Pourquoi la Russie n’est toujours pas à l’OMC edit

6 septembre 2006

Peu après son accession au pouvoir, Vladimir Poutine avait réactivé la négociation sur l’accession de la Russie à l’Organisation mondiale du commerce. Il affirmait alors vouloir rejoindre l’OMC à l’horizon 2003. Nous sommes en 2006 et les officiels russes nous resservent les discours des années 1990 : c’est pour l’année prochaine. Or, pour y arriver, il va falloir changer d’approche.

Il a certes fallu 14 ans à la Chine pour devenir membre, en 2000, et ce record de durée ne sera atteint par la Russie que l’an prochain. Mais ce processus aurait dû être beaucoup plus facile dans le cas russe ; cela fait des années que la Russie a été reconnue comme étant une économie de marché, alors que ce n’est pas encore le cas de la Chine.

A moins que la Russie n’ait pas vraiment besoin de l’OMC ? Après tout, ce pays exporte principalement du pétrole et du gaz, un marché où les acheteurs se pressent, ce qui le met a priori à l’abri de menaces protectionnistes. De surcroît, la Russie a peu souffert du protectionnisme dans les dernières années – les mesures antidumping ne touchent que quelque 1% des exportations russes – mais cette situation pourrait se dégrader dès que le boom des matières premières retombera. Un cinquième des exportations russes porte sur des produits chimiques et sidérurgiques, fortement sensibles aux résurgences protectionnistes.

Tant que la Russie ne sera pas membre de l’OMC, elle n’aura aucune protection légale de ses exportations. Elle ne pourra jamais gagner un différend sur l’antidumping, car c’est à l’OMC que se trouve la Cour d’arbitrage internationale jugeant les cas et imposant les pénalités.

La Russie est aujourd’hui la plus grande économie du monde non membre de l’OMC (qui comporte 149 membres). Tout laisse penser que l’Ukraine en sera membre avant la Russie, dans la mesure où le président Iouchtchenko a déclaré sa ferme intention d’obtenir l’accession avant la fin de l’année. Le problème de la Russie n’est pas que les demandes de l’OMC soient très contraignantes, ou encore que son économie soit empêtrée dans d’importantes distorsions. Au contraire, ces demandes sont moins sévères que celles ayant été adressées à la Chine: le problème est plutôt celui de la perception de la nature de l’Organisation.

Tout d’abord, l’OMC est un club. Les candidats doivent se conformer aux règles du club, telles que les membres actuels les interprètent. Dès lors, la Russie ne peut pas compter sur son poids dans les négociations, comme elle le fait à d’autres occasions; ses méthodes traditionnelles de négociation sont inefficaces. Le Kremlin ne comprend pas que les membres actuels peuvent lui imposer les règles actuelles de l’Organisation.

Deuxièmement, la Russie a un pouvoir important, et est habituée à en tirer un traitement différencié. Or, l’OMC a cette particularité de demander plus aux grandes qu’aux petites économies. Chaque membre du club peut requérir du nouvel entrant un protocole bilatéral d’accession en termes d’accès aux marchés. La Russie doit conclure de tels accords avec pas moins de 68 pays, contre seulement 50 dans le cas de l’Ukraine. Beaucoup de pays s’inquiètent des effets de l’entrée d’une grande économie, peu se soucient de l’entrée du Kirghizistan ou de la Géorgie. Les officiels russes auront beau s’exclamer “vous ne pouvez pas traiter la Russie comme ça !", l’OMC continuera de discriminer les grandes économies lors des négociations d’accession. La Chine l’a compris et accepté, et plus tôt le Kremlin le fera, plus tôt la Russie pourra accéder à l’Organisation.

Une troisième illusion est que la Russie obtiendra de meilleures conditions en prolongeant les négociations. En réalité c’est l’inverse à l’OMC. Plus vous attendez pour rejoindre l’organisation, plus le nombre de pays vous adressant des demandes augmente, les conditions d’accession se durcissant du même coup. Parce qu’ils n’ont pas compris cela, les officiels russes se plaignent de cette surenchère. Si l’Ukraine parvenait à faire ratifier son accession avant la Russie, ce qui prendra un an, elle pourrait résoudre ses problèmes commerciaux avec son voisin russe en les transformant en ultimatums posés à l’accession de la Russie.

Quatrièmement, les Russes se plaignent du caractère politique des demandes américaines. En réalité ces demandes sont purement commerciales. Personne, à l’exception peut-être du Kremlin, ne tente de politiser l’accession de la Russie à l’OMC. Les négociateurs américains sont dos au mur lorsqu’ils sont confrontés au Congrès, lequel répercute les intérêts bien compris du monde des affaires. Si les négociateurs américains concluent un accord inacceptable du point de vue des affaires, le Congrès bloquera l’accession russe. Il vaudrait mieux éviter d’en arriver là.

Finalement, Vladimir Poutine s’est complètement fourvoyé à Saint-Pétersbourg lors de sa rencontre avec George W. Bush. Apparemment, lui – ou ses conseillers – pensait qu’il pourrait faire accepter à Bush des règles phytosanitaires permettant à la Russie de bloquer à sa convenance les importations de porc et de bœuf américain. Comment imaginer que le Congrès laisse passer cela ? Les intérêts agricoles du pays sont en jeu : le Kremlin ne comprend pas que Bush est encore plus sous contrainte que Poutine.

Tous les membres de l’OMC répètent à l’envi qu’ils souhaitent l’accession de la Russie, mais c’est au Kremlin de regarder la réalité en face et d’accepter les règles du jeu.