Macron et l’Europe 2.0 edit

28 septembre 2017

Si Macron avait fait savoir son enthousiasme pro-européen durant la campagne, depuis son élection, le peu de détails qu’il avait fourni ressemblait étrangement aux positions traditionnelles de la France, soigneusement ignorées par les autres pays. Pour son discours de la Sorbonne, il a enfin travaillé le sujet et remis une copie qui révèle de plus en plus clairement son style. Lyrique dans la forme, ce discours ne renie rien de ce qu’il avait dit, contient un grand nombre de propositions qui vont chambouler le débat, mais laisse de côté les sujets qui fâchent. La plupart de ces propositions sont bien pensées, certaines sont très originales, et l’ensemble constitue un vrai pas en avant, mais un pas modéré dans ses ambitions, sans doute par souci d’équilibre politique.

La crise de la zone euro et le Brexit ont révélé les nombreuses faiblesses de la construction européenne et renforcé le sentiment eurosceptique qui prenait corps dans presque tous les pays membres de l’UE. Face à ce défi, certains voulaient relancer l’Europe en approfondissant l’intégration. D’autres – dont je fais partie – suggéraient de commencer plus modestement par réparer ce qui ne va pas. Macron a adopté une voie médiane, en proposant de faire un peu des deux.

Pour une Europe à plusieurs vitesses

En guise d’approfondissement, il a apporté un soutien marqué à l’idée d’une Europe à plusieurs vitesses. C’est une vieille idée qui a l’avantage de contourner le veto de gouvernements eurosceptiques, qui sont nombreux ces temps-ci.

On connaît les inconvénients de la formule : risques de contradictions avec les traités existants ; accroissement de la complexité déjà bien lourde de la maison Europe ; division entre pays de première et de seconde classe. Certes les « pionniers » peuvent expérimenter de nouvelles mesures d’intégration et convaincre ultérieurement les récalcitrants initiaux de les rejoindre : la monnaie unique et les accords de Schengen sont des précédents et des succès entachés d’écueils. En multipliant des accords à la carte entre groupes changeants de pays, selon le principe des cercles qui s’entrecoupent, on peut espérer intégrer tous les pays ou presque dans l’un ou l’autre de ces arrangements et ainsi réduire l’effet de division. L’intérêt majeur de ce système est de démontrer que l’Europe n’est pas paralysée par ses divisions.

Parmi les propositions spécifiques, certaines sont excellentes. C’est le cas de l’adoption de seuils supérieurs et inférieurs pour les taxes sur les profits des entreprises. La pression concurrentielle est déjà à l’œuvre et pousse à la convergence, mais elle risque aussi d’entrainer une course vers le bas. Ce n’est pas non plus une idée nouvelle, un tel système existe déjà pour la TVA.

Dans les deux cas, des divergences trop importantes faussent la concurrence au sein du marché unique, on le voit bien avec les récriminations récurrentes concernant l’Irlande. Ce qui est nouveau, c’est la menace de supprimer les aides structurelles aux pays qui refuseraient de rejoindre un tel accord. Associer la carotte et le bâton est une bonne idée, mais un tabou en Europe que Macron vient utilement bousculer. Dans cette perspective, il propose d’aligner complètement la taxation et la réglementation des entreprises en France et en Allemagne. Ce serait, en effet, un parachèvement du marché unique entre les deux pays les plus grands et le potentiel à faire tache d’huile.

L’enthousiasme dont témoigne Macron pour un tel accord a cependant quelque chose de naïf. Même si on y arrivait, cela ne signifie pas que la concurrence serait parfaitement alignée. Une multitude d’autres facteurs comptent. À commencer, bien sûr, par le marché du travail et les coûts induits. Dans ce domaine, une harmonisation est hors d’atteinte tant les traditions diffèrent. De même pour tout ce qui a trait aux bâtiments, comme les règles d’urbanisme, les taxes immobilières, etc. On ne peut pas tout harmoniser. D’ailleurs, dans la plupart des pays fédéraux, on n’essaye même pas.

Au catalogue des bonnes idées…

Une autre proposition intéressante est de graduellement changer les élections européennes. Les élections au Parlement européen se font actuellement pays par pays. Dans la plupart des cas, ce sont les bons vieux débats domestiques qui dominent les campagnes électorales. Les députés européens arrivent à Strasbourg et Bruxelles – cet étrange système à deux sièges – avec des mandats démocratiques qui ne concernent pas les sujets qu’ils auront à traiter. De ce fait, le Parlement européen reste une institution en partie hors sol.

Créer une grande circonscription européenne devrait permettre ce qui n’a jamais existé : un débat européen sur les questions européennes. Le plus intéressant est qu’un tel mode électoral forcerait la création de partis paneuropéens. C’est à l’intérieur des ces partis que se conduiraient les négociations sur l’avenir de l’Europe, injectant ainsi une dose de réalisme qui manque crucialement aujourd’hui dans les campagnes électorales.

L’amélioration de la taxe carbone est un autre sujet important. L’instauration d’une taxe aux frontières est une idée attrayante puisqu’il s’agit de pénaliser les entreprises non-européennes qui polluent plus et produisent moins cher. Sa mise en œuvre, cependant, pourrait se révéler redoutablement compliquée. Comment mesurer les émissions de carbone à l’étranger ? Comment tracer le cheminement des intrants en provenance des quatre coins de la planète ? Une telle taxe est-elle compatible avec les accords de l’OMS ? Bonne chance, monsieur le Président !

Macron a commencé à décrire ce que ferait un ministre des Finances européen. Il a identifié les sources de revenus qui seraient à sa disposition, mais il est resté vague sur ce qui serait dépensé. Diverses remarques suggèrent qu’il a en tête la promotion de champions européens dans les nouvelles technologies ou dans les fonctions collectives de défense et de lutte contre le terrorisme. Pour convaincre, il va devoir être plus précis sur cette question, sachant que la politique industrielle est peu convaincante dans de nombreuses capitales.

De même l’idée de créer une taxe européenne sur les transactions financières pour financer l’aide au développement est plus attrayante vue de Paris qu’ailleurs, pour de bonnes raisons. Il est vrai qu’une telle taxe existe en Grande-Bretagne mais elle est extrêmement faible. Et ce n’est pas en faisant de même en Europe que l’on récupérera la City de Londres après le Brexit.

Pour ce qui est de la correction des dysfonctions de la construction européenne, le plus spectaculaire est l’admission, pour la première fois par un président français, que la PAC ne remplit pas ses objectifs. Mais Macron n’a pas indiqué ce qu’il souhaite modifier. Tout juste a-t-il suggéré que les besoins diffèrent d’un pays à l’autre. Il aurait pu ajouter que les pays membres sont en profond désaccord sur l’utilité d’une politique agricole. La logique serait de renationaliser la PAC, laissant chaque pays libre de faire ce qu’il souhaite, mais il n’est pas allé aussi loin.

L’idée de réduire le nombre de Commissaires européens est séduisante. La règle selon laquelle chaque pays a son Commissaire a conduit à un morcellement des responsabilités et, sans doute, à un alourdissement bureaucratique. Sans compter que les débats à trente au sein de la Commission sont peu efficaces. Mais depuis toujours les Commissaires reçoivent des instructions de leurs gouvernements nationaux et n’hésitent pas à agir en fonction des intérêts de ces derniers, alors même qu’ils sont sensés servir l’Europe et uniquement l’Europe. Obtenir que la moitié des pays ne soient pas représentés au sein de la Commission va être difficile en l’absence d’une petite révolution culturelle.

Bien entendu, ce qu’il n’a pas dit est aussi important que ce qu’il a dit. Il s’est plaint de la bureaucratie bruxelloise qui irrite les citoyens, mais il n’a esquissé aucune mesure. Il a accepté la position allemande qui rejette toute mutualisation des dettes publiques, mais il n’a pas évoqué la question angoissante des dettes excessives en Grèce mais aussi en Italie ou au Portugal. Il n’a pas exprimé le besoin urgent de compléter l’Union Bancaire et de doter la zone euro d’un fond commun nécessaire pour faire face à une nouvelle crise bancaire. Il n’a pas évoqué le Pacte de stabilité et de croissance qui a échoué et doit être revu de fond en comble.

Mélange d’audace et de prudence, le discours de la Sorbonne est avant tout un hymne à l’optimisme européen. C’est important par les temps qui courent. Mais ce discours est plus riche en symboles (Erasmus pour tous, un procureur commun pour lutter contre le terrorisme, une protection civile européenne, etc.) qu’en propositions concrètes sur les questions essentielles. On applaudit… doucement.