Israël: le crépuscule de Netanyahou? edit

9 juillet 2019

« Bibi », comme le surnomment les Israéliens, quittera-t-il le pouvoir à l’issue des élections législatives du 17 septembre, les deuxièmes en cinq mois, après deux dissolutions du Parlement et neuf mois de campagnes électorales, qui ont plongé Israël dans la crise politique alors que la tension avec l’Iran et ses alliés du Hezbollah menace de dégénérer à tout moment ?

Parviendra-t-il au contraire à prolonger son règne, commencé entre 1996 et 1999 et poursuivi sans interruption depuis 2009, après avoir battu en juillet le record de longévité politique établi par David Ben Gourion, le fondateur de l’État juif resté Premier ministre pendant treize ans, trois mois et cinq jours ?

Enivré par la puissance économique, militaire et diplomatique d’Israël, le leader, qui murmure à l’oreille de Trump et de Poutine, s’est longtemps cru insubmersible. Mais, incapable de former un gouvernement après la victoire des droites aux élections législatives anticipées du 9 avril dernier, il donne désormais l’image d’un albatros blessé dont les ailes de géant sont lestées de trois boulets. Trois dossiers judiciaires, désignés par les nombres 1000, 2000 et 4000, dans lesquels il a été inculpé le 28 février dernier par le Procureur général de l’État Avichai Mandelbit. 

« Fraude, abus de confiance et corruption »

Dans le « dossier 1000 », Benyamin Netanyahou est accusé d’avoir bénéficié, avec sa famille, d’environ 230 000 euros de cadeaux divers (cigares, champagnes, bijoux, voyages) de la part de deux milliardaires, un Australien et un Israélien, producteur de cinéma installé à Hollywood, qu’il aurait remercié en faisant voter une loi allégeant la fiscalité des citoyens résidant à l’étranger. Dans « l’affaire 2000 », le Premier ministre se voit reprocher d’avoir proposé au patron du plus grand quotidien du pays Yediot Aharonot de réduire par « la législation et d’autres moyens » la diffusion de son concurrent direct, le journal gratuit Israël Hayom, proche du pouvoir, en échange d’une couverture plus favorable de son action politique. Ce « deal », attesté par des enregistrements téléphoniques, n’a pas abouti. Il vaut au Premier ministre, comme dans le « dossier 1000 » une inculpation pour « fraude et abus de confiance », passible seulement de lourdes amendes. « L’affaire 4000 » est plus grave puisque, selon l’accusation, l’un des amis de « Bibi », Shaul Elovitch, patron de Bezeq, le France télécom israélien, aurait effectivement pu racheter un autre opérateur téléphonique en échange d’une couverture avantageuse de l’action du gouvernement par les journalistes de son site d’informations Walla. « L’affaire 4000 » est la seule dans laquelle le Premier ministre, inculpé aussi de corruption, risque la prison. Benyamin Netanyahou, depuis le début des enquêtes, il y a trois ans, dénonce un complot ourdi par la gauche, la presse voire la police et les magistrats. L’opposition et ses relais dans les médias ne l’ont effectivement pas ménagé. Mais le Procureur général, Avichai Mandelbit, n’a rien d’un adversaire politique. C’est Netanyahou lui-même qui l’a nommé à cette fonction alors qu’il était déjà le secrétaire de son gouvernement et certains à gauche l’ont même soupçonné d’avoir tardé à inculper le Premier ministre.

Démontrant son impartialité, la justice a mis « Bibi » hors de cause dans le « dossier 3000 », le seul qui ressemble à une affaire d’État: il concerne de juteuses rétro-commissions ayant enrichi des proches du Premier ministre lors de l’achat de sous-marins par l’armée israélienne, pour deux milliards de dollars, à la firme allemande ThyssenKrupp. Quelle que soit leur issue judiciaire ces différentes affaires ont révélé un climat de népotisme dans l’entourage de Benyamin Netanyahou. Ainsi Sarah, son épouse, déjà poursuivie aux prud’hommes par d’anciens employés de maison qui lui reprochent son autoritarisme et sa violence verbale, a été accusée de « fraude aggravée » et d’« abus de confiance» pour avoir fait payer sur fonds publics environ 80 000 euros pour des repas consommés à titre privé alors que le couple disposait d’un cuisinier payé par l’État. Cette affaire dite des « frais de bouche » s’est soldée, provisoirement, le 16 juin 2019, par un compromis financier après un « plaider coupable » de Madame Netanyahou.

« J’ai toujours dit qu’il n’y avait rien dans ces dossiers. Et vous verrez qu’à la fin il n’y aura rien », répète le Premier ministre. Mais son apparente sérénité dissimule mal la panique d’un homme qui sait la Roche Tarpéienne proche du Capitole.

Le « peuple » contre les « élites »

Car en Israël on ne badine pas avec la loi. Jalouse de son indépendance, la justice a déjà fait incarcérer un ancien président de l’Etat, Moshe Katsav, jugé coupable de viols et harcèlements sexuels ainsi que plusieurs anciens ministres, dont Aryeh Deri, chef du parti religieux Shas, condamné pour corruption, ce qui ne l’a pas empêché ensuite de faire son come-back à la tête du ministère de l’Intérieur. Mais le précédent qui hante peut-être les nuits de « Bibi » est celui de son ancien camarade du Likoud, devenu son adversaire à la tête du parti centriste Kadima puis son prédécesseur comme chef du gouvernement entre 2006 et 2009 : Ehud Olmert. Il a passé 17 mois derrière les barreaux en 2016 et 2017 pour avoir reçu d’une entreprise un pot-de-vin de 60 000 shekels (15 000 euros) dans le cadre du financement d’une de ses campagnes électorales. Dès les premières révélations de malversations, le député Netanyahou, alors chef de l’opposition, exigea la démission du Premier ministre, ce qu’Ehud Olmert, poussé aussi par certains de ses ministres, annonça avant même d’être mis en examen. Or, une décennie plus tard, dans une situation semblable, le même Netanyahou refuse de toutes ses forces de l’imiter. La loi certes ne l’y oblige pas jusqu’à une éventuelle condamnation définitive qui, une fois tous les recours épuisés, n’interviendrait pas avant de nombreuses années. Mais il rompt ainsi avec les usages en cours en Israël et dans les grandes démocraties libérales. Se réclamant du peuple contre la magistrature, censée incarner les « élites » de gauche, « Bibi » est soutenu par une grande partie de la droite qui rêve de tordre le bras à l’équilibre des pouvoirs à l’anglo-saxonne, qui règne en Israël. En cas de maintien au pouvoir, Netanyahou et ses alliés envisagent une loi qui permettrait au Parlement dans certains cas de contourner l’avis de la Cour suprême dont l’autorité morale, reconnue y compris par les Palestiniens, est considérée comme un obstacle au « populisme » dominant dans la droite israélienne.

L’or changé en plomb

Sachant son inculpation imminente dans les affaires « 1000 », « 2000 » et « 4000 », Benyamin Netanyahou a dissous la Knesset une première fois le 28 décembre dernier, provoquant ainsi des élections législatives anticipées, dans le fol espoir qu’une nouvelle onction populaire le protégerait des foudres de la justice. La campagne électorale, étant transformée en référendum pour ou contre sa personne, au détriment de toutes les autres questions politiques sociales ou sécuritaires, a favorisé l’émergence d’un parti centriste, baptisé Bleu-Blanc, dirigé par un ancien chef d’Etat-major, Benny Gantz, qui est apparu comme le seul capable de battre « Bibi ». Au soir du scrutin, le 9 avril dernier, ce rassemblement hétéroclite, formé en quelques semaines, a fait jeu égal avec le Likoud en obtenant 35 sièges. A l’instar d’En Marche en France, Bleu-Blanc a siphonné les voix de la gauche. Incapable de se renouveler depuis l’échec des accords d’Oslo et dépourvu de leader crédible, le parti travailliste est passé en quatre ans de 24 à six sièges alors que l’extrême-gauche incarnée par le Meretz est tombée à quatre députés. Plafonnant ensemble à 45 sièges sur 120, loin des 61 sièges nécessaires, le centre et la gauche ne pouvaient prétendre former un gouvernement. Avec 35 sièges, lui aussi, le Likoud réalisait son meilleur score depuis 2003 où il en remporta 39 sous la conduite d’Ariel Sharon. La coalition sortante, allant du centre droit à l’extrême-droite, restait majoritaire malgré un léger tassement de 67 à 65 sièges dont 16 pour les ultra-orthodoxes et cinq pour Israël Beytenou, le parti russophone d’Avigdor Liberman, ancien directeur de cabinet puis ministre de la Défense de Benyamin Netanyahou. Dans la presse internationale, on parla d’un « triomphe » pour le Premier ministre sortant. Toutefois, le système électoral israélien, à la proportionnelle, ne désigne pas un vainqueur au soir du scrutin, contrairement aux présidentielles française et américaine. Le chef du parti qui rassemble le plus de « recommandations » de ses partenaires potentiels est désigné par le président de l’État pour former un gouvernement. Il lui reste alors à forger une coalition autour d’un accord programmatique.

Or, arrivé au terme du délai maximal, après des semaines de tractations, conciliabules, promesses insensées et reniements, Netanyahou a été contraint de jeter l’éponge le 30 mai à minuit. Comment l’or du 9 avril s’est-il changé en plomb 52 jours plus tard ?

Touché mais pas coulé !

Dès le début des négociations, le Premier ministre avait exigé de ses partenaires, comme ticket d’entrée dans la coalition, de s’engager à doter sa personne d’une armure juridique, en votant une loi d’immunité, qui renverrait son procès à la fin de son mandat. Cet aveu implicite de faiblesse favorisa toutes les surenchères de la part de petits partis ayant subi longtemps sa domination. Pour satisfaire leur appétit sans limite, Benyamin Netanyahou alla jusqu’à faire voter en mai une loi… augmentant le nombre de ministères ! Mais le coup de grâce lui fut donné par Avigdor Liberman, son ancien ministre de la Défense. Objet du conflit : la loi votée en première lecture en juillet 2018, imposant à une partie des élèves des écoles religieuses, les yeshivas, d’accomplir leur service militaire comme tous les garçons et filles du pays. Le chef de file des russophones en exige la stricte application. Les ultra-orthodoxes en demandent l’assouplissement. Liberman s’était déjà opposé l’an dernier à une loi très impopulaire visant à interdire tout travail le samedi, considéré comme sacré dans la religion juive. Son combat contre les ultra-orthodoxes fait exploser le bloc des droites.

Ne disposant plus de l’autorité suffisante pour imposer un compromis à ses alliés récalcitrants, Netanyahou se trouvait aussi dans l’incapacité de recourir au « plan B » du régime parlementaire, si souvent pratiqué en Israël : celui de la grande coalition. Le principal obstacle ne résidait pas dans le programme de Bleu-Blanc, globalement compatible avec celui du Likoud, mais dans la personne de « Bibi » dont le rejet cimente, plus que tout, le parti centriste.

En 2009, Tzipi Livni, alors chef du parti centriste Kadima, bien qu’arrivée en tête des élections législatives, avec 28 députés, avait fini par céder le flambeau à... Benyamin Netanyahou dont le Likoud était crédité de 27 sièges. Dix ans plus tard, la répétition d’ un tel scénario, au profit de Benny Gantz, aurait probablement signifié la fin de la carrière politique de « Bibi » et donc de toute protection face aux tribunaux. Touché mais pas encore coulé, le Premier ministre a recouru à l’ultime procédure légale à sa disposition, jamais utilisée dans ces conditions : l’auto- dissolution du Parlement, obtenue par un vote à l’arraché dans les toutes dernières minutes de la soirée du 30 mai.

Israël dans l’incertitude

Les élections du 17 septembre vont-elles offrir une deuxième chance aux vaincus du 9 avril ? Les partis arabes, qui avaient pâti de se présenter séparément, ont décidé de former une liste unique comme en 2015 où ils étaient devenus la troisième force politique du pays. Leur tête de liste, l’avocat Ayman Odeh,  a fait sensation en se prononçant en faveur d’une participation des partis arabes à un gouvernement du centre et de la gauche. Cette  proposition, qui ne débouchera certainement pas à court terme, répond à l’aspiration d’un électorat arabe  de plus en plus désireux de s’intégrer à la société israélienne. L’unité représentait aussi un impératif vital pour  la gauche,  dont les deux composantes, le Meretz et le parti travailliste, se sont situées en avril juste au-dessus du seuil de 3, 25% des voix nécessaire pour accéder au Parlement. Faute de s’unir, les deux partis ont changé de dirigeants et affiné leurs identités respectives en vue du nouveau scrutin. Les travaillistes ont rappelé l’ancien leader syndical Amir Peretz et mis résolument en avant les questions sociales dans l’espoir de retrouver un électorat populaire parti vers la droite. De son côté le Meretz, sous la houlette du journaliste Nitzan Horowitz, s’est allié à Ehud Barak, l’ancien Premier ministre travailliste qui avait battu Netanyahou en 1999 avant d’être balayé suite au déclenchement de la Deuxième Intifada. Cette liste, baptisée « Camp démocratique », à laquelle s’est jointe Stav Shaffir, une ancienne figure de la révolte sociale des « Indignés » israéliens, est la seule à proposer un plan pour résoudre le conflit avec les Palestiniens. Mais l’essentiel du scrutin est ailleurs. Bibi or not Bibi ? That is the question.  

Le Premier ministre continue cependant d’être soutenu inconditionnellement par une grande partie de ses électeurs qui n’imaginent pas Israël sans « Bibi ». Mais dans les hautes sphères du Likoud on commence à murmurer que celui qui fut si longtemps le principal atout du parti pourrait bien devenir son talon d’Achille. On voit mal comment « Bibi » pourrait reconduire une coalition des droites dès lors que la composante incarnée par Liberman mène désormais campagne pour une formule gouvernementale excluant les partis ultra-orthodoxes. Dans le cas où le sort des urnes lui serait quand même favorable, Benyamin Netanyahou devra livrer une véritable course de vitesse afin de former un gouvernement avant le 2 octobre, date de son audition devant les juges, qui sauf coup de théâtre, confirmera ses mises en examen. Un calendrier trop court, pour faire voter une quelconque loi d’immunité... au début des festivités du Nouvel An juif. Un Premier ministre partageant son temps entre les affaires du pays et les convocations au tribunal ? Cette situation, légalement possible, serait politiquement chaotique. Reste une inconnue, et de taille : la guerre avec les alliés de  l’Iran, qui peut éclater à tout moment et rebattre brusquement toutes les cartes de la politique israélienne, plus que jamais dans l’incertitude.

(Article actualisé le 10 septembre)