Et si le FMI ne servait plus à rien ? edit

15 décembre 2006

La réforme du FMI figure sur l’agenda politique depuis des lustres. L'année dernière, pourtant, la discussion a pris un tour nouveau. Les pays émergents, désormais pleins aux as, n'ont plus besoin du FMI. Actuellement le Fonds a seulement six accords de prêt, au lieu vingt-et-un en 1998. Puisque l'institution tire ses revenus de ses prêts, elle devrait, amusante perspective, être amenée à subir un ajustement structurel aussi pénible que ceux qu’elle prescrit généralement à ses clients. Le FMI s’est par ailleurs montré impuissant devant les déséquilibres globaux qui menacent la stabilité financière et économique internationale. Sur ces deux sujets, son action est de moins en moins pertinente. Le danger, comme l’a bien dit Mervyn King de la Banque d'Angleterre, est de voir le Fonds tomber dans l'obscurité.

Les réunions annuelles du Fonds qui se sont tenues à Washington le mois dernier ont abordé ces problèmes. Pour la première fois de mémoire de congressiste, les délégués sont sortis de leurs déclarations toutes prêtes, pour se lancer dans une vraie discussion. Le comité dirigeant du Fonds, composé des principaux ministres des Finances et gouverneurs de Banque centrale, a convenu que la surveillance de FMI devrait se concentrer sur les questions économiques globales. La surveillance devrait se faire sur un mode multilatéral, et non pays par pays ; et elle devrait se concentrer sur les dysfonctionnements internationaux. L'intention, apparemment, est de donner au Fonds un mandat pour affronter le problème des déséquilibres globaux.

Mais ce nouveau rôle lui donnera-t-il le pouvoir de faire quelque chose ? Le FMI ne sera pas capable de forcer les Etats-Unis à relever leurs taxes ou d’amener la Chine à modifier son taux de change. Si un pays n'emprunte pas au Fonds, il est bien connu que ce dernier ne peut guère que lui suggérer poliment quelques modestes changements. Si le pays est un grand actionnaire du Fonds, comme le sont les États-Unis et comme le sera bientôt la Chine, son gouvernement dira simplement à l'institution de s'occuper de ses propres affaires.

Deux époux en conflit diront souvent la même chose à ceux qui leur offrent des conseils gratuits. Mais s'ils reconnaissent que leur mariage est menacé, il leur arrivera de demander l'aide d’un professionnel. Un conseiller conjugal n'a certes aucun pouvoir de contraindre le mari et la femme à changer de conduite. Mais un lieu de réunion neutre et l’intervention d’un tiers qui a déjà traité ce genre de problèmes peuvent quelquefois favoriser des changements de comportement.

Le FMI peut-il réussir comme conseiller conjugal ? Peut-il amener les Etats-Unis à relever leurs impôts et la Chine à augmenter ses dépenses d'éducation, de santé publique et d'infrastructure pour stabiliser la demande globale en redistribuant ses dépenses hors des Etats-Unis avant que les déséquilibres actuels ne deviennent explosifs ? Tous les mariages ne peuvent pas être sauvés, surtout quand les partenaires voient les choses différemment. Mais chacun sait qu’un divorce est coûteux, y compris pour les plus petits membres de la maisonnée. Le FMI reste aujourd’hui le meilleur lieu de réunion. La Chine et les autres grands marchés émergents ne font pas partie du G7. Et les plus groupes comme le G20 manquent encore d'expérience et de légitimité.

Le Fonds a-t-il toujours comme rôle de fournir des services aux économies émergentes ? Leurs balances des paiements atteignent à présent de tels excédents, leurs réserves de devises sont telles que la réponse à la mode, c’est non. Les marchés émergents seraient à présent dans une position financière plus forte, et ils n'auraient plus besoin de se plier aux conditions pénibles et embarrassantes imposées par le Fonds en échange de son assistance financière.

Ce que l’on perd de vue, en raisonnant ainsi, c’est que les marchés émergents profitent en ce moment de conditions extraordinairement favorables. La croissance globale n’a jamais été aussi forte depuis 35 ans. Les taux d'intérêt sont toujours bas pour ce moment du cycle économique. Les investisseurs internationaux se ruent sur les marchés émergents parce qu’il n’y a plus de place ailleurs pour investir. Et malgré cela, il y a des pays au bord de la crise, de l'Islande à la Hongrie. Quand les taux d'intérêt augmenteront, leurs problèmes s'approfondiront et la liste des pays à problèmes s'allongera.

De plus, il revient cher de conserver des réserves pour se prémunir contre le risque d'instabilité financière. Les pays en voie de développement ont mieux à faire de leurs ressources. La solution la plus raisonnable, pour eux, serait de mettre leurs réserves en commun dans une institution internationale qui pourrait prêter aux pays dans le besoin. Cette institution pourrait agir comme une mutuelle de crédit. Mais nous pourrions aussi l'appeler le FMI !

Hélas, sur ce front aucun progrès n’a été fait ce printemps. La proposition du Fonds d’un nouveau service, qui verserait automatiquement des fonds à des pays pré-autorisés, n’a pas été suivie. Comme on pouvait s’y attendre : la pré- qualification est problématique, et le fait de disqualifier un pays auparavant pré-qualifié est le plus sûr moyen de précipiter une crise. Une meilleure approche serait de modifier les procédures existantes pour étendre l'assistance et augmenter les lignes de crédit existantes, ce que l’on appelle les quotas du FMI, en mettant en commun les réserves des pays. Puisque les pays dotés de plus grands quotas disposent aussi de davantage de voix au FMI, les marchés émergents qui ont actuellement d’amples réserves mais pourraient avoir recours au Fonds dans l'avenir devraient être heureux d’y contribuer.

Donner au FMI un rôle de conseiller conjugal est un premier pas pour le sauver de l’inutilité. Mais il a aussi un rôle de gestionnaire d’une mutuelle de crédit pour les marchés émergents. Quand l'administration de l'institution et ses actionnaires l’admettront, alors le FMI pourra espérer échapper à l’inutilité.