Brésil: le déclin des classes moyennes récentes edit

12 mars 2019

Crise économique affectant depuis plusieurs années un champion des pays émergents ; effondrement et corruption du projet politique d’une gauche à vocation émancipatrice ; élection du très disputé Jair Bolsonaro à la tête de l’État. Le Brésil suscite, ces derniers temps, les chroniques critiques et inquiètes. Les images de l’extravagance du célébrissime carnaval de Rio, début mars, contrastent avec celles d’une ferme reprise en main du pays par un régime que l’on décrit comme autoritaire. Mais qui est, avant tout, inégalitaire. Inégalités et insécurité caractérisent les réalités d’une population bigarrée

Les grandes fortunes du pays se réfugient dans des citadelles urbaines, en particulier à São Paulo, où les déplacements sécurisés passent par l’hélicoptère. De l’autre côté de l’échelle sociale, en zones rurales, les « sans-terre » continuent leur mouvement, dans un contexte de répression, et, en zones urbaines, les « favelados » vivent dans des bidonvilles gangrénés par la violence. Au-delà de ces extrêmes très visibles, quel est le visage du Brésil et des Brésiliens ?

Avec plus de 210 millions d’habitants en 2018, le Brésil figure à la sixième place du palmarès des pays les plus peuplés. L’ancienne colonie portugaise se distingue par sa langue dans une Amérique latine très majoritairement hispanophone.

Le pays, comme, au fond, nombre de nations, se définit par un mélange d’unité et de diversité. Sur le plan de l’unité, la population est à très grande majorité chrétienne, à l’instar de ses voisins. Ce qui fait du pays la première nation catholique au monde (avec des résurgences de cultes africains) et la deuxième nation chrétienne (derrière les États-Unis majoritairement protestants). En termes de diversité, la population brésilienne, constituée à partir de plusieurs migrations en provenance de divers endroits du monde, se caractérise par la pluralité des origines et des cultures. Les Amérindiens, premiers habitants de ces espaces, sont très minoritaires. Ils représentent moins de 0,5 % de la population. Les Asiatiques comptent pour plus de 1% du total. Les Noirs, ou « Afro-Brésiliens », décrits pour la plupart comme de lointains descendants des anciens esclaves importés d'Afrique subsaharienne, représentent près de 8% de l’ensemble de la population.

La population qui progresse le plus fortement est celle des métis. Environ 45% des Brésiliens se déclarent ainsi aujourd’hui, contre moins de 40% en 2000. Les Blancs, en déclin significatif, représentent aussi environ 45% des Brésiliens, contre 54% en 2000.

Le pays a connu sa transition démographique. Son indice conjoncturel de fécondité atteint de faibles niveaux, à l’européenne, à 1,8 enfant par femme. De ce fait la population, dont l’image est celle de la jeunesse et de luxuriance exotique des carnavals, connaît un début de vieillissement important. Selon les projections de l’ONU, elle pourrait atteindre un sommet en 2040, à 224 millions d’habitants, et décliner ensuite, avec des rythmes très différenciés selon les régions.

Si le pays est connu pour son immensité et l’Amazonie, avec une densité moyenne de 20 habitants au km2 (soit le cinquième de la situation française), ses habitants vivent d’abord dans des villes. Les Brésiliens sont devenus majoritairement urbains dans les années 1960. C’est le cas maintenant des quatre cinquièmes d’entre eux. C’est cependant la polarisation qui prévaut. De grands bidonvilles – dont les célèbres repères de narcotrafiquants que sont devenues les « favelas » de Rio - côtoient des résidences fermées où se rassemblent les plus aisés, mais aussi les segments supérieurs des classes moyennes. Nourries par la croissance des années 2000 et l’affirmation du Brésil parmi les champions des émergents (n’est-il pas la première lettre de l’acronyme BRICS ?), ces classes moyennes connaissent depuis quelques années avec les contre-chocs économiques et politiques, une nouvelle déstabilisation. Sur un quart de siècle, leur renforcement a accompagné un tassement des inégalités tout relatif. Le Brésil demeure un pays très inégalitaire. Son indice de Gini (0 pour une égalité parfaite, 1 pour une inégalité totale) reste l’un des plus élevé du monde, à 0,52 en 2015, contre 0,60 à la fin des années 1990. Cet indice est d’environ 0,3 en France, 0,4 en Chine, moins de 0,5 au Nigéria comme au Kenya.

Le Brésil se stratifie socialement autour d’une élite riche, de classes moyennes à aspirations grandissantes mais déçues (notamment en termes de sécurité et de couvertures sociales, d’accès à une éducation de qualité), et d’une partie de la population concentrée dans des zones urbaines défavorisées et violentes. En 2017, six villes brésiliennes figurent parmi les vingt villes les plus dangereuses au monde. La criminalité avait été contenue et certaines favelas pacifiées à Rio avant les jeux olympiques de 2016. La criminalité violente a ensuite repris à des niveaux intenses. À Rio, les forces de police sont placées, depuis 2018, sous l’autorité de l’armée.

La situation d’insécurité de la population brésilienne fait incontestablement mentir la devise du pays, « ordem e progresso », inspirée d’une formule d’Auguste Comte, « l’ordre pour base ; le progrès pour but ». La grande question est de savoir si les années à venir feront ou non mentir une autre maxime, attribuée – c’est selon – à de Gaulle ou à Clemenceau : « Le Brésil est un pays d’avenir et le restera longtemps ».

Au-delà de cette conclusion par citation, que retenir ? Le Brésil a surtout connu, au cours de ces deux dernières décennies, une affirmation de ses classes moyennes. Au point que certains commentateurs au début des années 2010 le définissaient, un peu à la française, mutatis mutandis, comme un « pays de classes moyennes ». L’étiolement, les difficultés et les inquiétudes de ces catégories centrales récentes et déstabilisées se situent au cœur des tensions très actuelles du pays. Les populistologues (spécialistes du populisme) y trouvent la validation de leurs théories générales. Avec de bonnes données et de bons arguments.