Y a-t-il un risque protectionniste ? edit

25 septembre 2009

Le rendez-vous de Pittsburgh et la réunion ministérielle de l’OMC fin décembre sont l’occasion pour les décideurs de se pencher sur un dossier en déclin dans la hiérarchie politique actuelle. La menace d’une recrudescence abrupte du protectionnisme écartée, l’espoir d’une avance rapide de la libéralisation multilatérale enterré, le plus probable est que les gouvernements tergiverseront. Une voie possible serait d’améliorer les mécanismes de transparence qui relèvent de la seule responsabilité de chaque pays.

La situation actuelle des politiques commerciales montre des signes encourageants de stabilité – ou, selon le point de vue, des signes d’une stagnation exténuante. Nulle vague protectionniste comparable à celle qui a aggravé la dépression des années 30 n’a submergé le système multilatéral du commerce. Certes, de nombreux pays ont instauré des mesures ouvertement protectionnistes ou au moins douteuses. Mais tout porte à croire que les restrictions et distorsions resteront limitées. Pour autant, le cycle de Doha qui vise une libéralisation des échanges dans les domaines de l’industrie, de l’agriculture et des services n’a pas progressé. Ceci malgré les déclarations des chefs d’État qui voulaient une conclusion rapide des négociations afin d’inspirer de la confiance aux entreprises et de relancer l’économie. De même, les élections aux États-Unis et en Inde, très attendues, n’ont pas su re-dynamiser ce processus.

Pourtant, les enjeux à long terme justifient un engagement sérieux. L’opinion qui prévaut dans les rues et les cafés se dirige contre la globalisation et la libéralisation économique. Fin 2007 encore, l’élection de Nicolas Sarkozy pouvait laisser penser que l’opinion française s’était mise au diapason d’une scène globale plutôt favorable à l’ouverture des marchés. Aujourd’hui la confiance dans l’efficacité des marchés se trouve partout ébranlée. Le bouleversement dans le monde des idées a commencé l’an dernier avec la volatilité des prix agro-alimentaires. L’inquiétude pour la sécurité alimentaire – qui n’a pourtant été menacée à aucun moment dans les pays industrialisés – a touché un nerf sensible. Le coup suivant fut l’implosion de la bulle spéculative sur le marché de l’immobilier aux États-Unis, déclenchant la crise financière pour aboutir à la plus grave récession mondiale depuis 80 ans. Les économistes s’efforcent de souligner la différence entre le marché financier, qui a en effet besoin d’une supervision plus stricte, et celui des biens et des services, où moins d’intervention de l’État serait souhaitable. En vain ! Le mot d’ordre est pris : il faut revenir sur les excès du néo-libéralisme.

Cette disgrâce populaire envers les marchés pourrait retarder la conclusion des négociations de l’OMC et même préparer un retour lent de l’interventionnisme économique qui avait tant pesé sur le monde des années 70 et 80. Il faudrait donc assumer la lutte des idées et affronter ces tendances de façon plus systématique. En principe, l´OMC dispose d’une arme appropriée : le dispositif d'évaluation régulière des politiques et pratiques commerciales pour l’ensemble des états-membres. Mais l’usage actuel de ce dispositif est très décevant et son renforcement dépendra du consensus de tous les membres de l’OMC.

Il serait plus simple d’améliorer les mécanismes de transparence qui relèvent de la seule responsabilité de chaque pays. Partout dans le monde, on peut observer que les mauvaises mesures économiques bourgeonnent dans l’ombre d’une culture politique déplorable. Prenons le cas de la Politique Agricole Commune (PAC), le domaine où l’UE se montre plus protectionniste que nulle part ailleurs. Pour commencer, les objectifs de la PAC n’ont jamais été clairement établis. Le Traité de Rome de 1957 dresse une vague liste qui a été étendue à plusieurs reprises sans aucun sens de précision ou de priorité. De plus, des données basiques sont longtemps restées secrètes – notamment l’identité des bénéficiaires des subsides – ou le sont toujours, telle que la base de données sur la structure et les revenus de l’agriculture européenne. Les analyses de la Commission Européenne sur les effets de la PAC ne sont, elles non plus, pas toujours publiées. De toute façon, celles-ci sont superficielles et partiales : il leur manque une approche globale qui, au-delà des avantages pour l’agriculture, révèlerait aussi les coûts cachés pour la société.

L’Australie a montré comment la transparence politique peut être augmentée et quels bénéfices elle peut apporter. Depuis 1921, l’Australie est pourvu d’une commission pour conseiller le gouvernement en matière douanière. Cette commission a été renforcée dans les années 60 et a contribué considérablement à la libéralisation unilatérale de l’Australie entre le début des années 70 et la fin des années 90. Plusieurs traits caractéristiques expliquent la réussite de cette commission. Elle est indépendante du gouvernement et inspirée par l’excellence scientifique plutôt que par l’opportunité politique de son travail. Elle est chargée d’analyser les effets des mesures gouvernementales sur l’intégralité de l’économie pour contrer la perspective sectorielle qui prime souvent dans les ministères et parmi les parties prenantes. Ses enquêtes sont menées en public avec la participation d’experts externes. Enfin, ses résultats doivent être débattus au parlement dans un court délai après leur publication. Dans le passé, le gouvernement était également obligé de demander le conseil de la commission lorsqu’il voulait soutenir ou protéger un secteur. (Depuis que ce droit a été aboli, le gouvernement a d’ailleurs évité d’engager la commission sur des dossiers épineux.)

Les membres du G20 devraient donc décrire les attributs souhaitables de tels mécanismes de transparence et promettre d’en établir dans leurs pays. Lors de la prochaine réunion ministérielle de l’OMC, un catalogue plus détaillé des meilleurs pratiques en matière de transparence devrait être établi et le soutien financier et technique devrait être assuré pour tous les pays en voie de développement qui aspirent à se doter d’un tel mécanisme. Mais les chefs d’états ne dépendent pas d’un accord international pour créer une institution de transparence dans leurs propres pays. L’idée de la réciprocité entre États – si répandue à l’OMC – ne s’applique aucunement dans ce cas. Il s’agit d’un outil pour que la société puisse faire un choix éclairé sur sa politique commerciale et économique. Depuis quand faut-il attendre les pays étrangers pour avancer vers une démocratie plus efficace ?