FMI : qu'attendre de Singapour ? edit

18 septembre 2006

Le FMI et la Banque Mondiale tiennent ces lundi et mardi leurs réunions annuelles à Singapour. Ces réunions ont une composante folklorique. Tout ce que la terre compte de financiers (ministres, banquiers centraux, banquiers privés, universitaires) pour le FMI, et de spécialistes du développement pour la Banque Mondiale, se retrouve pour la grand-messe annuelle. Depuis quelques années, invitées pour montrer l'ouverture du Fonds et de la Banque à la société civile, des milliers d'ONG se mêlent à la cohue et expriment leurs préoccupations. A l'extérieur, ceux qui ne sont pas invités brisent quelques vitrines, encore que cette année ils vont découvrir ce qu'est une police dans un pays autocratique. Et puis les feux s'éteignent et chacun rentre à la maison, fier d'avoir participé à un non-événement.

Cette année, le FMI a claironné à l'avance que la réunion serait consacrée à la réforme de ses statuts tant attendue et tant repoussée. Depuis la crise asiatique, en 1997, le FMI est sur la défensive. Attaqué d'un côté pour ses recettes standardisées et la lourdeur de ses conditions, de l'autre pour ses prêts à des régimes corrompus, le Fonds a fait un peu sa mue.. Il s'est montré moins secret - entre autres, en développant un site web d'une grande richesse d'information - et a pris quelques distances avec son cathéchisme libéral. Mais il reste une institution dominée par les pays développés, notamment par les Etats-Unis. Sur la question de la gouvernance, rien n'avait vraiment bougé, en dépit d'un nombre incalculable de propositions. C'est cette question qui est maintenant au centre des débats.

Au FMI, les décisions sont prises par le Conseil d'administration. Présidé par le Directeur général, il comprend 24 administrateurs qui représentent les 184 pays membres. Chaque pays a un droit de vote qui se compose de deux parties : un droit de base, le même pour tous les pays, et un quota qui correspond à la « taille » du pays. Un système compliqué de formules sert de base pour la fixation des quotas, qui sont révisables tous les cinq ans. La dernière révision devait avoir lieu en 2003 mais elle a été annulée, faute d' accord. La prochaine est programmée pour 2008. Cette perspective agite beaucoup les esprits.

Les formules sont peut-être compliquées mais, mis à part quelques exceptions intéressantes, les quotas correspondent à peu près à la taille du PIB de chaque pays. Par exemple, le PIB de la France pèse 4,74% du PIB mondial, son quota est de 4,95%. Le débat sur la répartition des quotas porte donc sur le critère à retenir et sur l'application de ce critère. La première question est aussi vieille que le FMI, il n'y pas de critère qui s'impose. On s'achemine vers une simplification de la formule, qui mettra en avant le PIB, les exportations et les flux de capitaux. La deuxième est ce qui mobilise les énergies à Singapour. Les pays en développements estiment que leur poids est sous-estimé. Il est vrai qu'avec 10% de croissance par an, le poids de la Chine n'est plus ce qu'il était lors de la dernière révision des quotas en 1998. Son PIB est aujourd'hui de 5% du PIB mondial, alors que son quota n'est que de 2,89%.

Mais comme la somme des quotas est de 100%, augmenter celui de certains pays signifie diminuer ceux d'autres pays. L'affaire est délicate, d'autant que les décisions importantes requièrent 85% des voix. Avec 17%, les Etats-Unis ont un droit de veto, qu'ils sont bien décidés à conserver. Face à la foire d'empoigne qui s'annonce, on s'achemine vers une opération en deux temps. Cinq pays (la Chine, la Corée, la Turquie et le Mexique) recevraient immédiatement un acompte exceptionnel (la Chine passe à 3,7%). On lancerait ensuite une opération complémentaire pour préparer la révision de 2008. Mais celle-ci sera forcément modeste, D'abord parce que, contrairement à ce que l'on croit, à quelques exceptions près, les quotas actuels ne sont pas si éloignés de la réalité économique... Ensuite parce que les pays développés vont faire de la résistance.

C'est pour cela que l'on a introduit dans le débat la notion de « voix » : même les pays à petits quotas (Palau, une île du Pacifique, a un quota de 0,001%) doivent pouvoir se faire entendre là où ça compte. Et « là », c'est le conseil d'administration. Huit administrateurs représentent un seul pays (États-Unis, Japon, Allemagne, France, Royaume-Uni, Chine, Russie et Arabie Saoudite). Les autres représentent des groupes de pays ; parmi eux on dénombre cinq Européens. Au total, à la grande table de décision, il y a neuf Européens, puisque le directeur général est toujours européen, le résultat d'un accord passé en 1944 avec les Etats-Unis qui nomment le patron de la Banque Mondiale. Neuf sur vingt-cinq, c'est beaucoup. Le débat sur les « voix » consiste donc à dire : on ne peut pas beaucoup bousculer les droits de vote, faisons au moins en sorte que le Conseil d'Administration soit plus représentatif du monde. Une solution fréquemment avancée consisterait à avoir un seul administrateur pour la zone euro. Pour une institution qui se préoccupe avant tout des taux de change, c'est logique. On pourrait aussi regrouper les autres pays européens, qui se partageraient ainsi deux sièges d'administrateurs. Il est également question de remettre en cause à terme la garantie d'une présidence européenne. Voilà qui amènerait un courant d'air frais. Oui, mais les Européens manquent d'enthousiasme. La France, par exemple, tient autant à son siège au FMI (et à la Banque Mondiale, où la gouvernance est très similaire) qu'à celui qu'elle a au Conseil de sécurité. La scène est posée pour un dialogue musclé entre les Européens et tous les autres.

Singapour va donc ouvrir le débat. La déclaration de clôture ne manquera pas de souffle, mais ne dira pas comment accroître l'influence des pays en développement sans réduire celle des Américains et des Européens. Forcément, puisqu'il n'y a pas de solution. On va donc marchander ferme, déplacer un tout petit peu le curseur des quotas, et remettre à plus tard une vraie redistribution des pouvoirs. Le problème c'est que plus tard, rien ne changera à la détermination des puissants de garder le pouvoir. Sauf si un certain nombre de pays décident de s'organiser entre eux et d'ignorer le FMI, une idée en vogue en Asie.