Pour l’introduction de listes transnationales aux élections européennes sous forme d’une prime de majorité edit

21 février 2018

La relance de l’idée d’introduire un système de listes électorales transnationales pour les élections au Parlement européen par Emmanuel Macron est pertinente à bien des égards. Cette mesure mettrait davantage en valeur le caractère européen du scrutin, renforcerait le poids des enjeux européens dans le débat électoral et constituerait une innovation susceptible de conférer plus de visibilité aux prochaines élections européennes. Toutefois, les réticences que cette idée rencontre – exprimées notamment par le rejet par le Parlement européen – ne sont guère surprenantes, tant cette évolution bousculerait les habitudes des classes politiques nationales. Par ailleurs, le débat a été piégé par le fait qu’il portait sur un principe vague, et non sur des variantes de sa mise en œuvre concrète. Nous visons à corriger ce défaut, en proposant une variante qui ne semble avoir été envisagée pour le moment ni par les défenseurs ni par les détracteurs de ce principe.

Nous plaidons pour des listes transnationales introduites dans l’élection du Parlement européen sous forme d’un scrutin plurinominal majoritaire à un tour qui se grefferait sur le système proportionnel existant, constituant de facto une prime de majorité pour le parti victorieux à l’échelle de l’Union.

Concrètement : tout parti, mouvement ou coalition participant aux élections européennes pourrait déposer, à côté de sa ou ses liste(s) présentées à l’échelle nationale, également une liste européenne composée selon des règles précises quant au nombre (global et par Etat membre) de candidats. Par exemple, cette liste pourrait être composée de 27 candidats (chacun disposant d’un suppléant) représentant les 27 nationalités des Etats membres. Le candidat placé en tête de cette liste européenne briguerait la présidence de la Commission européenne.

Pour éviter une inflation de ces listes européennes, des règles devraient encadrer leur éligibilité : par exemple, pour qu’une liste européenne soit autorisée à participer à l’élection du Parlement européen, elle devrait être soutenue par des listes nationales provenant d’au moins 14 Etats membres. Une liste européenne pourrait être présentée soit par un seul parti européen (ancien ou créé ad hoc en vue de l’élection), soit par une coalition de plusieurs partis européens qui s’associent dans le but d’augmenter leur chance de gagner la prime de majorité et la présidence de la Commission. Toute liste nationale qui le souhaiterait pourrait s’apparenter à une liste européenne sur une base ad hoc, même si elle est présentée par un parti qui par ailleurs n’est pas affilié au parti européen concerné.

Les bulletins de vote indiqueraient explicitement si la liste nationale est apparentée ou pas à une liste européenne. Et, le cas échéant, ils préciseraient clairement de laquelle il s’agit, en mentionnant son nom, l’identité du parti ou des partis européens qui la présentent, le nom de la tête de liste ainsi que celui du candidat « national » qui y figure. En effet, à l’inverse de ce qui semble être envisagé par la plupart des personnes qui s’exprimaient jusqu’ici dans le débat sur les listes transnationales, nous proposons que chaque électeur ne conserve qu’une seule voix.

La liste européenne élue serait celle qui aura recueilli le plus grand nombre de voix à l’échelle de l’UE, en additionnant les voix recueillies par toutes les listes qui s’y sont apparentées. Pour éviter des procédés déloyaux, les listes nationales apparentées à une liste européenne seraient obligées de s’engager à ce que leurs élus intègrent le groupe du parti européen en question (ou l’un des groupes si la liste européenne est formée d’une coalition). Les candidats s’engageraient sur l’honneur à ne pas quitter le groupe tout au long de la législature.

Ce système a de nombreux avantages. Tout d’abord, il n’introduit pas une seconde dynamique électorale, différente et imprévisible par rapport à la dynamique habituelle qui se joue à l’échelle nationale. Il se confond avec cette dernière, tout en la modifiant, en l’orientant vers un dépassement des logiques purement nationales. En effet, on éviterait le système de deux voix et ses éventuels effets pervers, notamment au niveau de lisibilité des résultats des élections et de la gouvernabilité du Parlement européen.

Par ailleurs, ce système ne crée pas d’incertitudes quant au nombre de députés issus de chacun des Etats membres, à la différence de tout système qui serait fondé sur une répartition proportionnelle des sièges réservés aux listes transnationales. La crainte de voir les pays moins peuplés délaissés par les candidats, car électoralement « peu intéressants », serait également à écarter. En effet, comme il s’agit d’une logique majoritaire à un tour où le vainqueur – même s’il ne l’emporte que d’une seule voix – ramasse toute la mise, littéralement chaque voix compte. Par conséquent, les listes européennes seraient incitées à mener une campagne globale qui n’ignorerait aucun Etat membre, aussi petit soit-il.

Cette solution fournirait aussi le cadre adéquat pour la consolidation du système où les leaders des principaux partis européens s’affrontent pour briguer la présidence de la Commission (le système de « Spitzenkandidaten »). Elle crée la possibilité pour ces leaders d’être candidat à l’échelle de l’UE, et non simplement à l’échelle d’un Etat. Elle organise de facto une élection majoritaire du Président de la Commission à l’intérieur d’une élection proportionnelle du Parlement. Toutefois, le Conseil européen garde toujours, en vertu des traités, la possibilité de corriger le tir si nécessaire – par exemple en cas de victoire d’une liste, dont le potentiel de coalition est nul.

Ce système rend également évident, aux yeux de chaque électeur, l’affiliation européenne de la liste nationale qu’il choisit et l’impact européen de son vote. Il introduit aussi une petite dose majoritaire dans le système, amplifiant le poids du groupe politique victorieux, ce qui devrait contribuer à une plus grande gouvernabilité du Parlement européen, à une plus grande capacité du groupe majoritaire à faire passer ses priorités. Cet effet reste cependant très modéré : si on retenait la variante à 27 sièges, il s’agirait d’un « bonus » de 3-4%.

Enfin, les députés européens élus sur la liste transnationale formeraient une équipe politiquement cohérente qui aurait vocation à être la garde rapprochée du président de la Commission au sein du Parlement européen et – de manière beaucoup plus importante – dans le débat public de chaque Etat membre. Chaque député issu de cette liste pourrait et devrait, tout au long de la législature, jouer dans son pays le rôle du porte-parole purement politique du président de la Commission, pleinement engagé dans le débat public, d’une manière qui n’est pas envisageable pour les porte-parole institutionnels que sont les représentations de la Commission dans les Etats membres.

Nul doute que cette solution rencontrera de vives résistances. Mais parmi ses avantages, citons aussi le fait qu’elle comporte de nombreux éléments de flexibilité, susceptibles de faciliter la recherche du consensus.

Ainsi, on peut moduler le nombre de sièges réservés à cette liste transnationale / prime de majorité. Nous avons évoqué la variante de 27 sièges, avec 1 député par Etat membre. Mais si cette variante hérisse trop les défenseurs de la « proportionnalité dégressive », on pourrait envisager aussi une variante à 32 sièges (2 députés par Etat membre dont la population dépasse 30M d’habitants, 1 député pour tous les autres) ou à 47 sièges (3 députés par Etat membre dépassant 30M d’habitants, 2 députés par Etat membre dépassant 7M d’habitants, 1 député pour les autres Etats membres).

D’ailleurs, si même une très faible modification de la proportionnalité dégressive par rapport à la situation actuelle reste inacceptable pour certains, il est possible de recourir au principe du « scorporo », une trouvaille d’origine italienne : on déduit les sièges obtenus par l’élément majoritaire des sièges répartis à la proportionnelle. Ainsi, 1 siège par Etat est pourvu par la liste transnationale et on distribue les sièges à la proportionnelle au niveau national pour le nombre de siège N-1 pour chaque Etat (N étant le nombre de sièges prévu pour chaque Etat par la décision du Conseil européen en vertu de l’article 14.2 TUE). Si c’est le principe d’une prime de majorité qui pose problème, on peut appliquer le « scorporo » par rapport aux élus de la liste victorieuse. Cependant, cela serait plus compliqué et pas toujours possible, notamment si dans un Etat membre il n’y a aucun élu grâce à la liste nationale ou s’il y a plusieurs listes nationales apparentées à la même liste européenne.

Il est également possible d’ajuster les critères de qualification des listes européennes (le nombre de listes apparentées et le nombre d’Etats d’où elles doivent être originaires). On pourrait ajouter aussi d’autres critères (équilibre géographique et/ou démographique, etc.). Enfin, on a le choix entre autoriser ou pas les candidats qui se présentent sur la liste européenne à se présenter aussi sur une liste nationale : en fonction de ce choix, soit seul le « Spitzenkandidat » victorieux serait élu, soit ses rivaux accéderaient aussi au siège de député, du moment où ils seraient élus à l’échelle nationale.

Le Brexit offre une opportunité pour revoir les modalités des élections européennes. Il serait dommage qu’elle ne soit pas saisie, à cause d’un manque d’imagination, de craintes injustifiées ou de calculs politiciens de courte vue. Nous espérons que notre proposition pourra contribuer à relancer le débat qui, si on en reste à l’avis négatif du Parlement européen exprimé le 7 février 2018, risque d’être clos avant d’avoir réellement commencé…