Eppur si muove! Sur les réformes institutionnelles en Italie edit

18 mars 2015

La vie politique italienne semble, depuis à peu près un an, bouger plus que d’habitude. Un pays dont la réputation était celle de vouloir «tout changer pour que rien ne change», comme on le lisait dans Le Guépard de Tomasi di Lampedusa, semble être en train d’évoluer sérieusement. En témoignent les oppositions farouches qu’on voit surgir de tous bords vis-à-vis du programme de réformes mis sur pied et en train d’être mené à bien, malgré toutes les tentatives de blocage, par le gouvernement de Matteo Renzi.

L’opposition aux réformes vient – comme dans le cas de la France à propos de la loi Macron – de trois fronts : d’une partie de la droite (je vais y revenir), des forces anti-européennes de type maintenant lepéniste, et des « frondeurs » au sein du PD, le parti du Premier ministre. Celui-ci, qui est très populaire auprès de l’opinion publique, a nombre d’adversaires farouches parmi les forces politiques et certains milieux sociaux. Tout d’abord, lui sont hostiles les forces anti-européennes de la nouvelle Ligue (ex Ligue du nord). Celle-ci, sous la direction de Matteo Salvini, est en train de changer de peau et de devenir nationale, en essayant, à l’aide de slogans anti-immigrés, de percer dans l’électorat du Sud, - électorat qu’elle méprisait et qui la détestait. Ses ennemis étaient justement les Italiens du Sud, avant de devenir ceux du Sud du Sud ! L’ennemi pour la Ligue est toujours de ce côté-là de l’hémisphère, mais il faut descendre de parallèle, si on prétend trouver un soutien électoral au Sud de Bologne.

Le deuxième adversaire du gouvernement et de ses réformes est l’extrême gauche, moins souverainiste que son équivalente français – la nation, dans la péninsule, cela excite moins que dans l’hexagone –, mais également hostile à des réformes qu’elle ne considère pas suffisamment de gauche, au risque d’empêcher de faire quoi que ce soit. Comme en France, une partie de cette gauche radicale fait partie du Parti Démocrate, celui du Premier ministre. L’opposition à Renzi au sein de ce parti tient aussi au fait que ses élus, aux législatives de 2013, avaient été choisis par l’équipe du secrétaire précédent, Pier Luigi Bersani. Ce dernier a depuis perdu le contrôle du parti, car, à la suite de primaires, il avait dû céder sa place à Renzi.

Ce remaniement de la direction du parti a également conduit à un important changement de génération de ses cadres dirigeants, ce qui est de toute évidence mal vécu par la vieille garde qui craint d’être laminée aux prochaines élections, conduites par le nouveau secrétaire.

Reste l’opposition, à moitié crédible, de la droite berlusconienne. Le leader de la droite Silvio Berlusconi, sur la voie d’un inéluctable déclin politique, avait espéré obtenir quelques bénéfices pour ses intérêts familiaux (on se souvient de l’important travail d’Edward Banfield sur le « familisme amoral » des Italiens) en échange de son soutien aux réformes institutionnelles du gouvernement. Soutien qui garantissait la majorité au Parlement pour Renzi, qui, à l’instar de Valls, ne peut pas compter entièrement sur le support des «frondeurs». Plus récemment, n’étant pas sûr de pouvoir obtenir quoi que ce soit ou en tout cas ce qu’il demande et, pour éviter la désagrégation (sans doute elle aussi à terme inéluctable) de son parti, Silvio Berlusconi est passé lui aussi du côté de l’opposition, peut-être pour mieux négocier son soutien au gouvernement sur les réformes.

Il ne faut pas oublier, en outre, qu’un nombre important de députés et de sénateurs ont été élus en 2013 sous les couleurs du Mouvement 5 Etoiles. Cette formation politique qui n’a pas de réel équivalent dans d’autres pays a réuni tous ceux qui – à droite, à gauche ou ailleurs – sont purement et simplement contre toute politique. Elle pourrait être qualifiée de parti ou plutôt de mouvement ayant pour slogan « tous pourris », représentant au Parlement ceux qui sont hostiles aux institutions républicaines.

Malgré tout, grâce à son habileté politique et à sa courte majorité au Parlement, Renzi pourrait conduire à bien ses réformes. En substance, et en laissant de côté ce qui a été fait et est en train de se faire à propos du droit du travail, le paquet des réformes institutionnelles consiste en deux volets assez étroitement liés : la réforme du système bicaméral et celle de la loi électorale. Cette dernière, qui n’est pas une réforme constitutionnelle, est pourtant d’une importance capitale car elle essaie d’introduire en Italie un système majoritaire loin de la culture plutôt «proportionnaliste» du pays, un système qui, le soir des élections, permettra de savoir quel parti va gouverner le pays pendant, en principe, la durée de la législature.

Dans les détails, il s’agit d’un système qui permet à un seul parti (la plus importante minorité – comme dans certaines lois électorales majoritaires) d’être assuré, grâce aux élections, d’une majorité au Parlement. L’algorithme électoral prévoit deux étapes possibles. Si un parti obtient au premier tour (ce qui est peu probable à présent) un score d’au moins 40%, une prime de majorité lui assigne un nombre suffisant de sièges au Parlement lui garantissant la majorité législative. En cas contraire, un ballotage aura lieu au deuxième tour seulement entre les deux partis qui auront obtenu les scores les plus élevés au niveau national au premier tour, le ballottage tranchant sur la base du vote populaire entre les deux compétiteurs. Les désistements, comme en France ne sont ni possibles ni nécessaires entre les deux tours. Le premier tour assigne sur une base proportionnelle les sièges à l’opposition.

Ce mécanisme, qui a des traits semblables et des différences avec le système électoral qui existe en France (pas de possibilité de triangulaire, ni de collèges uninominaux, mais listes courtes avec les têtes de liste bloquées), a pour fonction d’éliminer les gouvernements de coalition. Ceux-ci ont caractérisé pratiquement la totalité de la vie de la république italienne en contribuant à l’instabilité structurelle des gouvernements et en attribuant un pouvoir « coalitionnel » exorbitant aux petits partis qui peuvent à tout moment tenir en échec les partis les plus importants de la coalition, en menaçant ou en produisant une crise de gouvernement. La nature de la loi explique pourquoi tous les petits partis sont farouchement opposés à cette réforme qui détruit leur pouvoir de chantage.

La réforme du bicamérisme consiste, quant à elle, à produire un équivalent du parlementarisme rationalisé introduit en France par la Constitution de la Ve République, avec notamment la transformation du Sénat en une assemblée qui représente les régions. La Constitution actuelle de la République assigne au Sénat les mêmes pouvoirs qu’à la Chambre des députés (le seul cas semblable en Europe est, à ma connaissance, celui de la Constitution de la Roumanie). Même la confiance au gouvernement doit être votée par les deux chambres qui font doublon. Cela nécessite, pour le fonctionnement du système, la même majorité dans les deux branches du Parlement, de sorte qu’on ne peut même pas parler de contrôle ou de contrepouvoir.

Le parcours des réformes esquissé pourrait aboutir dans les prochains mois, si la fortuna dont parlait Machiavel, aide le Premier ministre lui aussi florentin. Renzi a un mérite important, qui mérite à mon avis d’être souligné. Comme l’a dit lui-même lors d’une rencontre récente avec Angela Merkel et François Hollande à Milan, il sait mieux que la plupart des politiciens italiens et des professeurs de droit public en Italie qu’il est le Premier ministre d’un pays qui a, en politique en tout cas, une «mauvaise réputation».

Pour un pays membre de l’Union européenne, pour un pays qui est donc semi-souverain et dont le sort et le bien-être dépendent de plus en plus de ce que les autre Etats-membres pensent de lui, la tâche qui consiste à rendre meilleure la réputation du pays en question peut être la tâche décisive pour ceux qui le gouvernent. Il faut, et on peut l’espérer, que le parcours réformateur de Matteo Renzi arrive à son but.