Le bon usage de l'aide au commerce edit

Nov. 15, 2007

« L'aide au commerce » n'est pas la solution miracle pour le développement et la mondialisation. Economistes et décideurs doivent regarder de plus près la conception spécifique de chaque mesure, évaluer son impact potentiel sur les termes de l’échange et considérer le couple spécifique donateur/bénéficiaire.

Dans les années soixante-dix, les choses étaient claires : l'aide et le commerce représentaient deux mondes différents. Ils visaient des groupes de pays différents, ils étaient animés par des organismes différents, et leur volume était comparable. Aujourd’hui, cette image est brouillée. Le commerce a désormais la part du lion dans les échanges Nord-Sud. En 2004, les pays à bas et à moyen revenu ont exporté 1985 milliards de dollars de biens vers les pays à haut revenu, alors qu’ils n’ont reçu que 84 milliards sous forme d'aide (assistance officielle nette au développement et aide officielle), un montant inférieur aux investissements directs étrangers reçus par ces pays ou aux envois d’argent des travailleurs expatriés.

Nombreux sont désormais ceux qui voient le commerce international comme un facteur nécessaire, sinon suffisant, de la croissance économique. Par ailleurs, on a critiqué l'aide au motif que trop de prêts et de dons semblaient avoir été accordés interminablement et à maintes reprises aux mêmes pays, sans résultat notable. La « fatigue de l’aide « a frappé les donateurs, qui ont réexaminé leurs modes d'intervention dans les pays en voie de développement. Ils ont demandé plus d'efficacité dans l’utilisation de l’aide, et la recherche d’une cohérence entre les politiques.. Ils ont souhaité concevoir des politiques commerciales qui auraient du sens dans une perspective de développement. Le Cycle de Doha, qui a commencé en 2001, a été fondé sur ces prémisses. Pour les pays en voie de développement qui ne pouvaient pas profiter d'une libéralisation multilatérale fondée sur la réciprocité de l'accès au marché, divers accords préférentiels ont été mis en place, qui leur ont donné un accès sans droit de douane aux marchés du Nord. L'Union européenne a lancé l’initiative Tout sauf les armes ; les Etats-Unis ont mis en œuvre le African Growth Opportunity Act. Bien sûr, tous les produits n’ont pas été concernés, au moins dans l’immédiat, et l'application des règles d'origine a suscité quelques limitations. Mais, à tout prendre, cet accès préférentiel au marché a été une bénédiction pour certains des pays les moins avancés. Par ailleurs, les coûts d'ajustement associés à l’ouverture commerciale et leurs implications sociales sont apparus en tête des priorités politiques, non seulement au Sud mais également au Nord. Les questions intérieures comme la concurrence, les subventions publiques ou la législation du travail se sont mêlés de plus en plus étroitement aux questions internationales.

En conséquence, le partage du monde entre la communauté du commerce et la communauté du développement a cessé. Leur convergence a eu pour résultat l’avènement du concept d’ « Aide pour le commerce ». Ce dont avaient besoin les pays en voie de développement, ce n’était pas seulement d’une assistance technique pour les échanges commerciaux, mais plus généralement d’une aide destinée à alléger le coût social de l’ouverture commerciale et à réduire le coût des transactions, nombre de ces coûts se situant à l’intérieur de leurs frontières. Avec une définition aussi large, l'aide pour le commerce englobe non seulement les politiques et les règlements commerciaux ou la promotion des échanges, mais aussi l'assistance aux infrastructures économiques locales. En 2005, l'aide ainsi définie a représenté 26 milliards de dollars et 36,5 % de l’assistance officielle au développement allouable aux secteurs (en excluant donc l'aide humanitaire et l'aide alimentaire). L'aide pour le commerce est fragmentée entre une myriade de donateurs bilatéraux et multilatéraux, malgré les efforts de coordination que représentent des initiatives comme le Cadre Intégré. Ce dernier, ciblé sur les pays les moins avancés, coordonne six institutions multilatérales avec (en principe) un engagement fort d’acteurs locaux.

Que dit la recherche quant à la relation complexe entre aide et commerce ? Quelles sont aujourd’hui les perspectives de l'aide pour le commerce ? Est-il préférable de donner davantage aux pays en voie de développement ou de leur accorder un meilleur accès au marché ? L'argument traditionnel est que les instruments directs sont toujours préférables. Dans ce cas, l'aide devrait être préférée à l’accès au marché comme outil de développement.

Toutefois, cet argument ne tient pas compte des effets secondaires de l'aide sur les prix relatifs. Par exemple, une aide qui financerait des biens non échangeables comme les dépenses de santé ou d’éducation pourrait miner la compétitivité des pays en voie de développement, en modifiant les prix relatifs entre biens échangeables et non échangeables (les termes de l’échange internes). L’aide pourrait aussi affecter les termes de l’échange externes (le prix relatif des exportations par rapport aux importations), entre ce pays et le pays donateur. Par exemple, le fait que l’aide puisse être « appauvrissante » pour le pays en développement, en réduisant ses termes de l’échange par rapport au pays riche, est bien connu et a été décrit par la littérature spécialisée comme « le paradoxe des transferts ». D’une façon intéressante pourtant, on a montré que le paradoxe des transferts se présente seulement dans le cadre de politiques commerciales spécifiques, en particulier quand des politiques portant sur les prix (comme les droits de douane) préexistent au transfert. Si ce n'est pas le cas, par exemple quand le pays en voie de développement impose des restrictions quantitatives sur les importations, le paradoxe des transferts ne se produit pas. En effet, dans ce cas, le changement dans les termes de l’échange est rendu inopérant par les quotas. En revanche, si le pays en voie de développement impose des droits de douane sur ses importations, la probabilité que l’aide soit appauvrissante est plus élevée. Dans ce cas, les importations subissent à la fois le droit de douane et la détérioration des termes de l’échange externes. Ce genre de raisonnement montre bien comment la politique commerciale et la politique d'aide (ie. les transferts) peuvent interagir dans les questions de croissance et de développement. Le lien entre aide et politiques commerciales est illustré empiriquement par une étude récente de Rajan et Subramanian qui montre que dans les pays recevant plus d'aide, les secteurs exportateurs intensifs en main-d’œuvre croissent plus lentement que les secteurs à forte intensité de capital et non-exportables. Cela corrobore l’idée que l’aide étrangère peut réduire la compétitivité des pays en voie de développement.

Que faire face à ces interactions potentielles ? Une façon d’échapper au risque de paradoxe des transferts peut être de conditionner l'aide à la libéralisation des droits de douane dans le pays en développement. L’aide internationale et la politique commerciale du pays concerné sont alors considérés comme des compléments stratégiques. Une autre solution serait d'éviter la détérioration des termes de l’échange en s'assurant que l'aide étrangère contienne suffisamment de biens échangeables. À cet égard, l’aide pour le commerce présente des avantages, parce que l'assistance technique est souvent intensive en importations.

Cependant, on ne dispose pas encore d’évaluation directe des effets de l’aide pour le commerce, et pour cela, de nombreuses difficultés doivent être évités. Tout d’abord, et c’est le cas dans l’ensemble de la littérature sur les liens entre ouverture et croissance, il est difficile de distinguer empiriquement entre les politiques et leurs résultats (c’est-à-dire les flux commerciaux). La plupart des études empiriques ne concernent que les flux, alors que la discussion théorique s’intéresse aussi aux politiques. Ensuite, il est difficile d’évaluer l'effet « pur » de l'aide pour le commerce. La causalité peut aller du commerce à l’aide : l’État donateur pourrait être attentif à des intérêts privés et préférer allouer son aide à ses partenaires commerciaux. Un facteur géostratégique commun peut aussi amener les deux pays à resserrer leurs liens d'aide et de commerce. La dimension politique de ce lien est évidente, mais elle n’agit pas de manière uniforme.

Empiriquement, le rapport de causalité entre les flux d'aide et de commerce dépend aussi du couple de pays considérés (le donateur et le bénéficiaire). Quand la causalité va de l'aide au commerce, une étude de Lloyd, Morrissey et Osei (2001) montre que l’aide commence par réduire les flux d’échanges, qui n’augmentent qu’au bout de deux ans. Quand la causalité va dans l’autre sens, du commerce vers l’aide, on a montré que les donateurs se montraient d’autant plus généreux que les bénéficiaires achetaient proportionnellement plus chez eux, ce qui révèle un motif stratégique dans l'allocation de l’aide.

Malgré ces difficultés, il semble que l'aide pour le commerce a un impact positif sur les flux d’échange. Cependant, l’ampleur de l'impact dépend du degré d'accès aux marchés du Nord. Des simulations montrent qu'une réduction du coût des transactions commerciales profiterait plus à l’Asie du sud-est qu'à l’Amérique latine ou à la région d’Afrique du Nord et du Moyen Orient, et bien plus qu’à l’Afrique subsaharienne.

L'aide pour le commerce n'est pas la solution miracle et passe-partout qui réconcilierait le développement et la mondialisation. Notre discussion suggère au contraire que les économistes et les décideurs doivent scruter la conception spécifique de chaque mesure, évaluer son impact potentiel sur les termes de commerce et, dans le cas de relations bilatérales, considérer avec attention le couple donateur-bénéficiaire considéré.

Une version anglaise de ce texte est publiée sur le site de notre partenaire VoxEU

Cette tribune résume un article de A.Suwa-Eisenmann et T.Verdier, Aid and Trade, publiée dans l’Oxford Review of Economic Policy (2007); une première version est parue sous la forme d’un document de travail du Centre de développement de l'OCDE (N°254), repris comme CEPR discussion paper (No 6465).