Faut-il contrer la faiblesse du dollar ? edit

18 janvier 2011

Plusieurs pays sont confrontés à une appréciation substantielle de leur monnaie par rapport au dollar, voire à l’euro. Cela concerne d’abord les pays émergents, par exemple le Brésil dont les exportateurs souffrent de la forte montée du real par rapport au billet vert. Si d’autres pays comme la Chine connaissent une appréciation moindre, cela n’est dû qu’à leur intervention sur le marché des changes via des achats massifs de titres en dollar, avec à la clef des pressions inflationnistes. Les pays émergents ne sont pas les seuls dans cette situation. La Suisse connaît par exemple une forte appréciation du franc par rapport à l’euro, laquelle met à mal les exportateurs helvétiques. Cela au point de nourrir des appels dans la presse économique pour une stabilisation, voire une fixation, du taux de change vis-à-vis de l’euro.

Quels sont les facteurs sous-jacents de cette situation ? Il y a tout d’abord la politique monétaire agressive de la Réserve fédérale. La politique monétaire américaine a essuyé de vertes critiques de l’étranger, par exemple venant de Chine, soulignant que les États-Unis ne prenaient pas les responsabilités leur incombant du fait du rôle majeur du dollar dans l’économie mondiale.

La situation est-elle alors le fruit d’une attitude cavalière des États-Unis ? En fait non. Rappelons tout d’abord que les projections de croissance montrent une économie mondiale à deux vitesses dans les années à venir, avec d’une part des marché émergents en forte croissance et d’autre part des pays industrialisés, aux premiers rangs desquels les États-Unis et l’Europe, qui traînent encore le fardeau de la crise. Avec un chômage restant obstinément proche de dix pourcent, la Réserve fédérale a bien le droit de garder le pied sur l’accélérateur. Et les pays émergents dans tout cela ? Dans une situation à deux vitesses comme celle que nous connaissons, l’analyse économique montre que la monnaie des pays émergents doit s’apprécier en termes « réels », c’est-à-dire corrigés des différences d’inflation. En d’autre termes, la réduction de compétitivité des exportateurs des pays émergent, et donc l’accroissement de compétitivité de leurs confères aux États-Unis, est le mécanisme par lequel l’activité économique se rééquilibre (partiellement) entre les deux régions.

L’appréciation des monnaies émergentes est donc peu surprenante, même si cela ne fait pas plaisir à leurs exportateurs. Peut-elle être combattue ? Au premier abord oui : comme le montre la Chine, une intervention massive sur le marché des changes peut limiter la hausse du yuan. Mais cela se paie. Cette intervention revient à importer la politique monétaire américaine, qui dans un pays en plein croissance génère de l’inflation. La compétitivité des exportateurs chinois finit donc par s’affaiblir, simplement par une hausse de leurs coûts plutôt que par une hausse du yuan. Quant à la critique faite à la Réserve fédérale, rappelons que l’établissement d’une politique monétaire adaptée au cycle conjoncturel dans un pays émergent est la responsabilité de la banque centrale dudit pays, et non pas de la Réserve Fédérale.

Mais l’envolée des taux de change n’est-elle pas le fait d’une spéculation qu’il convient de freiner, comme par exemple en taxant les opérations de changes conduites par les banques locales ? Nulle doute que l’activité spéculative est substantielle, mais cela n’implique pas qu’elle créée sa propre réalité. En d’autres termes, la croissance fortement différenciée entre pays avancés et émergents décrite plus haut justifie le mouvement du taux de change. De plus, taxer les opérations de change des banques n’aurait qu’une portée limitée. Tout d’abord, les transactions sur ces marchés ne sont de loin pas que le fait des banques, mais sont aussi conduites par toutes sortes d’autres intervenants comme les hedge funds. Ensuite, et surtout, un pays émergent qui limiterait les opérations de changes de ses propres investisseurs n’aurait pas de prise sur les transactions effectuées par les autres acteurs. Les intermédiaires financiers basés à Londres peuvent très bien vendre et acheter des montants substantiels de real sans impliquer leurs confrères brésiliens.

Une intervention sur le marché des changes comporte en outre le risque d’alimenter une bombe à retardement dont l’éclatement représentera un problème bien plu accru. Prenons le cas de la Suisse dont le franc s’envole par rapport à l’euro. Cette envolée reflète des fondamentaux économiques plus favorables en Suisse, qu’il s’agisse de la croissance, du chômage, de l’inflation ou de l’état des finances publiques, ainsi que les craintes persistantes sur la crise dans la zone euro. La situation délicate dans laquelle se trouve les exportateurs suisses a donné lieu à des appels pour l’adoption d’’un taux de change plus stable, voire fixe.

Limiter la force du franc suisse est techniquement possible. Après tout, la Banque nationale suisse peut créer sans limite la devise helvétique dont les investisseurs sont si friands. Toutefois, elle doit choisir sa bataille. Soit elle adopte une politique monétaire adaptée à la force relative de l’économie suisse par rapport à l’Europe, soit elle se focalise sur le taux de change avec une création substantielle de liquidité à la clef. Que se passerait-il alors ? Les exportateurs retrouveraient le sourire à court terme, mais éventuellement la création de liquidité augmenterait l’inflation suisse, quoiqu’avec retard. Une conséquence beaucoup plus inquiétante est que les banques suisses, qui se portent bien, utiliseraient cette liquidité pour accorder des prêts substantiels, par exemple sur le marché hypothécaire. Le risque serait alors de voire une bulle immobilière se développer, surtout dans les régions comme la Suisse francophone où le marché est déjà tendu. Cette bulle finirait par éclater, emportant sans doute les banques qui se seraient imprudemment exposées dans la tourmente. La stabilisation du franc suisse se paierait alors par une crise à l’irlandaise d’ici quelques années. La Banque nationale suisse doit donc choisir entre deux maux, parmi lesquels celui du franc fort est le plus supportable.