OMC : en cas d’échec, y a-t-il un plan B ? edit

20 mars 2006

Le cycle de négociations multilatérales engagé à Doha, plus connu comme le « Cycle du développement », est à un stade critique. La date butoir pour s’entendre sur le minimum syndical – les coefficients des formules utilisées, les exceptions, une relance des discussions dans les services – est fin avril. Pourquoi une telle hâte alors que le sommet de Hongkong de décembre dernier avait laissé des pans entiers de la négociation dans l’ombre ? La raison est simple : la fenêtre de négociations pour les autorités américaines se refermera à la fin de l’année ; ensuite, il faudra redemander un mandat du Congrès, et ce dernier ne sera pas trop enclin à le donner. L’économie américaine se désindustrialise à toute allure, il n’y a plus d’adjectifs pour qualifier le déficit courant. Il sera difficile d’expliquer les bienfaits de la mondialisation à des sénateurs voyant les dollars accumulés en Chine rôder autour des entreprises américaines. Le doute s’installe à tous les niveaux : après le Nobel Paul Samuelson, père de la théorie moderne de la spécialisation des pays et parangon du libre-échange, ayant avancé que les délocalisations pouvaient appauvrir l’Amérique, Paul Krugman stigmatise la politique du Président Bush accusé de « ne s’intéresser qu’aux riches et aux plus riches », et incapable d’empathie à l’égard du cœur de la société américaine frappée par les effets d’une « concurrence indienne ».

Du côté européen, l’affaire est également difficile à conduire, et Peter Mandelson se trouve confronté à une situation inédite à l’OMC : un Round agricole, ou presque, dans lequel lorsque tout ce qu’il pouvait donner a déjà été accordé, alors qu’on lui demande de faire plus et mieux en l’échange de concessions hypothétiques des autres parties. Non pas que ce qui ait été accordé soit une tempête pour l’agriculture européenne, les effets sont modérés en moyenne et le découplage des outils de la PAC a déjà préparé le terrain, mais parce que certaines productions, certaines régions pourraient être assez durement touchées. Jean-Christophe Bureau montre pourquoi il va être politiquement très coûteux de réduire les derniers écarts : il est très difficile d’accepter les concessions supplémentaires demandées par les Etats-Unis ou le Brésil. Le problème est de surcroît qu’il va être délicat de trouver des intérêts européens offensifs (dans l’industrie, dans les services) susceptibles d’élever la voix pour couvrir le concert de protestations afin de protéger le bénéfice qu’ils tirent de la négociation : tout le monde a bien compris que les pays émergents ne vont pas ouvrir massivement leurs frontières cette fois-ci.

Résumons la situation : on négocie sur 26 sujets à quelque 150 pays. L’affaire n’est pas simple puisqu’il faut aboutir à un consensus. Elle n’est toutefois pas aussi difficile qu’il pourrait paraître. Une partie des pays, les Pays les moins avancés dont parle Antoine Bouët dans son article, ont obtenu un Round pour rien. C’est un Monopoly où ils ne payent pas en s’arrêtant sur les cases, mais où ils ne pourront pas non plus acheter de terrains ou d’hôtels. On ne leur demande pas de libéraliser, mais du coup ils n’auront pas l’occasion de rendre leurs économies plus efficaces, tandis que les avantages dont ils bénéficiaient jusque-là vont s’éroder à mesure que les barrières que leurs produits contournaient avec des droits de douane réduits vont s’abaisser pour tous. Ont-ils pour autant intérêt à un échec du Cycle ? Pas évident nous dit Bouët : ces pays pourraient gagner à l’ouverture de nouveaux marchés agricoles dans d’autres pays en développement, voire de produits textiles. Ensuite parce que les schémas préférentiels leur ayant été accordés par le passé sont une sorte de cadeau empoisonné : ils endorment la réactivité de leur économie et les ont enfermés dans des spécialisations aujourd’hui soumises à rude concurrence (le textile chinois par exemple). A court terme, tout cela est avantageux, mais à long terme c’est probablement un mauvais service leur ayant été rendu. D’où finalement l’idée de les aider à bénéficier des opportunités du marché mondial qu’ils n’arrivent pas à saisir ; pour cela, il faut de l’argent, probablement beaucoup d’argent, et on commence à évoquer cette idée dans le cadre de ce qui devrait s’appeler Aid for Trade. Perçu comme une compensation donnée aux PMA pour les faire adhérer à un projet ne les concernant plus, ce programme pourrait toutefois les aider : Bouët nous rappelle dans un second article que toutes choses égales par ailleurs, les PMAs bénéficient presque moitié moins des opportunités du marché mondial que les autres pays.

Et si l’on échouait ? Y a-t-il un plan B ? Le plan B, c’est le régionalisme, terme malencontreux utilisé pour parler des accords préférentiels, comme celui attendu entre l’UE et le Mercosur, voire entre l’UE et l’ASEAN. Tout cela n’est pas très régional, mais très efficace car beaucoup plus simple à négocier. On arrête de perdre son temps à 150 autour de la table et on parle des sujets qui motivent, en rangeant les sujets qui fâchent, chacun donnant ses listes d’interdits. On peut aller beaucoup plus loin qu’à l’OMC, et beaucoup plus vite. Et le Brésil sait que s’il pousse encore ses exigences dans le cycle, c’est finalement avec les Etats-Unis qu’il devra négocier, dans le cadre du projet de zone de libre-échange des Amériques.

Les pays en développement devraient-ils se réjouir de cette perspective ? Pas tous, les plus pauvres ayant peu de perspectives d’entrer dans de tels schémas nous dit Akiko Suwa, tandis que ceux qui y rentrent feraient bien d’y regarder à deux fois : le Mexique a plutôt vu les inégalités internes croître suite à son accord avec les Etats-Unis et le Canada, accord qui est finalement en termes quantitatifs et pour des raisons évidentes un accord avec son grand voisin.

On le voit,la question centrale est de savoir si les pays moteurs de cette négociation, USA, UE, grands émergents, ont encore une préférence marquée pour le multilatéralisme, ou si chacun d’entre eux croit pouvoir s’appuyer sur son poids dans l’économie mondiale pour conduire des négociations décentralisées dans lesquelles le rapport de force serait plus favorable. Réponse dans un mois.

Cet article a été repris par Le Figaro Economie le 21 mars 2006.