Chômage : de l’efficacité des sanctions edit

11 juillet 2007

Le bâton est-il toujours efficace pour inciter les chômeurs à retrouver le chemin de l’emploi ? Une étude allemande suggère de nuancer cette interprétation trop mécanique.

Dans les années 1990, plusieurs pays européens ont entrepris de réformer en profondeur leur marché du travail pour combattre le chômage de masse. Ces réformes consistaient essentiellement à manier « la carotte et le bâton ». La carotte, c’étaient des mesures pour activer la recherche d’emploi (aide personnalisée, formation permanente, emplois subventionnés) ; le bâton, c’étaient en cas d’échec à se conformer aux règles de recherche d’emploi des sanctions portant sur les indemnités, allant des réductions à l'interruption, provisoire ou permanente. Les évaluations menées aujourd’hui suggèrent qu’en général, ces combinaisons d’aide et de contrôle ont réussi à augmenter le taux de retour à l’emploi.

Après un long débat, le gouvernement allemand a finalement suivi la voie ouverte par d’autres pays européens en réformant à son tour son marché du travail, à grande échelle, entre 2003 et 2005. Ces réformes comprennent un ensemble de mesures fondées sur le nouveau principe de « droits et de devoirs », la version allemande de la carotte et du bâton. Les premières évaluations de ces mesures indiquent que certaines ont été très utiles pour augmenter le taux de retour à l’emploi. Cependant, une énigme demeure, qui ne laisse pas de surprendre : en Allemagne, contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays, les demandeurs d’emploi semblent être peu sensibles, dans la pratique, aux sanctions temporaires sur leurs indemnités. Par exemple, une étude récente montre qu’une division par deux de ces indemnités n’a qu’un impact très faible sur les probabilités individuelles de réemploi. De plus, une évaluation des effets des sanctions depuis les réformes indique pour le moment que les coupes dans les indemnités n'ont pas eu d'impact significatif sur les salaires de réservation des demandeurs d’emploi, en tout cas pas à court terme.

Que peut cacher cette découverte surprenante ? Si nous admettons que le salaire de réservation d’un travailleur, c’est-à-dire celui en-deçà duquel il n’accepte pas de prendre un emploi, contient toute l'information pertinente sur son comportement de recherche, nous devons regarder de plus près ce qui détermine ce salaire de réservation. Sans surprise, le dernier salaire net, les montant des indemnités et le niveau des autres revenus du ménage se révèlent empiriquement des déterminants pertinents, dans le cas allemand. Mais un autre déterminant important est la sensibilité au risque des demandeurs d’emploi. Cet aspect a été largement négligé dans la littérature empirique, bien que les modèles théoriques et expérimentaux aient montré une relation inverse entre l’acceptation individuelle du risque et le salaire de réservation : en d'autres termes, plus un demandeur d’emploi montrera d’aversion au risque, plus bas sera son salaire de réservation, toutes choses égales par ailleurs. L'intuition fondamentale est que les demandeurs d’emploi les plus réticents au risque attribuent moins de valeur aux gains attendus de leur recherche d’emploi.

En travaillant sur une étude du Socio-Economic Panel (SOEP) portant sur l'année 2004 et sur quelques mesures plus récentes des attitudes individuelles en termes de risque, nous avons trouvé qu'entre 60% et 90% des demandeurs d’emploi allemands sont réticents envers le risque, l’écart entre ces deux chiffres dépendant de la façon de mesurer les attitudes individuelles face au risque. Nous observons par ailleurs une corrélation négative significative entre le niveau d'aversion individuelle au risque et le niveau individuel du salaire de réservation : toutes choses égales par ailleurs, entre une personne caractérisée par une acceptation maximale du risque et une personne caractérisée une aversion maximale au risque, la différence du niveau de salaire de réservation n’est que de 30%. Allons plus loin : en comparant les élasticités estimées du salaire de réservation par rapport aux indemnités de chômage, on trouve que les individus réticents au risque répondent moins, voire pas du tout, aux variations des indemnités de chômage.

Ces conclusions s’accordent aussi à ce que l’on sait déjà des effets des sanctions sur les salaires de réservation individuels. L’étude du rapport entre les attitudes des demandeurs d’emploi face au risque permet ainsi d’avancer dans la compréhension de cette énigme de la faible sensibilité des demandeurs d’emploi allemands aux interruptions des versements de leurs indemnité de chômage.

Tous ces résultats peuvent conduire à une interprétation selon laquelle en Allemagne, un groupe important de demandeurs d’emploi réticents au risque a déjà réglé son salaire de réservation à un niveau suffisamment bas pour accepter presque tous les emplois. Mais quelles conclusions pouvons-nous tirer de ces résultats en termes de politiques publiques ? En premier lieu, que dans un groupe donné, l'efficacité des mesures d’activation semble dépendre de la distribution des préférences en termes de risque et qu’il importe donc de prendre en compte cette donnée si l’on veut construire une politique efficace. Cela pourrait nous aider à expliquer pourquoi les sanctions sur les indemnités marchent bien dans certains pays mais pas dans d’autres. Ensuite, dans les pays où nous observons chez les demandeurs d’emploi un haut degré d'aversion au risque, l'approche la plus raisonnable pourrait être de combiner des mesures d'activation avec des sanctions relativement douces. On conserverait ainsi l’ « effet de menace » tout en le maintenant dans les limites de sa stricte utilité.