Du coronavirus en Iran edit

17 avril 2020

Les premiers cas de coronavirus en Iran auraient été identifiés le 13 février dans la ville sainte de Qom, à 150 kilomètres au sud de Téhéran, haut-lieu de pèlerinage shi’ite, accueillant des séminaristes d’origine chinoise. La compagnie aérienne des Gardiens de la Révolution islamique (Mahan air-line) a continué à assurer les vols vers la Chine, le pèlerinage populaire ne s’est pas arrêté, et les ayatollahs ont refusé de placer la ville sous quarantaine. De fait, Qom devient l’épicentre de la transmission du virus. Pour ne pas entraver le bon déroulement des élections législatives du 21 février, les autorités ont attendu une semaine pour annoncer timidement les premiers cas du coronavirus.

Nombre de spécialistes de la santé publique et de médecins sont venus à la télévision nationale pour expliquer aux Iraniens que le Covid-19 n’était pas plus dangereux qu’une simple grippe et que la plupart des gens l’avaient déjà attrapé sans même s’en apercevoir. Début mars, le docteur Mehrnaz Assadi, pneumologue, affirme à la télévision qu’elle n’utilise ni gants ni masque pour examiner ses patients puisqu’elle n’a pas peur du coronavirus. Selon elle, tout le monde doit l’attraper pour que la société soit immunisée, mais pas tous en même temps.

Les ayatollahs affirment qu’ils comptent sur le sens civil des Iraniens et que l’instauration des mesures restrictives pour protéger les populations à risque ne serait pas nécessaire. Les mausolées des saints shi’ites et les mosquées restent ouverts, les hauts dignitaires shi’ites affirment que Dieu protège les croyants et que rien ne peut arriver à un pays musulman comme l’Iran. Le Guide de la République islamique, l’ayatollah Khaménéï parle d’une nouvelle prière efficace contre le coronavirus, à répéter plus de soixante-dix mille fois. Désormais, le comptage correct de cette prière devient le souci principal des dirigeants. Les vidéos circulent sur les réseaux sociaux montrant ceux qui lèchent les murs et les portes des mausolées et des mosquées pour prouver leur foi inébranlable en l’islam des ayatollahs.

Une large publicité est accordée à la désinfection des lieux publics et des rues, avec les séminaristes religieux et quelques Gardiens de la Révolution Islamique (GRI), accompagnés d’une armée de caméramans et de photographes. Ces mesures cosmétiques n’empêchent guère la propagation de l’épidémie. Le 5 mars, le gouvernement décrète enfin la fermeture des écoles et des universités. Le trafic aérien avec la Chine n’est toujours pas interrompu. La République islamique tergiverse et n’envisage pas de s’attaquer frontalement au problème. La quarantaine n’est toujours pas adoptée.

Le 10 mars, le rapporteur de l’ONU sur les droits humains en Iran, Javaid Rehman, estime que l’État en a fait trop peu. Deux jours plus tard, près de 70 médecins iraniens écrivent au directeur de l’OMS pour signaler que la ville de Qom, épicentre du virus en Iran, n’a toujours pas été confinée. Ils estiment que le nombre de victimes est huit fois plus élevé qu’annoncé par les autorités. Le 15 mars, le mausolée de Qom est enfin fermé, le deuxième tour des législatives est reporté et tous les Iraniens sont appelés à rester chez eux.

Très vite, les hôpitaux débordent et le nombre des victimes s’accroît. La cause de la mort dans les actes de décès est indiquée comme « l’insuffisance respiratoire ». Vers la mi-mars 2020, alors que les vidéos des cadavres entassés devant l’entrée des hôpitaux circulent sur les réseaux sociaux, le ministère iranien de la Santé fournit des chiffres : 1284 décès dus au coronavirus. L’OMS craint que ces chiffres soient largement inférieurs à la réalité. Les experts internationaux annoncent que si le virus se propage avec la même vitesse, il prendra la vie à quelques trois millions et demi d’Iraniens.

Le 19 mars, le porte-parole du ministère de la Santé confirme l’estimation des experts, en ajoutant que chaque minute une personne meurt du Corona en Iran. Bien que les affirmations de l’État ne permettent pas d’avoir des statistiques exactes, la gravité de la situation se fait entendre à travers le revirement du discours des dirigeants. La propagande du régime recourt désormais à la théorie du complot et décrit le Covid-19 comme une arme biologique américaine et israélienne. L’ayatollah Khaménéï parle d’un crime contre l’humanité, et rejette la proposition de l’aide des Américains, à travers un tweet : « Il se peut même que vous délivriez des médicaments qui feraient propager ou perdurer ce virus. L’expérience prouve que vous n’êtes pas dignes de confiance et que commettre de tels actes est tout à fait plausible de votre part. »

Aucune campagne nationale de prévention n’est organisée, l’absence de masque et de gel facilite la contamination, et le manque des matériels médicaux dans les hôpitaux fait des ravages. L’arrivée de l’aide humanitaire d’urgence de la Chine et des pays européens ne change pas la situation. Rapidement, les photos des produits médicaux, achetés sur le marché noir à des prix exorbitants, se diffusent sur les réseaux sociaux. La phrase « not for sale » affichée sur leur emballage, indigne tout le monde. Nombre des personnels de la navigation aérienne publient les preuves qui démontrent qu’une partie des aides humanitaires est envoyée en Syrie et au Liban, alors que les hôpitaux iraniens sont en sous-effectif. Dans ce pays, les structures délabrées de santé étaient déjà en crise permanente, avant même l’arrivée de la pandémie.

Apparaît alors une nouvelle ligne de propagande. Pour faire face à l’ampleur croissante de la crise, les ayatollahs se mettent à critiquer et condamner les Iraniens pour leur refus de coopération et leur manque de confiance dans les instructions données par le gouvernement. Ils fustigent lourdement l’absence de civilité des Iraniens ainsi que leur inculture, en les déclarant pires que les animaux, car ils ne savent ni se protéger ni protéger les autres. Les vidéos, prises dans des situations peu claires, montrent des files d’embouteillages sur les routes de vacances, la télévision nationale les fait passer en boucle et les journalistes dénoncent les familles qui, au lieu de rester confinés chez elles, prennent la route pour aller s’installer dans leur villa au bord de la mer Caspienne. Cette fois, les médecins et les infirmières, aussi bien sur les réseaux sociaux qu’à la télévision, blâment ceux et celles qui ne prennent pas au sérieux les consignes sanitaires, alors qu’il y a à peine un mois, c’était eux qui minimisaient les risques de l’épidémie. Entre temps, les obsèques nationales d’un chef de l’armée révolutionnaire, mort du Corona, se déroule selon les rituels de la République islamique qui offre les repas de deuil à des milliers des gens devant les caméras.

Il faut attendre le 25 mars pour que les principaux lieux de pèlerinage soient fermés, les prières publiques du vendredi suspendues, le Parlement fermé et les rassemblements dans les parcs et les déplacements entre villes interdits. Cependant, le confinement n’est pas encore à l’ordre du jour et le nombre de décès dans un pays touché avant l’Espagne et l’Italie, et avec un système de santé largement moins performant, reste étonnamment plus bas que dans ces deux pays.

Fin mars, alors que la France elle-même est en pleine crise du coronavirus, sept médecins français de Médecins sans frontières[1] vont en Iran pour installer un hôpital de campagne. Ils se font renvoyer par le conseiller du ministère de la Santé par un simple tweet.

La suffisance des dirigeants iraniens s’arrête là, elle ne concerne pas l’aide financière. Le 12 mars, Téhéran qui se vante de produire « 98% de ses produits pharmaceutiques » se tourne vers le FMI pour demander une aide de 5 milliards de dollars, sans présenter une liste détaillée de ses dépenses. Le FMI craint que cela soit investi dans les armes que l’Iran fournit au Hamas, au Hezbollah et aux Houthis du Yemen, il rejette la demande. En effet, les sanctions américaines ont largement paralysé les « œuvres caritatives » de la République islamique dans la région et elle ne parvient plus à payer ses mercenaires. Dès le début de la crise de Corona, Javad Zarif, le ministre des Affaires étrangères ainsi que le président Rouhani incriminent les sanctions américaines contre l’Iran. Ils mettent leur incapacité à gérer le pays en accusant les sanctions américaines pour se décharger de toute responsabilité envers leur peuple et en affirmant que pour lutter contre le coronavirus, nous avons besoin de la levée des sanctions. Plus le nombre des victimes de coronavirus augmente, plus ils crient haut et fort contre les Américains.

Mais si le régime iranien a besoin de ressources budgétaires pour faire face au coronavirus, pourquoi ne prend-il pas sur le fond national du développement de l’Iran, sous le contrôle exclusif de l’ayatollah Khaménéï ? Fin mars, celui-ci ne tarde pas à rejeter la demande d’emprunt du président Rouhani[2].

Les voix se lèvent : la faute est à qui ? Au régime ou aux sanctions ?

Qu’est-ce que les aides financières peuvent apporter dans un pays où ses dirigeants n’acceptent pas les aides humanitaires et expulsent Médecins sans frontières ?

Qu’est-ce que la levée des sanctions peut apporter à un peuple qui est gouverné par les dirigeants qui pratiquent la censure, le mensonge et la dissimulation face à la crise du Corona et ne font rien pour freiner sa propagation ?

Le vrai problème des Iraniens avant les sanctions américaines, c’est leur sujétion à un régime kleptocratique qui ne sait ni gérer leur pays ni entretenir des relations paisibles avec la communauté internationale. C’est pourquoi il ne faut pas s’étonner si les Iraniens se considèrent comme un peuple sous occupation, sous l’occupation religieuse des mollahs.

[1] Les sept médecins urgentistes ont donc fait le voyage dans deux avions cargos, qui transportaient un hôpital de campagne gonflable de 50 lits.

[2] Source Al-Arabieh, le 26 mars 2020 ; voir url : https://ara.tv/m7uys