Et si Sarkozy était à la remorque de Brown ? edit

15 décembre 2009

Nicolas Sarkozy est fier d’avoir fait nommer pour la première fois depuis 50 ans un commissaire français au marché intérieur et aux services financiers. C’est assurément une performance surtout si on compare ce résultat à celui obtenu par Jacques Chirac dans la Commission sortante. Mais croit-on vraiment que c’est le commissaire Barnier qui va faire la régulation financière européenne ?

L’UE n’est pas un Etat national jacobin, c’est une organisation de 27 Etats-membres dont la Commission constitue un centre permanent de propositions, organisé en bureaucratie professionnelle immergée dans les administrations et les lobbies nationaux. La mécanique de proposition trouve sa source dans les services de la Commission et non dans la tête d’un commissaire, et elle doit d’abord être validée par les Etats. La décision en Europe relevant de plus en plus d’une coproduction avec le Parlement Européen, un commissaire même français ne peut dicter ses orientations.

Au-delà de ces considérations institutionnelles, la ligne de la Commission est libérale par nécessité, et non par idéologie anglo-saxonne, depuis le passage au marché unique. Les directions générales du marché intérieur, du commerce extérieur et de la concurrence ont un agenda libéral parce que c’est le moyen d’intégrer 27 pays indépendants dont les tropismes et les particularismes sont autant d’obstacles à l’intégration. Comment expliquer autrement que des commissaires aussi différents que Karel Van Miert, Mario Monti ou Nellie Kroes aient finalement fait la même politique de concurrence ? De nombreux travaux académiques ont établi le caractère quasi-constitutionnel des politiques de libéralisation et ce n’est pas faire injure à M. Barnier que de définir son rôle comme celui d’un avocat d’une intégration sans cesse plus poussée, au service d’un intérêt général européen.

Le président tient pour une évidence que le capitalisme continental a mieux résisté que son cousin anglo-saxon car il serait moins financiarisé, plus régulé et mieux encadré par l’Etat. C’est une idée datée. Il y a trente ans, il était légitime d’opposer un système financier fortement intermédié (le modèle allemand), un système financier encastré dans l’Etat (le modèle français) et un système désintermédié de marchés financiers (le modèle anglo-saxon). Mais depuis on assiste à une convergence de systèmes autour d’un modèle de marchés financiers régulés. Comment comprendre autrement le recul du financement bancaire, les progrès de la titrisation, l’explosion des produits dérivés ? Il suffit d’observer les profils d’activités des grandes banques universelles européennes pour voir la place que les activités de marchés occupent. Les stratégies de sortie de crise des grandes banques françaises en fournissent une illustration supplémentaire : le retour à une forte profitabilité a été rendu possible par les activités de marché. Quant à la meilleure résilience des banques européennes par rapport aux banques américaines, attendons de voire ce que vont dégorger comme actifs toxiques et comme pertes les banques, allemandes notamment, avant de se faire une idée définitive.

Les idées françaises seraient en train de triompher en matière de régulation, entend-on ici ou là. Si l’on en juge par les initiatives prises au plus fort de la crise, il n’y a guère d’hésitation à avoir, Gordon Brown a été celui qui le premier a inventé la boîte à outils pour traiter la crise à chaud et éviter la crise systémique. Alors que les Américains étaient empêtrés avec le TARP prévu pour débarrasser les banques de leurs actifs toxiques, Gordon Brown a proposé d’emblée les quatre mesures qui ont fait la différence : apport de capital aux banques, garantie des dépôts, garantie du crédit interbancaire et adossement des banques les plus fragiles aux actifs les plus toxiques. L’intelligence de Nicolas Sarkozy a été de se rallier au plan Brown et d’en faire un plan Européen.

Plus près de nous, si on essaie d’identifier les foyers vivants de réflexion sur la régulation post-crise, on constate là aussi que le débat le plus intense est au Royaume-Uni. Il oppose partisans d’une solution de séparation - spécialisation entre banque de détail, banque d’investissement, assurance et asset management (position défendue par Mervyn King), tenants d’une taxe Tobin sur les transactions financières pour en réduire le volume et contribuer à l’attrition de la finance de marché (solution Adair Turner) et avocats d’une modulation des ratios de solvabilité en fonction de la taille, de la phase du cycle, et de l’encours de risques (diverses propositions faites par Charles Goodhart). Autant le débat britannique foisonne, autant le débat français est stérile, prisonnier qu’il est du triangle bonus-paradis fiscaux-agences de notation.

A l’épreuve des réalités, on constate malheureusement le peu de poids des grandes proclamations sur le triomphe des conceptions françaises en matière de régulation financière européenne. Au cœur de la crise, la Commission Européenne a fait appel à une personnalité éminente, Jacques de Larosière (et non au commissaire en charge du dossier) pour faire des propositions en matière de régulation. Celui-ci a remis un rapport qui a ensuite été discuté et a débouché sur des propositions. Or que constate-t-on ? Des propositions initiales timides ont été amendées notamment à la demande des Britanniques et ont abouti à une régulation très lacunaire. De l’aveu même de Jacques de Larosière il n’était pas réaliste de proposer un régulateur intégré européen pour chacun des marchés (banque, assurances, bourses) : il a donc proposé de constituer trois entités regroupant chaque fois les 27 régulateurs nationaux.

Pour apprécier la portée du nouveau dispositif trois questions devaient être tranchées : 1/ le pouvoir d’intervention direct du régulateur européen sur une entreprise en cas de crise ; 2/ le pouvoir d’injonction du régulateur européen au régulateur national ; 3/ le pouvoir d’arbitrer entre régulateurs nationaux en cas de conflit portant sur le traitement d’une entreprise transnationale. Dans les trois cas, dans la mesure où une aide publique doit être mobilisée, l’autorité européenne recommande, l’autorité politique nationale décide. Autant dire que la régulation européenne restera nationale. Faut-il y voire un triomphe de la City et un échec des partisans d’une régulation européenne plus musclée ? La réponse est en fait plus simple et plus triviale : la fiscalité reste une compétence nationale, toute mesure communautaire en matière de fiscalité doit être adoptée à l’unanimité.

Entre la volonté de refonder le capitalisme et les réalités de la réforme de la régulation il y a une marge que Nicolas Sarkozy comble par ses discours. Moins la réforme progresse et plus il faut en faire en matière de communication.