce phénomène, les États ruraux sous-peuplés du mid-west envoyant au Sénat les mêmes deux représentants que des États beaucoup plus peuplés, avec un avantage net pour les Républicains.

Bref, le mieux que l’on puisse espérer, c’est que les choses ne vont pas empirer. Et vu les pouvoirs conférés au président il faut continuer à croiser les doigts en ce qui concerne les Affaires étrangères, la Défense et les aventures militaires.