Europe, désir de durer et incapacité d’agir edit

20 juillet 2018

On croyait les sommets de la dernière chance conclus au petit matin réservés au sauvetage de l’euro quand il fallait jongler avec les fuseaux horaires pour rassurer les marchés. On croyait que les communiqués pesés au trébuchet  relevaient d’un art convenu, celui d’une communauté qui met en scène sa dynamique d’intégration non sans avoir réservé des motifs de satisfaction à chaque égoïsme national. On savait enfin que chaque dirigeant national face à son opinion publique mettait en valeur les concessions arrachées et passait sous silence les concessions accordées.

On découvre avec le sommet des 28 et 29 juin qu’une rencontre prévue de longue date pour traiter des graves déséquilibres structurels de la zone euro se mue en réunion de crise sur la question des migrants, surdéterminée par les enjeux domestiques de la coalition allemande au pouvoir, alors que le problème a perdu de son acuité réelle avec une baisse de 95% des flux de migrants par rapport au pic de octobre 2015.

Phénomène encore plus étrange, qui montre que l’Europe progresse depuis les compromis des matins blêmes de la politique agricole commune et encore davantage depuis les plans de sauvetage de l’euro, le compromis des 28 et 29 juin est littéralement illisible : que faut il comprendre des zones de débarquement hors-UE sitôt annoncées sitôt rejetées, du traitement des réfugiés secondaires réglé en bilatéral sur une base volontaire mais qui aurait permis de sauver la coalition allemande ? que faut-il comprendre du sort de l’union bancaire relancée en apparence mais toujours encalminée, que vaut l’engagement d’un budget zone euro dont le sort dépend des 27 ?  

Avant de tenter une évaluation des résultats de la réunion de Bruxelles, il faut noter que l’accord politique pour saluer « ce grand succès » a été complet, alors même que les médias perplexes cherchaient à déchiffrer les termes des communiqués.

Officiellement, le sommet de Bruxelles a accouché de deux types de communiqués : sur les migrations, les enjeux de défense et de sécurité, l’emploi, la croissance et la compétitivité, l’innovation et le numérique, d’un côté et sur l’avenir de l’union bancaire et du budget de l’autre. Ce qui pendant un an avait occupé tous les esprits, motivé trois grands discours de Macron, à savoir la réforme de la zone euro, est évoqué en mode mineur, le Brexit ne trouve nulle place dans le communiqué. Quant à la programmation budgétaire à moyen terme le communiqué final se contente de renvoyer le sujet aux consultations entre la Commission et les États-membres. Étrange bilan !

S’agissant des migrations, la pression combinée des Italiens des Bavarois et du groupe de Visegrad a abouti à un accord qui entend organiser les flux migratoires passés et présents, sur la base du volontariat, en prévoyant trois types de traitement.

Un traitement en amont dans des pays à la périphérie de l’Union pour trier les demandes et séparer le bon grain des réfugiés de l’ivraie des migrants économiques, ce qui revient à une forme de généralisation des solutions turques et libyennes. Le communiqué final insiste sur la création de plateformes régionales de débarquement opérés par le HCR dans des conditions d’humanité, conformes aux valeurs européennes et comme dispositifs anti-passeurs.

Un traitement au sein des pays de l’Union pour les migrants déjà là dans des centres d’accueil pour accélérer le traitement des demandes et humaniser  l’accueil des migrants avec l’aide du HCR le. Là aussi, c’est sur la base du volontariat et avec des aides européennes que ces centres seront créés et gérés. Le retour rapide des déboutés du droit d’asile dans leurs pays d’origine doit s’accompagner d’un effort majeur d’aide à l’Afrique.

Un traitement des migrants secondaires, « les dublinés », qui ont vocation à revenir au pays qui a instruit leur dossier de réfugié et pour lesquels des accords bilatéraux doivent être négociés. Si le Sommet n’a pu accoucher d’une solution durable, la volonté de préserver Schengen et d’éviter les mesures non coopératives des pays européens qui se repassent le mistigri conduit les états membres à rechercher des accords ad hoc. Ce fut du reste l’activité essentielle de Mme Merkel pendant le sommet de Bruxelles, que de trouver des partenaires pour renvoyer à la case départ les réfugiés dublinés. Grèce et Espagne ont accepté d’entrer dans le jeu.

Les enjeux de défense et de sécurité sont à peine évoqués, les 27 rappellent la nécessité d’une autonomie stratégique de l’Europe, confirment les engagements pris, s’engagent à les poursuivre et convoquent un sommet ad-hoc en octobre 2018.

Enfin les enjeux économiques d’ensemble sont évoqués pour mémoire avec une insistance remarquée sur les vertus du multilatéralisme commercial, la nécessité de remettre l’OMC en route, et l’impératif de la cohésion communautaire face à l’entreprise de destruction menée par Donald Trump.

La réforme de l’Eurozone tant attendue, tant préparée avec les projets Macron, Schäuble, Merkel n’avance guère à l’occasion du sommet. Certes une référence est faite à la déclaration de Meseberg signée par la France et l’Allemagne qui faisait la part belle à l’idée macronienne d’un budget zone euro inscrit dans une gouvernance démocratique européenne. Une autre est faite à l’union bancaire avec la confirmation de l’intervention du MES dans le fonds de résolution, et une dernière pour la transformation du MES en FME. Mais au lieu de faire du budget de l’eurozone un élément d’une refondation économique et démocratique de l’euro, on en revient à l’idée promue par la Commission d’une ligne budgétaire étriquée de l’UE. Le peu de substance du projet et le faible montant envisagé (20 milliards d’euros et non plusieurs points de PIB) sont compensés par l’ambition du spectre d’intervention : action contracyclique, correction de chocs asymétriques nationaux, fonds de lutte contre le chômage, fonds d’investissement dans le high tech et le numérique etc. Au lieu de libérer le MES des entraves de l’unanimité et donc du droit de veto du Bundestag pour intervenir en capital dans les banques en difficulté, on invente des dispositifs complexes de prêts du MES au Fonds de Résolution. Suprême audace saluée par le groupe des économistes franco-allemands auteurs d’un projet de réforme de l’eurozone, le communiqué entrouvre la porte du fonds de garantie des dépôts que les Allemands ne voulaient plus évoquer tant que les banques européennes n’avaient pas été débarrassées de leurs mauvais risques

Au regard de résultats aussi minces, surtout si on les met en perspective on en est réduits à se demander si l’Europe souffre d’une implosion lente à force de ne pas régler les problèmes, de ne pas appliquer les décisions prises, de ne pas sanctionner les pratiques déviantes comme si seule importait la préservation de l’outil ou si plutôt il ne faut pas célébrer son étonnante résilience qui lui permet d’avaler les crises économiques, migratoires , géopolitiques sans jamais se défaire, sans jamais renoncer en maintenant toujours un mince filet d’espoir.

Mais une absence durable de solution n’abolit pas les problèmes posés d’autant que l’actualité ne cesse troubler la tranquillité des gouvernants. L’offensive commerciale américaine et le ciblage par Trump de l’automobile allemande sera traité sur un mode communautaire ou pas. Dans le premier cas l’union douanière est préservée, dans le deuxième elle se délite. On l’a vu avec les coups portés à l’ordre démocratique qui nous est commun par les pays de Visegrad, un phénomène marginal peut faire tache d’huile et mettre en cause des valeurs qu’on croyait partagées.

Par ailleurs la crise de l’OTAN que le président Trump est en train de fabriquer met en cause aussi l’Allemagne pour ses pratiques de passager clandestin en matière de défense et son refus de joindre le geste à la parole en investissant dans son armée et ce faisant dans la défense européenne.

Le sommet de Bruxelles témoigne de la volonté des États-membres de prendre acte des difficultés et de l’impossibilité de leur apporter une solution satisfaisante dans le contexte géopolitique et domestique actuel. Mais le défi que Trump lance à l’Europe en matière commerciale et de défense et la tentation des solutions individuelles en matière de gestion de la question migratoire continuent de miner l’édifice européen. On peut toujours espérer le sursaut à 28 mais le moment est peut être venu de penser en dehors du cadre et à quelques-uns pour préparer l’avenir.