Productivité: les Etats-Unis toujours en tête… edit

6 février 2008

La bonne performance productive de certains pays européens comme la France et l’Allemagne pourrait être factice : la moindre mobilisation de la population en âge de travailler élèverait mécaniquement la productivité horaire du travail des pays européens comparés aux Etats-Unis. Quelles conséquences en tirer pour la politique économique ?

Le niveau de vie économique moyen d’une population est généralement appréhendé par le produit intérieur brut (PIB) par habitant. Les comparaisons internationales de PIB par habitant entre les principales économies industrialisées aboutissent alors à montrer une grande supériorité des Etats-Unis. Et contrairement à l’observation directe de la productivité horaire du travail, plutôt favorable à la France, le calcul de la productivité corrigée des écarts de taux d’emploi et de durée du travail confirme que les Etats-Unis définissent toujours la frontière technologique. Ainsi, aux politiques économiques visant la mobilisation de la population en âge de travailler, doivent se greffer des politiques visant à dynamiser la productivité du travail si l’on veut y éviter la poursuite d’une paupérisation relative vis-à-vis des Etats-Unis.

Il est bien connu que le PIB par habitant des pays du G7 ou de la Zone euro ou encore de l’Union Européenne à 15 pays se situerait généralement entre 70 % et 80 % du niveau observé aux Etats-Unis. Simultanément, l’écart en termes de productivité horaire du travail vis-à-vis des Etats-Unis serait beaucoup plus réduit. Certains pays du G7 comme l’Allemagne et la France bénéficieraient même d’un niveau de productivité horaire équivalent voire légèrement supérieur au niveau observé aux Etats-Unis. Le contraste entre un écart, vis-à-vis des Etats-Unis, important en termes de PIB par habitant et faible en termes de productivité horaire du travail s’explique comptablement par le fait que le taux d’emploi de la population en âge de travailler et/ou la durée du travail des personnes en emploi sont généralement plus élevées aux Etats-Unis que dans les autres pays industrialisés.

Ces constats pourraient suggérer que de nombreux pays industrialisés, comme la France et l’Allemagne, seraient très performants en termes de productivité et se situeraient même, comme les Etats-Unis, sur la frontière technologique. Mais ces mêmes pays auraient fait le choix de se tourner davantage que les Etats-Unis vers les loisirs. Ce choix se traduirait par un taux d’emploi et/ou une durée du travail plus faible.

En 2004 Edward Prescott a mis en relation le nombre d’heures travaillées en moyenne par chaque personne en âge de travailler avec le taux de taxation globale sur les ménages, c'est-à-dire avec le total des prélèvements fiscaux sur le revenu et la consommation et des prélèvements sociaux. Il aboutit à expliquer totalement l’écart de ce nombre d’heures entre les Etats-Unis et les principaux pays d’Europe continentale par le taux des prélèvements. Ainsi, selon Prescott, la moindre mobilisation de la population en âge de travailler en Europe ne résulterait pas de préférences collectives mais du poids des prélèvements qui désinciteraient l’offre de travail.

Olivier Blanchard a invalidé au moins partiellement cet argument en 2006, sur la base de quelques exemples comme celui de l’Irlande où la durée moyenne du travail a fortement diminué sur les dernières décennies sans que des modifications de taxation puissent expliquer ces variations. Pour lui, si la taxation et la réglementation peuvent expliquer des écarts de taux d’emploi, ceux observés sur la durée du travail résulteraient en grande partie de préférences collectives. D’autres auteurs avancent que les écarts de taxation et de réglementation qui brideraient la mobilisation de la population en âge de travail résulteraient en bonne partie de préférences syndicales.

Cette littérature est loin d’être aboutie. Elle suggère cependant de fortes orientations de politique économique, visant à éviter des désincitations de l’offre de travail par la réglementation et la fiscalité, voire à inciter cette offre de travail en proportion des externalités économiques favorables d’un surcroît d’offre de travail.

En réalité, la bonne performance productive de certains pays européens comme la France et l’Allemagne pourrait être factice, comme nous l’avons montré avec Renaud Bourlès dans diverses publications. En effet, le taux d’emploi et la durée du travail auraient des rendements fortement décroissants. S’agissant du taux d’emploi, les personnes en âge de travailler mais qui ne sont pas employées, seraient moins productives que la moyenne. S’agissant de la durée du travail, chaque heure travaillée serait en moyenne moins productive que les précédentes. En conséquence, la moindre mobilisation de la population en âge de travailler élèverait mécaniquement la productivité horaire du travail des pays européens comparés aux Etats-Unis.

On devrait donc calculer la productivité horaire structurelle, autrement dit le niveau de productivité horaire qui serait observé dans les différents pays si le taux d’emploi et la durée du travail y étaient identiques à ceux des Etats-Unis. Lorsque l’on fait ce calcul, il apparaît que le niveau de productivité horaire structurelle est partout inférieur à celui des Etats-Unis, ce pays continuant de définir seul la frontière technologique. Il apparaît même que la supériorité américaine se serait accrue depuis le milieu de la décennie 1990. Dynamiser la productivité du travail est indispensable si l’on veut y éviter la poursuite d’une paupérisation relative vis-à-vis des Etats-Unis.