Zone euro : l’intergouvernemental ne marche pas ! edit

Dec. 3, 2011

Le traitement de la crise de la zone euro ne s’adresse pas à la zone euro dans son ensemble. Au contraire, chaque étape de résolution de la crise depuis deux ans s’est attachée à distinguer les situations : d’abord parce que chaque traitement d’éruption de crise est fait au cas par cas national, ensuite parce que le mode de gestion de la crise revient sur la méthode communautaire pour privilégier l’intergouvernemental.

Le fait de privilégier l’intergouvernemental se fait au nom de la rapidité d’action. Mais c’est le contraire qui se produit. En outre, l’inter-gouvernementalisme incite chacun à privilégier ses arguments nationaux. La méthode communautaire, par contraste, privilégie des solutions européennes : c’est elle qui a favorisé la création de la monnaie unique, du grand marché et des politiques associées.

Il y a deux illustrations au « nationalisme » des méthodes de traitement : la totale ignorance d’un possible traitement du secteur bancaire au niveau de la zone euro, et les limites strictes de l’engagement budgétaire de chaque pays pour assurer la stabilité financière de la zone.

Les secteurs bancaires de la zone euro sont liés par leurs expositions croisées aux dettes souveraines de chaque pays. Les publications se sont multipliées pour montrer les expositions « transfrontières » de l’ensemble des systèmes financiers européens, de sorte que la dette souveraine d’un pays peut poser un problème à l’ensemble des banques de la zone. Idem pour les assurances et fonds de pension. Et cependant ce problème est traité de façon nationale : le régulateur européen n’a que de faibles pouvoirs en regard des 17 régulateurs nationaux, les « tests de résistance » en sont la preuve. Les deux séries de tests ont été quasi immédiatement suivies de faillites bancaires, les discréditant significativement. Aux premiers, la faillite du secteur bancaire irlandais, aux seconds, la faillite de la banque franco-belge Dexia. Et cela parce qu’il aurait fallu l’indépendance d’un régulateur non national, dont une des missions n’est nécessairement pas de préserver la compétitivité de son industrie bancaire nationale, pour effectuer des tests crédibles et impartiaux. Seule une entité impartiale et dotée des moyens financiers nécessaires pour restructurer le secteur bancaire européen de la zone euro aurait pu prendre des décisions forcement nationalement désagréables, mais bénéfiques au système bancaire européen « dans son ensemble ».

Le Fonds européen de stabilité financière symbolise encore plus l’engagement budgétaire limité de chaque Etat à la stabilité financière de la zone ; le communique européen du 26 octobre a cristallisé ce symbole. Au départ, en mai 2010, le FESF a été construit pour que l’engagement des Etats soit strictement limité, alors même que l’ampleur du problème de la dette concerne l’ensemble de la zone. De même, le choix d’éviter une restructuration de la dette grecque était aussi (en partie) celui d’éviter une mutualisation des pertes liées à la Grèce sur l’ensemble des systèmes financiers de la zone euro. Dernièrement, fin octobre, la zone euro a confirmé au marché son refus de s’engager fortement pour l’avenir de l’euro : plutôt que de faire un pas en avant dans l’intégration financière, au travers de transferts budgétaires, ce qui aurait permis d’enrayer la contagion à l’Italie et l’Espagne, la zone euro a préféré chercher des fonds chez les pays émergents, dans les fonds souverains, auprès de la Chine ou du FMI, alors même que la plupart de ces pays ont un revenu par tête inferieur à la zone euro... Le signal était très clair : la zone euro refusait de mettre ses richesses en commun pour assurer la reconstruction budgétaire de certains de ses membres et préférait faire appel au reste du monde pour sauver certains d’entre eux.

Cependant, en même temps, une certaine mutualisation des dettes et des risques se fait au travers de la BCE. C’est en fait le cas du système monétaire. La BCE accusée de tous les maux a en réalité commencé à mutualiser les dettes (même si elle le fait au prix de marché et non au prix d’émission, ce qui diminue les pertes potentielles). D’abord parce qu’elle achète des dettes souveraines (probablement de l’ordre de 150 milliards d’euro aujourd’hui). Ensuite parce que le système de provisions de liquidité se fait en échange de garanties qui pour une grande part sont des dettes souveraines. Enfin, par le système de compensation entre les banques : quand un Grec achète une voiture allemande, un transfert monétaire s’effectue de la Grèce vers l’Allemagne. Avant la crise, l’Allemagne investissait en Grèce, et globalement les flux financiers s’annulaient. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas, de sorte que la BCE a un compte allemand (la Bundesbank) créditeur et un compte grec (la Banque centrale grecque) débiteur. En cas de défaut, la Bundesbank perdrait tout cet argent.

Ce grand écart entre l’attachement à la souveraineté nationale budgétaire, alors même que les transferts budgétaires au travers de nos systèmes financiers et monétaires sont à l’œuvre, pose question. La crise des dettes s’aggrave de jour en jour et la contagion touche maintenant l’ensemble de la zone ou presque. La BCE s’apprête à prendre encore plus de risques budgétaires pour la zone en fournissant des liquidités à toutes les banques de la zone euro sur plusieurs mois, voir bientôt plusieurs années tout en acceptant en garantie une gamme encore plus large d’actifs. La mutualisation des pertes potentielles est donc de plus en plus importante : le cout potentiel d’une fragmentation de la zone euro devient ainsi plus élevé au fur et a mesure que les risques grandissent et que les pertes sont mutualisées a travers la BCE. Il est donc peu étonnant que les marches perturbés s’interrogent sur les orientations des européens : si les Européens n’avancent pas vers une intégration budgétaire, ils risquent de faire face à un choc systémique qui n’en épargnera aucun tant est grande, en pratique, la mutualisation des risques budgétaires et financiers. La réponse qu’ils attendent va donc au-delà de savoir si la BCE fera marcher ou non la planche a billet pour la zone. La question est de savoir si cette mutualisation « cachée » des dettes représente les prémices d’une zone intégrée, avec un PIB et des richesses « dans leur ensemble » capable de faire face à la crise et aux ajustements nécessaire. Dans le cas contraire, l’intégration des systèmes financiers au travers des dettes souveraines notamment est telle que l’on se dirige vers une des plus grandes crises financières et souveraines depuis les années 30.