Les classements internationaux d’universités ont-ils un sens? edit
Lorsqu’en 2003, le site Internet de l’Université Jiao Tong de Shanghaï rendait public le premier classement mondial des 500 meilleures universités, cet objet nouveau a d’abord été accueilli, dans les milieux universitaires, avec un scepticisme condescendant. Qu’une université chinoise quasi-inconnue ose prétendre classer les meilleures universités du monde... En 2004, pourtant, un périodique britannique, le Times Higher Education Supplement, emboîtait le pas en proposant son propre ranking. La controverse fait depuis lors rage, sur la méthodologie, les critères, la pertinence même d’un classement pour évaluer les performances des établissements d'enseignement supérieur. Mais faute d’autres instruments de comparaison, ces classements ont fini par faire autorité.
Les deux classements mondiaux produisent des résultats relativement convergents, dont les différences reflètent les méthodologies choisies. Considérant que la renommée d’un établissement est principalement liée à la notoriété de ses chercheurs, Jiao Tong privilégie la recherche et, assez naturellement dans le contexte de la Chine aujourd'hui, les sciences exactes. Le classement s’appuie sur un petit nombre de critères qui ne nécessitent que des données publiques, aucune n’étant obtenue directement des universités : le nombre de lauréats du prix Nobel ou de la médaille Fields parmi les anciens étudiants ou le corps enseignant de chaque établissement d'enseignement supérieur, les travaux les plus fréquemment cités, dans les grands domaines scientifiques, de chercheurs affiliés à chaque université, le nombre d’articles d’enseignants ou chercheurs paraissant dans les revues Nature et Science, ainsi que dans un index de plusieurs milliers d’autres publications.
Le Times a choisi pour sa part de retenir tout ce qui fait qu’une université est de premier ordre : la recherche, qui se voit cependant accorder un poids moins écrasant, mais aussi la qualité de l’enseignement et celle des étudiants. Le classement privilégie la notoriété, mesurée par l’opinion des pairs (40 %) et des employeurs potentiels (10%). Un panel de 2375 universitaires-chercheurs, représentatif de la répartition mondiale des établissements d'enseignement supérieur et aussi de toutes les disciplines, a donc été formé, à qui l’on a demandé de désigner les universités en pointe dans leur domaine. S’agissant des employeurs, un autre panel a été formé par 333 responsables de ressources humaines dans les plus grandes entreprises, invités à nommer les 20 universités dont ils recruteraient en priorité les diplômés. La qualité de l’enseignement est mesurée par le ratio corps enseignant-effectifs d’étudiants (20 %) et par l’internationalisation tant des enseignants que des étudiants (10 %). Les travaux de recherche n’apparaissent explicitement, avec une pondération de 20 %, que dans les statistiques de travaux publiés.
En dépit de ces différences on retrouve les mêmes « stars » dans le top 10 : Harvard, champion toutes catégories, Princeton, Yale, Stanford, UC Berkeley, le MIT, CalTech, ainsi que les fleurons du Royaume-Uni, Cambridge et Oxford. Mais la méthode retenue par le Times aboutit à accorder un traitement plus équitable aux établissements qui ne sont pas présents dans les sciences exactes. C’est ainsi que la London School of Economics, reléguée au 218e rang par le classement de Jiao Tong, figure honorablement 11e dans le classement du Times. Même l’Ecole Polytechnique, pénalisée dans le premier (208e), se retrouve 10e dans le second.
Dans l’ensemble, cependant, les établissements français d'enseignement supérieur font pâle figure. Quatre d’entre eux seulement figurent dans les 100 premiers du classement de Shanghaï – Paris VI (46e), Paris XI-Orsay (61e), Strasbourg I (92e) et l’ENS-Ulm (93e) – et cinq dans celui du Times – outre Polytechnique (10e) on y trouve l’ENS-Ulm (24e), Sciences Po (69e), Paris VI (88e), l’ENS-Lyon (92e). Quatre établissements figurent encore dans les cent suivants de Jiao Tong (le Collège de France, Grenoble I, Paris V et Paris VII) et autant dans la même tranche du Times (Paris I, Strasbourg I, HEC et Toulouse I). Les « déclinologues » ont voulu voir là une preuve de plus de la justesse de leurs analyses, tandis que les responsables universitaires ont, tout en émettant des réserves quant à la méthodologie retenue, qui pénalise les établissements français, incriminé le sort réservé à l’enseignement supérieur et à la recherche dans notre pays.
Les critiques sont fondées : ces classements comparent des entités qui ne sont pas comparables et introduisent de nombreux biais, dont le principal est certainement d’ordre linguistique. L’immense majorité des publications choisies pour recenser les travaux et citations est en effet de langue anglaise. Mais cette hégémonie reflète également une situation de fait : aussi excellents soient-ils, les articles qui ne paraissent pas en anglais n’ont, sauf exception, guère de chances de connaître une diffusion mondiale. Le même constat vaut pour les livres, qui ne figurent du reste pas dans les critères retenus dans ces classements.
Ceux-ci ont cependant le mérite d’exister, et d’être établis à partir de critères qui, pour être arbitraires, n’en sont pas moins légitimes. Ils ne sont pas voués à disparaître. Ils révèlent sans fard les handicaps dont souffre notre système universitaire dans un contexte aujourd'hui fortement mondialisé. Il n’y a pas unanimité, dans notre pays, pour reconnaître l’existence d’un problème ou sa gravité, sans même parler des remèdes. C’est pourtant dans la singularité du modèle français qu’il faut chercher les raisons principales du décalage. Contrairement à ce que suggère le slogan trompeur d’« autonomie », les universités françaises ne jouissent d’aucune des libertés qui ailleurs sont les conditions, nécessaires, mais non suffisantes, de l’excellence : la liberté de choisir leurs étudiants, la liberté de choisir leurs enseignants, la liberté de déterminer leurs ressources et leurs dépenses – en clair, de demander des droits de scolarité aux étudiants – et la liberté de déterminer le contenu des enseignements dispensés et des diplômes délivrés.
Les gouvernements successifs, de gauche ou de droite, qui ont manifesté des velléités de s’attaquer aux tabous de la sélection, de la gratuité ou de la centralisation ont dû battre en retraite précipitamment devant les coalitions de tous les corporatismes. Peut-être ces classements fourniront-ils à un gouvernement futur des arguments pour expliquer à l’opinion publique qu’avec un système archaïque la France ne peut guère nourrir d’espoir de se hisser dans le peloton de tête de l’excellence universitaire.
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