Le régionalisme est-il une alternative au multilatéralisme ? edit

20 mars 2006

En cas de blocage des négociations multilatérales à l’OMC, les pays en développement ayant fait le choix de l’ouverture se reporteront inévitablement sur les accords commerciaux régionaux : Alena, Mercosur, Partenariat Euro-méditerranéen, Accords de partenariat économiques entre l’Union Européenne et les pays ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique), Accord de libre échange des Amériques... Est-ce une alternative à un blocage des négociations multilatérales ? Rien n’est moins sûr.

En effet, les accords régionaux correspondent à un certain type de libéralisation. Il y a manière et manière de libérer les échanges. On peut le faire vis-à-vis de tous et avec tous, c’est la voie multilatérale suivie à l’OMC. On peut aussi libéraliser les échanges envers quelques-uns, sans contrepartie de la part des bénéficiaires, comme dans les schémas préférentiels envers les pays les moins avancés, ou en impliquant une réciprocité entre les partenaires, comme dans les accords régionaux. Enfin, dernière distinction, la libéralisation peut être permanente ou temporaire. Les schémas préférentiels, mis à part l’initiative européenne Tout Sauf Les Armes, sont temporaires et soumis au bon vouloir des Etats accordant la préférence. Par contraste, l’OMC et les accords régionaux reposent sur des règles définies de manière permanente, contribuant ainsi à fonder un édifice de droit, aussi imparfait soit-il.

Les raisons du succès des accords régionaux tiennent donc en un mot, celui de « préférence ».

Dans le processus régional, les Etats pensent pouvoir mieux contrôler la libéralisation, en choisissant les partenaires et les biens à libéraliser. Cette possibilité de contrôle est précieuse dans un contexte d’internationalisation de la chaîne de production, où l’on n’échange plus des produits finis, mais des composants ou sous-ensembles de ces produits. Désormais, 40% des exportations mondiales sont le fait d’échanges « verticaux » du même bien à divers stades de la production. Dans ce contexte, les accords régionaux créent des chaînes régionales de valeur ajoutée, notamment grâce aux règles d’origine, qui édictent les conditions à remplir pour qu’un bien puisse bénéficier de la préférence tarifaire. Pour le textile, dans l’accord de libre échange nord-américain (Alena), les Etats-Unis ont ainsi repris d’une main ce qu’ils accordaient de l’autre, en octroyant une préférence tarifaire élevée aux exportations mexicaines de vêtements, au prix de règles d’origine restrictives qui obligeaient en pratique les Mexicains à acheter aux filateurs américains. D’ailleurs, le texte même de l’accord de libre-échange fait une quinzaine de pages, tandis que l’annexe sur les règles d’origine en fait trois cents. Les accords régionaux sont vraiment, au sens propre, du « sur-mesure ».

Sont-ils pour autant efficaces ? Pour les économistes, la libéralisation vis-à-vis de l’ensemble des partenaires, sans distinction, comme à l’OMC, entraîne une baisse des prix (due à une réallocation des facteurs et à la possibilité de faire jouer les rendements d’échelle), une augmentation du nombre de produits disponibles et, à terme, une incitation pour les firmes à innover en raison d’une concurrence accrue. Ici, le régionalisme et la préférence présentent des inconvénients : si l’on préfère certains partenaires commerciaux, c’est bien au détriment d’autres qui seront exclus. De fait, les gains purement économiques d’un accord régional sont faibles et dépendent de la perte représentée par le fait de se priver de fournisseurs bon marché mais lointains (effet de diversion).

L’impact sur les échanges n’est cependant qu’un aspect de la question : ce que les pays en développement espèrent en signant un accord régional, ce sont plutôt des effets sur la croissance ou les investissements directs étrangers. L’Alena, de nouveau, est un bon exemple, en suscitant un boom d’investissements étrangers au Mexique. Cependant, il est difficile de faire la part des choses entre ce qui est dû proprement à l’Alena, et ce qui est dû à d’autres facteurs parallèles, comme le fait de disposer d’une frontière commune, la crise du peso fin 1994 ou les fluctuations de la croissance américaine. Au total, l’Alena n’a pas eu d’effet positif sur la croissance : cet accord a plutôt augmenté les inégalités internes au Mexique. En revanche, la succion des emplois américains prédite par Ross Perot n’a pas eu lieu : les pertes d’emplois aux Etats-Unis dues à l’ALENA seraient de moins de 100 000 par an, un chiffre absolu non négligeable, mais à mettre en regard d’un emploi total de plus de 120 millions de personnes.

Le bilan purement économique des accords régionaux est donc mitigé. L’abandon du multilatéralisme pour le régionalisme creusera l’écart entre pays émergents acteurs du régionalisme, pays pauvres pouvant tirer partir des schémas préférentiels, et pays encore plus pauvres n’arrivant pas à accéder aux marchés du nord par manque d’infrastructures essentielles.