Déforestation: Cancún n’a pas tenu ses promesses edit
Le mécanisme REDD+ (Réduction des Émissions issues de la Déforestation et de la Dégradation) était l’un des rares domaines dans lequel des avancées étaient attendues à Cancún. Ceux qui attendaient des clarifications à l’architecture de la chose seront déçus. Une fois de plus, les décisions opérationnelles ont été repoussées à plus tard. Politiquement, on peut voir dans la mention des droits des populations autochtones et des communautés locales et dans l’absence de référence directe au marché du carbone, des points marqués par l’aile gauche, conduite par la Bolivie et soutenue par des ONG sociales et antilibérales, contre une aile droite emmenée par de pays comme l’Australie et les USA, appuyée par des ONG de stricte conservation des forêts. Dans l’évocation de circonstances nationales, on peut voir une bonne manière faite aux pays du Bassin du Congo, qui veulent pouvoir garder des chances d’être rémunérées en décomptant de leurs bilans émissions de futures augmentations de déforestation, au nom de leurs besoins de développement. Mais point d’avancées concrètes.
Pourquoi la négociation piétine-t-elle ? La déforestation représente, selon les dernières publications, environ 12% des émissions annuelles de CO2. Depuis 2005, on discute du mécanisme REDD dont le principe est de rémunérer les pays en développement qui verraient leur déforestation se réduire. Mais au fur et à mesure des discussions, le champ des activités éligibles s’est élargi sous la pression de divers groupes d’intérêts publics et privés. La dégradation des forêts d’abord, puis la gestion forestière, les plantations d’arbre et, enfin, la conservation des stocks de carbone, constituent les activités couvertes par REDD+, appelé ainsi depuis 2007. La réduction de la dégradation, très difficile à mesurer, a été incluse pour contenter les pays d’Afrique centrale, qui ont des taux de déforestation faibles. L’amélioration de la gestion forestière permettrait de rémunérer des entreprises d’exploitation forestière. Les plantations, déjà éligibles au mécanisme de développement propre (MDP) mais avec des conditions très strictes, ont été introduites à la demande de la Chine qui veut faire subventionner ses plantations industrielles, pourtant déjà rentables. Quant à la conservation des stocks de carbone, sa signification est ambigüe : il peut s’agir soit de rémunérer des projets (demande de grandes ONG de conservation) et non plus les États, soit de récompenser les pays qui ont préservé leurs forêts et de les payer à proportion du carbone qu’elles contiennent. Cette dernière perspective est âprement défendue par des pays comme le Gabon ou le Congo-Brazzaville, qui veulent accréditer l’idée que si leurs vastes massifs forestiers sont encore largement intacts, c’est par la « vertu » de leurs politiques publiques, là où l’on peut surtout y voir l’absence de pression agro-industrielle et foncière dans des pays peu peuplés.
L’élargissement continu du champ de la REDD+ est présenté comme un progrès par ceux qui confondent avancées et fuite en avant. En réalité, chacune de ces activités fait polémique et a fait voler en éclat le relatif consensus initial de trois communautés distinctes d’intérêts : celle qui accorde la priorité au carbone, celle qui s’inquiète pour la biodiversité, et celle qui défend les intérêts des populations locales et « autochtones ». A cela vient s’ajouter l’opposition frontale entre les partisans d’une inclusion de REDD+ dans le marché du carbone (les paiements se feraient sous la forme de « crédits carbone ») et ceux qui plaident pour un fonds global alimenté par une fiscalité internationale à mettre en place.
Les milieux d’affaire font pression pour que les projets REDD, qui fleurissent un peu partout dans le monde tropical sans attendre un accord international, puissent vendre directement des crédits carbone sur le marché du même nom : il ne sera pas trop difficile, anticipent-ils, de convaincre le marché que l’on protège des forêts qui sans cela auraient été déboisées. En effet, le mécanisme REDD repose sur la fabrication de scénarios « que se passera-t-il si l’on ne fait rien ? » par définition invérifiables (si le projet est réalisé le scénario de référence ne peut être observé) et donc aisément manipulables. En outre, faute de s’attaquer aux causes de la déforestation, les projets tendent simplement à déplacer les pressions de déforestation dans d’autres zones, ce qui peut annuler entièrement les gains carbone revendiqués. Les courtiers du carbone ont beaucoup à gagner avec une bulle de crédits REDD : les entreprises ou les États qui achèteront ces réductions pour compenser les leurs seront trop heureux d’acheter aux promoteurs de projets REDD ces crédits bon marché sans, dans la plupart des cas, se soucier de la réalité des réductions annoncées. Le risque d’une nouvelle création massive de « fausse monnaie climatique » (hot air, dans le jargon de la négociation climat) est très élevé. Déjà, se développent des marchés volontaires de la compensation carbone qui font appel très largement aux projets forestiers. Et les entreprises ne sont pas les seules : la Californie a passé des accords avec l'État d’Acre au Brésil et celui du Chiapas au Mexique pour compenser une partie de ses émissions grâce à des projets REDD, et des États australiens font de même en Indonésie. Un marché dérégulé remplit le vide d’une négociation multilatérale qui piétine.
Faut-il encore attendre un consensus de ce processus de négociation nécessaire mais interminable pour disposer d’un instrument capable s’attaquer aux causes de la déforestation ? La création d’un fonds international de lutte contre la déforestation dépend seulement d’une décision concertée d’un certain nombre de pays, qui pourraient décider de l’alimenter avec les fameux financements innovants qu’ils pourraient mettre en place chez eux. C’est l’idée de Georges Soros, qui plaide pour qu’un tel fonds soit alimenté, au moins dans un premier temps, par une taxe sur les billets d’avion – à l’instar du système mis en place à l’initiative de la France pour la lutte contre le sida – et qu’il finance également la transformation de l’agriculture dans les pays tropicaux. La Norvège, qui s’est engagée à verser jusqu’à un milliard de dollars au Brésil, mais aussi à l’Indonésie, pour financer la lutte contre la déforestation, souhaiterait qu’un tel fonds vienne rapidement relayer son effort quasi-solitaire.
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