Notes sur le rapport Bartolone-Winock - 1 - Un tir de fantasia edit

15 octobre 2015

« Refaire la démocratie ». C’est sous ce titre ambitieux que le comité constitué, à l’initiative du président de l’Assemblée nationale, de parlementaires (dix députés et un sénateur) et de personnalités indépendantes a publié son rapport sur la rénovation de nos institutions. Etabli sous la co-présidence de M. Bartolone et de l’historien Michel Winock, ce document a retenu toute l’attention de Telos qui présente, au fil de trois publications successives, l’analyse critique qu’il a inspirée à Jean-Louis Bourlanges, ancien membre du comité Balladur qui prépara la révision constitutionnelle de 2008. Telos se propose par ailleurs de revenir dans les prochains jours sur la proposition n°3 du rapport, relative à la modification du mode de scrutin, c’est-à-dire la seule des réformes envisagées par le « Comité BW » qui soit à la fois susceptible de modifier en profondeur les équilibres politico-institutionnels du pays et d’être aisément mise en œuvre, dans la mesure où elle suppose la simple adoption d’une loi ordinaire et relève donc de la seule volonté du président de la République, de son gouvernement et de l’actuelle majorité.

1 - Un tir de fantasia

« Refaire la démocratie » : la perspective est stimulante même si l’ambition paraît quelque peu téméraire. Les personnalités associées à cette tâche sous l’autorité conjointe de Claude Bartolone et d’un historien aussi éminent que Michel Winock sont à la fois de bonne qualité et de bonne volonté. L’ « amalgame », comme on disait dans les armées de la Révolution, des intellectuels, des représentants de la société civile et des parlementaires est en lui-même une promesse de hauteur de vues et de réalisme opérationnel. De plus, la réunion au service d’une œuvre commune de parlementaires de bords opposés offre une garantie bienvenue contre le sectarisme et l’esprit de parti. Les contributions des uns et des autres rapportées en annexe sont, dans leur ensemble dignes d’intérêt. Le rapport lui-même fourmille de constats éclairants, d’analyses stimulantes, de citations bien choisies  et de propositions parfois décapantes. 

D’où vient alors que ce rapport laisse le lecteur déconcerté et lui donne le sentiment d’accéder à un bric-à-brac d’objets hétéroclites, des objets qui, à quelques exceptions près, meublent le paysage politique depuis les débuts de la Ve République ? On y retrouve, il est vrai, de vieilles connaissances comme le référendum d’initiative populaire, le septennat non renouvelable, la fusion du Sénat et du Comité économique et social, l’élévation de l’autorité judiciaire au rang de pouvoir constitutionnel. Ces vieux amis côtoient quelques recrues d’âge moins avancé dans le débat public comme le scrutin électoral mixte, le non cumul des mandats dans le temps, la création d’"atelier législatifs citoyens" et d’une procédure de dépôt d’amendements également "citoyens", ou encore le contrôle parlementaire du président de la République  Le troisième tiers, qui n’est pas le moins intéressant, relève de la célèbre série « Les parlementaires ne parlent qu’aux parlementaires », et regroupe un ensemble de propositions relatives aux procédures en usage au sein de l’Assemblée nationale, propositions qui ont le double mérite d’être précises et bien ciblées, du fait que leurs auteurs, sans doute les membres élus du groupe BW, sont à la fois les spécialistes du sujet…et les bénéficiaires éventuels de leurs propres préconisations. Si ce déballage d'automne emporte cependant moins la conviction qu’il ne donne le vertige, c’est pour une raison simple et décisive : il souffre d’un évident manque d’unité. Nous avons à faire à une juxtaposition de mesures qui présentent séparément de l' intérêt mais qui ne sont portées ni par une vision stratégique des changements susceptibles d’être effectivement réalisés ni par une représentation claire et cohérente du système politique qu’il conviendrait d’instituer. Si riche et foisonnante soit elle, cette réflexion souffre de n’être guidée par aucun vrai fil conducteur. Le singulier exercice auquel nous convient Claude Bartolone et Michel Winock est victime d’un double défaut originel : il ne sait ni où il va politiquement ni d’où il vient idéologiquement. Il est tout à la fois incertain de ses objectifs opérationnels et de ses fondements intellectuels.

Le défaut le plus manifeste du rapport, c’est de n’être sous-tendu par aucun objectif précis. Seule en effet la contrainte de l’acceptabilité politique par les autorités constituantes ou législatives de la République permet de discipliner l’imagination réformatrice et d’en faire autre chose que « la folle du logis » qu’y voyait Malebranche.  Seule, elle permet de faire dans notre désir de changement la part du possible  et celle de l’utopie. Seule enfin, elle nous oblige à un examen précis, rigoureux, réaliste des propositions envisagées et de leurs effets directs et indirects sur le fonctionnement du système. « L'universel est l'infini de notre inattention », nous dit Bachelard. La considération des contraintes majoritaires à l’Assemblée nationale et au Sénat pour une éventuelle révision constitutionnelle et celle des intentions présidentielles et gouvernementales permettent seules de tracer le cercle des réformes potentielles.               

Le précédent de la Commission Balladur et de la révision de 2008 mérite d’être médité. Certains participants souhaitaient, à l’instar du président Balladur lui-même, orienter nos propositions vers un vrai régime présidentiel. D’autres, tel Oliver Duhamel, étaient tentés de longue date par l’établissement d’une VIe République de nature primo-ministérielle. Il était cependant clair qu’il n’y avait aucune majorité possible à l’Assemblée nationale ou au Sénat pour s’engager sur l’une ou l’autre de ces deux voies. Il est en revanche apparu que deux orientations majeures étaient susceptibles de rencontrer une majorité constituante : la correction des excès du « parlementarisme rationalisé » qui enfermaient le Parlement en général et l’Assemblée nationale en particulier dans un carcan procédural abusif, et l’octroi de nouveaux droits aux citoyens comme celui de soulever à l’encontre d’une loi en vigueur l’exception d’inconstitutionnalité. Le devoir d’aboutir a, sans nul doute, censuré le pouvoir de rêver mais lui seul a permis d’engranger lors de la révision constitutionnelle de 2008 des résultats concrets, des résultats que ceux-là mêmes qui les ont alors combattus se gardent bien de remettre en cause.

Le Comité BW se tresse des couronnes d'être la première instance de cette sorte à n'avoir été ni mandatée par le pouvoir exécutif ni truffée de hauts fonctionnaires. Dont acte. Il reste que c'est d'abord cette apesanteur qui l'a  condamné à flotter aux marges du réel, au risque de faire figure, dirait le cardinal de Bernis, de commission des limbes. Le statut, le réalisme, la robustesse des propositions se ressentent durement de l'absence de ce  formidable maître à penser qu'est l'obligation de réussir. Aucune d'entre elles n'étant vraiment conçue pour aboutir, elles participent d'un élégant tir de fantasia et peuvent se donner la liberté d'être utopiques, comme l'auto limitation spontanée du pouvoir présidentiel (proposition 6), provocatrices comme la réduction massive des pouvoirs du Sénat (proposition 10), absurdes comme l'inversion du calendrier électoral non assortie d'une suppression du droit de dissolution (proposition 7), embryonnaires comme la modification en pointillé du mode de scrutin (proposition 3), ramasse-miettes comme la propositions d'élargir la place faite (sic) « aux citoyens et aux questions européennes » (proposition 14), en abîme comme la « proposition d'étudier la proposition » d'un nouvel ordre juridictionnel pour le social (proposition 16), non admises à figurer dans la liste officielle comme la proposition d'instituer le vote obligatoire et enfin désavouées par le chef comme  l'interdiction du cumul dans le temps (proposition 1).

Le drame de cet exercice digne des Tontons flingueurs par la capacité des membres du comité à « disperser, ventiler et éparpiller façon puzzle », c'est, comme on le verra demain, que le fil conducteur d'un  diagnostic rigoureux n'a pas pris le relais du fil perdu d'une  cohérence stratégique  introuvable.