David Cameron va-t-il éviter le Brexit? edit

25 février 2016

Le Conseil européen des 18-19 février a clos la première étape du processus qui doit conduire les Britanniques à décider de leur avenir ou non dans l’Union européenne au cours d’un référendum qui aura lieu le 23 juin prochain.

L’accord trouvé reprend les grandes lignes des propositions avancées le 3 février par Donald Tusk pour trouver un compromis entre les exigences britanniques et les réalités européennes. Il répondait aux quatre éléments qui figuraient dans les demandes posées par David Cameron au cours de l’automne, qui concernaient la compétitivité de l’économie européenne, la gouvernance économique, la souveraineté et les droits sociaux des migrants européens arrivant au Royaume-Uni.

Le premier point a fait, sans surprise, l’unanimité et s’inscrit dans le programme de la Commission européenne. La question des relations entre membres et non-membres de la zone euro était plus délicate. L’accord évoque la prise en compte des intérêts des non-membres dans les prises de décision au sein de la zone euro sans toutefois leur donner un droit de veto. Sur les questions que recouvre la souveraineté, il reprend la proposition de Tusk selon laquelle “l’union sans cesse plus étroite” des traités européens ne signifie pas une avancée vers plus d’intégration et qu’elle ne s’impose pas outre-Manche – une évidence au vu de l’évolution de l’Union européenne depuis quelques années, mais qui rassure les Britanniques. Pour accroître, en théorie du moins, le rôle des parlements nationaux dans l’élaboration des directives européennes, une majorité de 55% d’entre eux pourra disposer d’un “carton rouge” pour bloquer un projet de directive. On voit mal, en pratique, les circonstances où pourrait être trouvée une telle majorité, qui est supérieure à ce que le traité de Lisbonne prévoit déjà en la matière. Enfin, sur l’accès des immigrés européens à certains droits sociaux, on prévoit la mise en place d’un “frein d’urgence” (emergency brake) en cas de saturation des services publics, que Cameron a annoncé vouloir appliquer dès après le référendum promis si, bien sûr, les électeurs choisissent de rester dans l’UE. Il lui faudrait pour cela l’accord du Conseil européen et de la Commission, ce qui réduirait sa marge de manœuvre.

Le compromis trouvé par le président du Conseil européen et approuvé par David Cameron propose des changements réels mais limités, qui ne remettent pas en question de façon fondamentale le mode de fonctionnement de l’UE et ne comprennent pas de rapatriement de politiques communautaires à Londres. Malgré une petite brèche sur l’accès aux crédits d’impôts pendant quatre ans, il ne revient pas non plus sur le principe de la liberté de circulation au sein de l’Union ni sur la centralité de l’euro dans le projet européen.

On comprend dès lors l’accueil très critique qu’il a reçu de la part des membres les plus eurosceptiques de son parti et surtout de la presse, dont on sait combien elle est généralement hostile à l’Union européenne: le Daily Mail, par exemple, a titré après la publication des propositions de Donald Tusk sur “La Grande Illusion” et le Sun “Qui croyez-vous tromper M. Cameron ?” Il lui a été reproché la pauvreté des concessions obtenues, bien en deçà de ce qu’il réclamait en 2013-2014 et même encore dans le programme électoral pour les élections législatives de 2015, qui parlait de rapatrier des politiques communautaires au niveau national et de réformer en profondeur le mode de fonctionnement des institutions européennes. Rien de tout cela n’est finalement prévu, ce qui va rendre plus difficile la tâche de Cameron, à savoir convaincre une majorité de ses députés et surtout de ses concitoyens, dont 20% sont encore indécis d’après les sondages, de voter oui au référendum. Il faut dire que Cameron s’est mis lui-même dans une situation inextricable. Après avoir critiqué pendant des années le mode de fonctionnement de l’UE, sa bureaucratie, son coût et la menace qu’elle ferait peser sur la souveraineté britannique, il doit prétendre à présent, contre toute évidence, qu’il a obtenu des changements si profonds qu’ils méritent finalement que le Royaume-Uni en reste membre et plus généralement que l’appartenance du Royaume-Uni lui apporte plus de bénéfices que d’inconvénients.

En vue de la seconde étape, la campagne référendaire qui commence à présent, l’attention se tourne vers le parti conservateur, dont la majorité des membres et des élus est pour l’instant favorable au Brexit, contrairement à ceux du parti travailliste, des Libéraux-démocrates et des nationalistes écossais. La ministre de l’Intérieur, Teresa May, pourtant très eurosceptique, a finalement approuvé l’accord, tout comme une majorité des membres du Cabinet. Mais cinq membres du Cabinet, Iain Duncan Smith, Theresa Villiers, Chris Grayling, Priti Patel et surtout Michael Gove, ministre de la Justice pourtant très proche de Cameron, se sont engagés pour le Brexit. Le maire de Londres Boris Johnson, très populaire dans le parti, a finalement rejoint ce camp aussi, se posant clairement comme le principal adversaire de Cameron sur cette question, même s’il est difficile de mesurer son influence sur le vote des électeurs. Le camp du ‘non’ reste pour l’instant divisé entre deux organisations, une proche de UKIP (Leave.EU ainsi que Grassroots Out) et une proche des milieux conservateurs, moins obsédée par la question de l’immigration (Vote Leave), ce qui pourrait contribuer à l’affaiblir.

David Cameron comptera sur l’appui des partis d’opposition, à commencer par le parti travailliste. L’immense majorité des députés, militants et électeurs de ce parti soutiennent le maintien dans l’Union européenne. La campagne travailliste du ‘oui’ est menée par Alan Johnson, ancien ministre respecté de Tony Blair. En revanche la position du leader actuel, Jeremy Corbyn, est plus ambiguë. Issu de l’aile gauche du parti (traditionnellement anti-européenne), il s’est prononcé du bout des lèvres en faveur de l’UE. Il a critiqué au Parlement l’accord obtenu par le Premier Ministre, en particulier la restriction des droits sociaux des travailleurs européens pendant plusieurs années après leur arrivée sur le sol britannique, alors que la plupart des électeurs britanniques y sont très favorables. Il n’est donc pas certain que ses interventions fassent progresser la cause qu’il prétend défendre.

La dernière compilation de sondages réalisée par John Curtice, indique que les deux camps sont toujours au coude-à-coude, avec un léger avantage pour le maintien dans l’UE. Les indécis restent assez nombreux, entre 15% et 20% des personnes interrogées, confirmant le rôle crucial que devrait jouer la campagne elle-même, qui va maintenant dominer la scène politique outre-Manche jusqu’au scrutin du 23 juin. La presse n’a pas encore officiellement pris position, même si on peut supposer qu’une partie au moins de la presse tabloid défendra la sortie de l’UE. La City et une partie des grandes entreprises cotées en bourse ont lancé une campagne pour rester en Europe mais elles ne sont pas unanimes et beaucoup de PME protestent depuis longtemps contre la “bureaucratie” bruxelloise. Elles pourraient donc être tentées par un vote négatif. Le résultat du référendum est donc aujourd’hui toujours aussi incertain…