L’Europe ne croit pas à la récession edit

8 décembre 2008

La crise financière globale qui sévit depuis le printemps 2007 est en train de se transmettre de manière violente à l’économie réelle. Le G20 a appelé à des soutiens massifs à l’économie globale. La plupart des pays de l’OCDE ont répondu par des plans de soutien massifs à leur économie, mais pas les trois grands de la zone euro, Allemagne, France, Italie. Pourquoi ? Le pari est-il tenable ?

Au Royaume-Uni, comme aux Etats-Unis ou encore en Espagne, l’activité économique s’est dramatiquement détériorée et les conséquences sont visibles au niveau macroéconomique comme au niveau microéconomique. Au niveau macroéconomique, le taux de croissance du PIB s’est effondré dans ces pays, le taux de chômage remonte violemment (il est passé de 4,4% il y a deux ans à 6,7% aujourd’hui aux Etats-Unis, et de 8,3% en 2007 à 10,3% en 2008 en Espagne). L’inflation chute sous la double influence de la baisse de l’activité et de la chute du prix des matières premières (qui est d’ailleurs en partie due à l’effondrement de l’activité américaine). Après avoir frôlé les 5% à plusieurs reprises ces deux dernières années aux Etats-Unis, elle pourrait atteindre zéro en fin de ce trimestre.

Au niveau micro, les secteurs financier et immobilier sont paralysés depuis l’été 2007 également. Or ces deux secteurs sont des moteurs des économies américaine, britannique ou encore espagnole. Le secteur financier contribuait à hauteur de 1 point de pourcentage à la croissance espagnole et britannique en 2006 (moins de 0,3% points de pourcentage dans le reste de l’Europe continentale). L’immobilier représente 5 millions d’emplois aux Etats-Unis. En Espagne, le secteur de la construction représente près de 10% de la valeur ajoutée et celui des services financiers et immobiliers 21%. En outre les secteurs immobilier et financier sont intimement liés à la mécanique et l’ampleur de l’endettement des ménages dans les pays anglophones : indirectement, ils conditionnent la consommation. En effet, nombre de consommateurs anglophones (notamment ceux dont les revenus sont les moins élevés) dépendent dans une large mesure de la disponibilité du crédit pour consommer, les biens courants comme les biens de consommation durables. Leur capacité d’endettement croît avec les prix de l’immobilier. Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, le consommateur est très lourdement endetté. Et dans ces deux pays, l’augmentation de l’immobilier leur permettait de s’endetter encore plus.

La baisse de l’immobilier couplée à l’effondrement de la finance a donc des répercussions sur l’activité réelle fortes et immédiates aux Etats-Unis et Royaume-Uni, tout comme en Espagne. Face à un éclatement de bulle d’actifs, qui entraîne une récession de l’activité réelle, l’expérience japonaise et la théorisation de Mishkin suggèrent la stratégie que l’on a vue en place au Royaume-Uni et aux Etats-Unis : des réactions rapides et importantes des politiques monétaires (baisse des taux de 375 points de base au Royaume-Uni et 425 points de base aux Etats-Unis entre l’été 2007 et aujourd’hui), et des réactions immédiates et de grande ampleur de la politique budgétaire. Le Royaume-Uni a mis en place un plan de soutien à l’activité de près de 20 milliards de livres et laisse son déficit budgétaire se détériorer de moins de 3% du PIB en 2007 à près de 8% du PIB en deux ans ; le plan de soutien américain hors secteur financier pourrait frôler les 4% du PIB (et les 9% avec le soutien au secteur financier !). L’Espagne, également très touchée par l’éclatement de la bulle immobilière, met aussi en place un plan de plus de 1,3 point de PIB.

Les plans anglais, américain, espagnol sont très ciblés : l’immobilier va bénéficier de larges mannes. Aux Etats-Unis, directement ou indirectement (via le rachat d’actifs adossés sur l’immobilier) on parle de plusieurs centaines de milliards de dollars. La finance a reçu également plusieurs centaines de milliards de dollars (au total, plus de 1100 milliards de dollars à ce jour aux Etats-Unis, près de 600 milliards d’euros en Europe). Le consommateur américain, qui ne peut trouver de crédit, reçoit un chèque du Trésor pour soutenir sa consommation courante ; le britannique va voir la TVA baisser de 2,5 points pour une période de deux ans. Le ménage américain, anglais ou espagnol qui ne peut faire face à ses remboursements immobiliers sous l’effet de ciseaux de la baisse des prix de son bien et de la remontée des taux d’emprunts bénéficie de l’étalement voire d’un gel de ses remboursements d’emprunt. En comparaison, les 45 milliards de dollars qui pourraient soutenir le secteur automobile américain ne représentent qu’une toute petite part des dépenses effectuées !

Par contraste, l’Europe continentale apparaît de nouveau engoncée dans son pacte de stabilité : la Commission a proposé (proposé seulement ! la politique budgétaire restant du ressort des Etats membres et le budget dit européen, 1% du PIB de toute l’Europe, étant pour 40% dédié à l’agriculture) un soutien de  « seulement 1,5% de PIB » au niveau européen (ce qui, avec un déficit prévu de 1,6% de PIB en 2008 permet de rester dans les clous du Traité). En réalité la somme effective des dépenses de soutien à l’activité serait bien inférieure à ce chiffre. A titre d’exemple, le plan français représente moins de 0,75% de PIB sur deux ans en dépense d’investissement (le reste est pour une large part un soutien de trésorerie – utile en période de restrictions de crédit – aux entreprises… sous la forme de moindres délais de paiement de l’Etat en partie !). Et ces investissements sont des infrastructures ferroviaires ou énergétiques dont la construction de quatre lignes TGV à l’horizon 2010-2014 ! De même en Allemagne les dépenses effectives de soutien ne seraient que de 12 milliards d’euros, et en Italie aux alentours de 6-7 milliards d’euros. Bref, les trois plus grands pays de la zone euro (près de 70% de la zone à eux tout seul) peineraient à dépenser plus de 30 milliards d’euros ou 0,22% seulement du PIB de la zone euro ! On est loin d’un plan de soutien immédiat et de grande ampleur à l’activité économique.

La faute du Pacte ? Non, en réalité l’Europe continentale ne croit pas à la crise parce que le consommateur vit peu à crédit, le secteur financier est moins important pour l’économie, la bulle immobilière était d’une ampleur bien plus modeste, les exportations allemandes seront soutenues par le stimulus fiscal des pays importateurs de produits allemands…

Il est vrai qu’en zone euro, le consommateur est faiblement endetté. Dans une large mesure il ne s’endette que pour acheter son logement et sa voiture, et le crédit est extrêmement encadré : il y a donc moins de propriétaires de leur logements, et les consommateurs sont faiblement endettés. Le moteur de la consommation reste le revenu disponible. A l’inverse, les entreprises dépendent plus du secteur bancaire pour financer leurs investissements ; pour la plupart, les PME, elles vivent dans un état permanent de rationnement de crédit. Alors le rationnement dû à la crise s’est fait peu sentir jusqu'en septembre : les enquêtes de la Banque de France ne montrent un resserrement important des conditions de crédit bancaires que depuis mi-septembre. Les places financières de la zone euro n’ont jamais vraiment concurrencé la place de Londres et le secteur financier joue donc un rôle nettement plus modeste dans l’économie. Les banques d’Europe continentale n’ont pas fait autant de titrisation (elles ont seulement acheté des produits titrisés…). Enfin, le crédit immobilier reste plus régulé, et les prix, même en France, ont moins augmenté en cumulé qu’ailleurs ; d’ailleurs ils baissent moins vite… il y a seulement moins de transactions.

Et c’est, pour le moment, ce que raconte l’observation macroéconomique : en zone euro, la baisse de croissance ou remontée du chômage est encore faible (les derniers chiffres allemands continuaient de faire part d’une baisse du chômage).

En fait, plus que les variables observées, ce sont les indicateurs avancés qui se sont détériorés de façon spectaculaire : si l’on en croit les derniers indicateurs avancés de l’INSEE, la récession en France serait d’une ampleur au moins deux fois plus importante que celle de 1993, les PMI de tous les pays de la zone euro atteignent des records à la baisse…

Au total, les preuves d’une récession ne sont pas aussi évidentes qu’aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ou en Espagne. Partant, les plans de soutien en Europe continentale sont plus modestes : ils reflètent le sentiment que la moindre importance des secteurs financier et immobilier pourrait résulter en une moindre récession ; que l’efficacité des politiques budgétaires des autres (hors Europe) viendra pallier la récession globale et donc soutiendra les exports à la zone euro ; que la résilience européenne qu’est cette capacité particulière à chuter moins vite et remonter plus lentement, joue encore. Les gouvernements de la zone euro ne croient pas à une récession sévère, imminente, aussi brutale qu’aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ou en Espagne : ont-ils tort ?