L’appel au FMI reste la meilleure solution ! edit

30 avril 2010

Après la Grèce, le Portugal. Après le Portugal, l’Espagne. Après l’Espagne l’Italie ? Le jeu de massacre semble devoir se prolonger. Faut-il donc craindre pour l’euro ? Pas forcément : le Traité européen a prévu la situation dans laquelle nous nous trouvons et préconise la bonne solution. À Maastricht, le choix était entre une union monétaire imparfaite et pas d’union du tout. C’est très clairement le premier choix qui a été fait. Quelles en sont les conséquences ?

La plus importante est celle qui est apparue au grand jour. Chaque pays étant souverain, la politique budgétaire est de sa responsabilité pleine et entière. Si un pays choisit l’indiscipline budgétaire, il se trouvera fatalement avec une dette trop lourde pour être assumée. Sans monnaie commune, les marchés financiers jouent un rôle utile, aussi étrange que cela puisse paraître. D’abord, ils manifestent leur inquiétude à l’avance, en poussant la monnaie à la dévaluation et en imposant des taux d’intérêt de plus en plus élevés. Si le gouvernement imprudent ignore ces signaux, il se trouvera tôt ou tard face à une crise financière : le taux de change s’effondre et la faillite est inévitable. En union monétaire, les signaux sont étouffés. Pas question de pression sur le taux de change et les taux d’intérêt bougent peu tant que les marchés ne passent pas au mode panique. Il est possible de laisser longtemps la dette grimper, jusqu’à ce qu’il soit trop tard, lorsque les marchés financiers passent brutalement au mode panique. L’union monétaire crée l’illusion d’une protection.

Mais l’illusion peut être plus grave. Le gouvernement désormais aux abois peut se retourner vers ses collègues et leur dire : « Si je fais faillite, notre monnaie commune risque d’être secouée et nos taux d’intérêt risquent tous de monter, alors pour éviter ça, aidez moi.». Ce scénario a été décrit dans les détails il y a une quinzaine d’années et la bonne conclusion a été sagement tirée. C’est l’article 125(1) du Traité européen, communément appelé clause de non-sauvetage (no bail-out clause) :

« L'Union ne répond pas des engagements des administrations centrales, des autorités régionales ou locales, des autres autorités publiques ou d'autres organismes ou entreprises publics d'un État membre, ni ne les prend à sa charge, sans préjudice des garanties financières mutuelles pour la réalisation en commun d'un projet spécifique. Un État membre ne répond pas des engagements des administrations centrales, des autorités régionales ou locales, des autres autorités publiques ou d'autres organismes ou entreprises publics d'un autre État membre, ni ne les prend à sa charge, sans préjudice des garanties financières mutuelles pour la réalisation en commun d'un projet spécifique. »

En proscrivant toute aide à un gouvernement qui ne peut pas faire face à ses obligations, cet article joue un rôle fondamental. Il doit décourager tout gouvernement de miser sur un sauvetage collectif et il indique que les difficultés budgétaires d’un pays sont un problème purement local. Malheureusement, certains ont cru que cette clause risquait d’être contournée et ils ont proposé de surajouter ce qui est devenu le Pacte de Stabilité. Le pacte instaure une limite de 3% pour les déficits et de 60% pour les dettes. Hormis le caractère arbitraire de ces limites, aujourd’hui parfaitement surréalistes, le Pacte ne dispose d’aucun moyen pour les mettre en œuvre. Si, en effet, les États sont souverains en matière budgétaire, nul ne peut leur donner des ordres. Conscients de cette impuissance, les auteurs du Pacte ont alors inventé un système de sanctions financières : un pays qui viole le pacte doit payer une amende de 0,5% du PIB. Hormis le caractère symbolique d’une amende infligée à un État souverain – une mesure jadis imposée aux pays qui perdaient des guerres – on imagine qu’une amende de 0,5% ne peut guère effrayer un pays comme la Grèce dont le déficit est sans doute de l’ordre de 13%.

La conclusion est que la clause de non-sauvetage est un pilier fondamental de l’union monétaire et que le Pacte de Stabilité est une illusion d’optique dont le plus grave défaut est de relativiser la clause de non-sauvetage. Or, que se passe-t-il ? Les événements donnent raison à tous les septiques. Le généreux élan de solidarité des gouvernements de la zone euro a fait voler en éclat la clause de non-sauvetage et le Pacte de Stabilité a. encore une fois, fait la preuve de sa totale inefficacité.

L’union monétaire est-elle gravement affaiblie, voire en voie de désagrégation ? Il est trop tôt pour le dire. On peut imaginer un scénario noir. Le traité est violé au profit de la Grèce. Puis le Portugal demande le même traitement, comment le lui refuser. Puis l’Espagne, mais là l’os est bien trop gros pour être avalé. L’Allemagne, effrayée par le coût exorbitant de ces sauvetages quitte la zone euro – contrairement à ce que disent certains, on ne peut pas expulser un pays – suivie par d’autres pays vertueux, principalement du Nord de l’Europe. Fin honteuse de l’expérience de la monnaie unique. Fin calamiteuse aussi, car le nouveau deutschemark se retouverait surévalué, étouffant les exportations allemandes et la difficile reprise économique en cours, alors que les pays endettés sombrent dans les défauts.

Mais on peut aussi imaginer un scénario vertueux, qui consacre la clause de non-sauvetage et établit enfin la discipline budgétaire. Pour cela, il faudrait que le projet d’aide collective soit abandonné, laissant la Grèce organiser avec le FMI un rééchelonnement ordonné de sa dette publique. Le FMI sait faire, et bien faire. Idem si le Portugal se retrouve dans la même situation. Idem pour l’Espagne et les autres. Un rééchelonnement de dette bien organisé n’a rien de traumatique, il prévoit une période de grâce négociée avec les créditeurs (privés), avec ou sans pénalité. Les pertes des créditeurs sont alors limitées. Pour l’avenir, la clause de non-sauvetage aura passé avec succès son premier test et la leçon aura été apprise : en union monétaire, on ne plaisante pas avec la discipline budgétaire. Il restera alors à remplacer le Pacte de Stabilité par un engagement volontaire de chaque pays-membre à faire comme l’a a fait l’Allemagne l’an passé : inscrire dans la Constitution l’exigence de déficit-zéro, au besoin en moyenne sur un cycle. Ici encore, questions techniques de côté, on sait faire, ce genre de règle existe dans de nombreux États fédéraux.

Les enjeux pour la monnaie commune sont aujourd’hui existentiels. Les gouvernements doivent urgemment revenir aux bases, c’est-à-dire le Traité et la clause de non-sauvetage, et cesser de s’imaginer que le volontarisme politique permet de résoudre les problèmes économiques fondamentaux.