Comment changer quelque chose à la politique monétaire ? edit

8 janvier 2007

Les déclarations des politiques français de tout bord se sont multipliées au cours du mois de décembre pour fustiger l'euro fort et la rigidité de l'objectif de stabilité des prix de la BCE. Ces déclarations sont généralement accueillies avec un certain dédain par la communauté d'experts en politique monétaire : puisque la BCE est indépendante, les politiques parlent mais le train de la BCE continue son chemin.

En réalité les choses ne sont pas si claires dans le Traité de l’Union Européenne et les propositions des candidats à la présidentielle devraient donc mériter un peu plus d’attention. Trois types de propositions sont faites : changer les statuts de la BCE, avec le but avoué de réduire son indépendance, donner moins de poids à l’objectif de stabilité des prix pour en accorder plus à l’emploi et à la croissance, et enfin améliorer le dialogue entre l’Eurogroupe (ou les gouvernements des pays de l’UE plus généralement) et la BCE. Examiner ces propositions dans le cadre institutionnel du Traité montre que toutes les portes à des modifications de la BCE ne sont pas fermées.

Changer les statuts de la BCE pour amoindrir son indépendance ou la soumettre davantage aux décisions politiques paraît irréaliste. L’indépendance de la BCE est gravée dans le marbre du Traité, qui spécifie aussi que l’objectif premier de la BCE est la stabilité des prix. Sans préjudice de cet objectif, la BCE peut également apporter son soutien à la croissance et l’emploi. Une modification du Traité en vue de modifier ces statuts demanderait l’unanimité des 27 membres de l’UE, ce qui est bien sûr hautement improbable. En revanche, le Traité ne donne pas de définition précise de ce qu’est la stabilité des prix et laisse la définition de la politique monétaire à la BCE. A la question « qui est responsable de définir la stabilité des prix ? », le Traité n’apporte pas de réponse.

En pratique, le Traité a donc laissé la possibilité aux gouvernements d’influencer la politique monétaire au travers de la définition de stabilité des prix. Les procédures européennes offrent la possibilité d’une concertation entre les ministres, la Commission et la BCE qui pourrait conduire à établir une définition des prix plus consensuelle. Pour cela, il faudrait que la Commission (qui a le pouvoir de proposition), après consultation de la BCE, émette une recommandation proposant une définition de la stabilité des prix. La BCE serait consultée, parce que c’est requis par le Traité, et parce qu’elle ne peut recevoir d’instructions d’aucun gouvernement ou organisation, et parce qu’elle a pris un avantage tactique considérable en formalisant la première (avant la Commission et le Conseil des Ministres) la notion de stabilité des prix. Cette recommandation, qui serait ensuite entérinée par le Conseil, pourrait donc conduire à une formulation de la stabilité des prix plus « légitime » puisque approuvée par les Etats Membres plutôt que décidée unilatéralement par la BCE.

En réalité, la poursuite de la stabilité des prix telle que définie par la BCE n’a pas été très restrictive pour l’activité : le taux de croissance des prix en zone euro a, la plupart du temps, été au-dessus de 2% et ce n’est que depuis très récemment que l’inflation a ralenti en dessous de ce seuil. Et il semble paradoxal de s’attaquer à cet objectif de stabilité des prix alors que le discours vitupère « la vie chère » tout autant que la perte de pouvoir d’achat. Cela dit, redéfinir par les gouvernements tout autant que par la BCE l’objectif de stabilité des prix aurait le mérite de lui attribuer une plus grande légitimité démocratique qu’actuellement et permettrait aux gouvernements de se réapproprier la politique monétaire au lieu d’en faire un autre bouc émissaire européen.

Par ailleurs, et peut-être plus rapidement applicable, les gouvernements pourraient avoir une certaine liberté dans la formulation de la politique de change. En effet, le Traité est ambigu sur la responsabilité de la politique de change. Si la BCE est responsable de la conduite des opérations de change, le Traité permet aux ministres des finances de fixer les orientations de cette politique, de nouveau sans préjudice de l’objectif de stabilité des prix. Cela se fait sur recommandation de la Commission, après consultation de la BCE, et avec un vote à majorité qualifiée du Conseil. Dans ce cadre, les dernières projections de la BCE, dans lesquelles l’inflation serait en dessous de 2% dans le moyen terme, ouvrent une porte dans laquelle les ministres des Finances pourraient s’engouffrer pour émettre une telle recommandation si l’euro continue de s’apprécier. Ceci dit, il faut rappeler les limites d’une telle opération : la pratique montre que les interventions sur le change n’ont généralement qu’un impact de très court terme et ne permettent pas de le stabiliser à un niveau cible qui, lui, dépend des fondamentaux de l’économie – différentiels de productivité et taux d’intérêt. Comme ces derniers jouent en faveur du dollar, on pourrait penser que l’appréciation de l’euro n’est pas un phénomène pérenne dans le moyen terme (à long terme, le déficit courant américain devrait jouer dans l’autre sens).

Enfin, il est toujours possible de renforcer le dialogue entre la BCE et l’Eurogroupe, sur la base de la bonne volonté de ces deux institutions, ou en accordant un statut plus formel à celui-ci. Cette idée repose sur l’hypothèse qu’un dialogue accru entre la Fed et le gouvernement américain a permis d’équilibrer l’objectif de stabilité des prix avec celui de la croissance et l’emploi aux Etats-Unis. Elle figurait également dans la Constitution, et a connu une première avancée avec la nomination d’un Président de l’Eurogroupe pour deux ans, à la place de la présidence tournante sur six mois qui prévalait jusque l’an passé. Cela dit, l’objectif poursuivi par les avocats d’un dialogue plus régulier entre la BCE et l’Eurogroupe n’est pas toujours clair. La BCE restera indépendante et ne peut qu’être sceptique au regard de la performance de l’Eurogroupe, qui est loin d’avoir fait ses preuves dans son objectif de prédilection, la discipline budgétaire .

Au total, il ne paraît pas raisonnable de suggérer que des inflexions significatives puissent être données à la politique monétaire par le biais d’injonction des gouvernements européens. En revanche, sous réserve d’une volonté similaire chez nos voisins de la zone euro et de la coopération de la BCE, à court terme les autorités politiques pourraient fournir des lignes directrices sur le change de l’euro, et à moyen terme les gouvernements de la zone euro pourraient insuffler plus de légitimité démocratique à l’objectif de stabilité des prix.