La France malade de sa fiscalité edit

29 avril 2013

La France est un des pays de l’OCDE qui a connu, pendant ces derniers vingt ans, la croissance la plus faible du PIB réel par habitant. Cette mauvaise performance économique s’explique par des faiblesses structurelles dans de nombreux domaines, y compris la fiscalité. Le niveau très élevé des prélèvements obligatoires (43% du PIB en 2010) mais aussi la structure du système fiscal français pèsent lourdement sur l’économie.

Pour ne pas pénaliser excessivement la croissance, la fiscalité doit respecter trois principes directeurs : simplicité, stabilité et neutralité. Pourtant, la fiscalité française est très complexe : il existe un grand nombre d’impôts et de prélèvements, allant de pair avec une multitude de déductions, crédits d’impôt et d’exemptions. Or, cette complexité est coûteuse pour les contribuables et engendre des coûts élevés de recouvrement de l’impôt. De plus, la fiscalité française change souvent. De fait, un système fiscal stable est souhaitable pour réduire les coûts administratifs et de conformité et les effets négatifs de l’incertitude sur les décisions d’investissement et d’épargne.

Enfin, le système fiscal français n’est pas neutre par rapport aux décisions de consommation et d’épargne des ménages et des décisions d’investissement des entreprises. Les taux marginaux d’imposition effectifs des revenus du capital varient sensiblement d’une catégorie d’actifs à l’autre (entre épargne financière, logement, etc.). Il existe aussi de nombreuses mesures de traitement préférentiel pour les mêmes classes d’actifs, notamment les produits d’épargne. Les plus-values réalisées sur les plans d’épargne en actions (PEA) sont exonérées de l’impôt sur le revenu (mais pas de la contribution sociale généralisée, CSG) si les actifs ne sont pas retirés avant cinq ans. Les plans d’épargne volontaire des travailleurs au niveau de l’entreprise (plans d’épargne salariale) bénéficient aussi d’allégements fiscaux et sont soumis à des contributions sociales réduites. Le revenu de l’assurance-vie n’est imposé que lorsque le capital est retiré et à des taux plus faibles après huit années de détention. Enfin, plusieurs livrets d’épargne (livret A, livret d’épargne-populaire, livret d’épargne-logement, plan d’épargne-logement, livret jeune, livret d’épargne-entreprise, livret de développement durable) bénéficient d’exonération d’impôts et, dans certains cas, ne sont pas assujettis aux prélèvements sociaux. L’augmentation récente des plafonds du livret A et du livret de développement durable accentue les distorsions existantes. L’absence de neutralité fiscale pour les investissements immobiliers est aussi un problème important: la taxation du revenu tiré de la location d’un bien immobilier mais la non-imposition des loyers imputés favorise la propriété occupante.

Le taux statutaire de l’impôt sur les sociétés (IS) est l’un des plus élevés de la zone OCDE : seuls la Belgique, les États-Unis et le Japon ont des taux d’imposition plus élevés. En même temps, les recettes encaissées par la France au titre de l’IS sont faibles, qu’elles soient mesurées en pourcentage du PIB ou en pourcentage des recettes fiscales totales, en raison du grand nombre d’échappatoires et d’allégements fiscaux. En effet, le taux de l’impôt effectivement acquitté est nettement moins élevé pour les grandes entreprises que pour les PME. Tout cela implique une très grande disparité des taux d’imposition effectifs et de plus forts taux d’imposition statutaires.

Il existe une multitude de produits bénéficiant de taux réduits de TVA qui favorisent indûment des produits et secteurs spécifiques comme la restauration et sont difficilement justifiables par des objectifs redistributifs. Par exemple, le foie gras et le pain sont taxés à un taux réduit, ainsi que la consommation d'eau, qui peut servir même à remplir une piscine. Cette forme de redistribution peu ciblée est très coûteuse pour les finances publiques. De fait, on pourrait atteindre les mêmes objectifs de redistribution de façon plus efficace par le biais d’un taux uniforme de TVA, moins élevé par rapport au taux standard actuel, doublé des compensations forfaitaires sous conditions de ressources. Pour les moins aisés, l’impact d’une hausse des taux de TVA réduits serait aussi limité car de nombreux minimas sociaux sont indexés sur l’inflation.

La structure de la fiscalité française est source de distortions : les facteurs capital et travail sont taxés lourdement, décourageant ainsi l’investissement et pénalisant l’emploi. L’intégration des revenus du capital aux barèmes de l’impôt sur le revenu (IR) provoque une forte augmentation des taux marginaux élevés et revient à une double taxation du revenu du travail. Ainsi, de nombreux pays de l’OCDE, notamment nordiques, optent pour des taux d’imposition du capital inférieurs à ceux sur les revenus du travail. La France est l’un des pays rares de l’OCDE qui prélèvent des impôts sur le patrimoine net qui pourraient être considérés comme un impôt supplémentaire sur le revenu du capital. Par exemple, un impôt de 1 % sur le stock de capital correspondrait à un taux d’imposition de 25 % sur le rendement nominal et de 50 % sur le rendement réel, dans l’hypothèse d’un rendement nominal de 4 % et d’un taux d’inflation de 2 %. En France, l’impôt sur la fortune double quasiment le taux maximal d’imposition effectif sur le revenu du capital. Le taux marginal supérieur de l’impôt sur le patrimoine se traduit, pour ceux qui sont aussi imposés à 45 % (41 % en 2011) à l’IR, par des taux d’imposition effectifs de près de 200 % pour les revenus réels d’intérêts, les dividendes et les revenus locatifs. Dans la pratique, les taux marginaux effectifs d’imposition sont très divers en raison du grand nombre de niches fiscales et sociales, en particulier pour les produits d’épargne.

En d’autres termes, si un contribuable assujetti au taux marginal le plus élevé de l’impôt sur la fortune net décide de ne pas consommer aujourd’hui mais d’épargner et de consommer le revenu de son travail trente ans plus tard, la valeur réelle de son épargne et, par conséquent, son pouvoir d’achat aura baissé d’un tiers dans trente ans. En revanche, selon les hypothèses ci-dessus, la valeur réelle de l’épargne augmenterait de plus de 10 % en l’absence d’un impôt sur le patrimoine et de 80 % s’il n’y avait ni impôt sur le capital, ni impôt sur le patrimoine. L’impôt sur le revenu du capital pesant sur la consommation différée et l’association de cet impôt à un impôt sur le patrimoine font de la fiscalité française l’une des plus lourdes de tous les pays de l’OCDE pour les hauts revenus.

Alors que l’assiette de l’impôt sur le revenu (IR) est étroite en raison de nombreuses niches, les taux marginaux d’imposition sur le travail sont élevés. La charge fiscale totale (impôts et cotisations sociales) représente plus de 40 % des coûts de main-d’oeuvre au niveau du salaire médian, l’un des taux les plus élevés de la zone OCDE, ce qui réduit à la fois la demande et l’offre de travail pour les salariés concernés. Le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (au coeur du Pacte de compétitivité) constitue une avancée importante et reviendra à une baisse de plus de 4 % en moyenne du coût du travail pour les salariés rémunérés jusqu’à 2,5 Smic. Cependant, le coin fiscal restera au-dessus de la moyenne de l’OCDE.

Pour conclure, une réforme majeure de la fiscalité française pourrait donner un coup de pouce important à la croissance. Elle devrait avoir pour but de basculer une partie de la pression fiscale pesant sur les facteurs travail et capital vers des taxes environnementales, des impôts sur l’immobilier ou encore des droits de succession, tous moins nocifs à la performance économique. Elle devrait aussi rétablir la neutralité, contribuant ainsi à atténuer la complexité et à réduire les taux statutaires. Cela peut être accompli sans accroître les inégalités des revenus.