Parlement européen: les Britanniques isolés edit

1 avril 2016

L’une des critiques récurrentes des partisans du Brexit, relayée par les tabloïds, est la dilution de l’influence des eurodéputés britanniques sur les décisions concernant les 64 millions de citoyens de sa Majesté. Qu’en est-il exactement ?

Le poids de la délégation d’un État au sein d’un groupe politique du Parlement européen est l'élément principal de distinction pour faire entendre sa voix et peser sur les décisions et les nominations. Avec leurs 73 élus – un de moins que la France, autant que l’Italie, et donc le troisième pays avec le plus de représentants – les eurodéputés britanniques se répartissent essentiellement au sein de 3 groupes (ECR, S&D et EFDD) en y ajoutant 6 élus sur les 50 Verts de l’institution (soit autant que les Français mais derrière les Allemands). En revanche, dans le cadre de la 8e législature, un seul député siège au sein du groupe des libéraux (ALDE), contre 12 entre 2009 et 2014.

Le Royaume-Uni compte actuellement 37 députés exerçant des responsabilités importantes, soit plus que les 34 députés français et moins que l’Italie avec 41 députés ou l’Allemagne avec ses 64 postes « importants ». Les Britanniques occupent 9,3% des postes d’influence du Parlement européen (sur un total de 398) contre 8,5% pour la France, 10,3 % pour l’Italie et 16,1% pour l’Allemagne. Ces données ne tiennent pas compte des fonctions de rapporteurs pour lesquels les députés britanniques sont en recul.

Concernant la répartition des rôles, les Britanniques, traditionnellement, se concentrent sur les domaines identifiés comme essentiels au Royaume-Uni quel que soit le parti politique. La présidence du socialiste Claude Moraes à la commission Libertés civiles, justice et affaires intérieures (LIBE) ou celle de Vicky Ford (ECR) pour le marché intérieur et la protection du consommateur (IMCO) s'inscrivent très clairement dans une stratégie qui dépasse les clivages politiques. Les Britanniques sont très présents sur les fonctions clés avec 27 coordinateurs. Cette fonction, peu connue, est un rouage essentiel dans le travail des commissions et permet d’être un acteur majeur de la négociation entre groupes politiques. 14 coordinateurs au groupe ECR et 9 à l’ELDD augmentent le poids de leur influence même si ce n’est pas au sein des deux principales forces politiques de l’institution. On notait 21 coordinateurs britanniques lors de la législature 2009-2014 contre 25 Allemands, 4 Italiens et 9 Français. Les Britanniques s’appuient en conséquence sur deux délégations fortes au sein du S&D et du groupe ECR, et disposent de quelques postes supplémentaires grâce au groupe composé par Nigel Farage mais dont la portée réelle est marginale en termes d’influence. Cette stratégie demeure fragile, l’activité parlementaire étant négligeable pour ce dernier et l’existence de son groupe incertaine.

Toutefois, lors d’une précédente étude (Bilan et enseignements de la 7e législature du Parlement européen, 2009-2014, Fondation Robert Schuman, 7 avril 2014) nous avions montré que le comportement parlementaire européen suit des habitudes nationales et les Britanniques apparaissent dans le trio de tête en termes d’activités. Ces eurodéputés sont également fortement soutenus par leurs partis qui élaborent des stratégies pour leur représentation à Bruxelles. Le long terme prévaut et permet d’assurer la présence de politiques reconnus et obtenir ainsi des postes d’envergure tout en assurant l’avenir avec un renouvellement de génération des élus. Le résultat des élections de mai 2014 atténue ce constat.

Troisième délégation chez les socialistes et démocrates européens (S&D, 20 députés sur 190 contre 13 lors de la législature précédente), le Labour obtient en mai 2014 les portefeuilles de deux commissions parlementaires en charge du développement et des Libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures. Toutefois, ce sont surtout les deux groupes cofondés par des élus britanniques qui leur octroient une forte présence, politique d’abord mais aussi médiatique. 

La scission pour exister… 

Le Groupe des Conservateurs et réformistes européens (ECR) que les Britanniques dominent largement avec les Polonais (21 et 19 députés contre 8 Allemands pour la troisième délégation) a été créé en 2009, et conceptualisé dès 2003 par trois partis nationaux : le parti Conservateur britannique, le parti polonais Droit et Justice (D&J) et le parti démocrate civique tchèque.

Dès 2006, David Cameron, leader du parti Conservateur et le Premier ministre tchèque, leader du parti démocrate civique, ont annoncé leur volonté de créer un groupe indépendant du Parti Populaire Européen (PPE) suite aux élections de 2009 pour affirmer leur vision d’une Europe ouverte, flexible et reposant sur la coopération entre États membres, mais non destinée à promouvoir davantage d’intégration. Fonder ainsi un nouveau groupe assure l'obtention d'un budget dédié, d'un secrétariat, de soutien des services du Parlement comme la traduction, mais surtout de peser pour l'obtention des rapports ou lors de la conférence des présidents qui détermine, entre autres, l'agenda.

Leur isolement les a conduit à se rapprocher de députés appartenant à des partis politiques controversés pour former ce groupe. D’ailleurs, face aux déclarations de Beatrix von Storch du parti allemand Alternative für Deutschland qui a encouragé l'utilisation d'armes contre les migrants essayant d'entrer illégalement en Allemagne, le groupe ECR leur a notifié leur expulsion du groupe en les invitant à quitter ce dernier d'ici fin mars. Les deux eurodéputés allemands estiment toutefois qu'une majorité des membres ECR votera en faveur de leur maintien, illustrant la faible cohésion politique de l’entité imaginée par David Cameron.

Si les divisions entre les partis de ce groupe s’affichent, c’est surtout au sein même de la délégation des conservateurs sur la question du Brexit que les positions se crispent. Selon un article du Guardian du 8 mars, 11 eurodéputés britanniques conservateurs soutiennent le « Brexin », 4 sont indécis, et 6 appelent au « Brexit » dont le président du groupe Syed Kamall. Même s’il a précisé que sa prise de position était personnelle et qu’elle ne reflétait pas celle du groupe ECR dans son ensemble, une majorité du groupe, Britanniques et non-Britanniques, lui ont demandé de démissionner de son poste. Ils considèrent qu’il n’a plus la légitimité ni la crédibilité suffisantes pour l’occuper et promouvoir l’agenda du groupe auprès des autres groupes parlementaires. Ils ont également précisé que si le vote du 23 juin permettait au Royaume-Uni de rester dans l’UE, le groupe ECR aurait besoin d’une autorité forte pour défendre et faire passer au Parlement européen les réformes demandées par David Cameron.

Conséquence directe de la création de l’ECR sous l’impulsion de David Cameron, les Britanniques ne siègent plus au sein de la première force politique de l’hémicycle et perdent « l’effet de levier » dont ils disposaient au sein du PPE. Dans un Parlement européen contraint aux coalitions faute de majorité, le poids des deux grands partis (S&D et PPE) est déterminant. De plus, si ECR est la troisième force politique, elle pèse moins que les libéraux de l’ALDE portant des positions plus européennes.

… au sein de la grande coalition…

Le groupe ECR présente le troisième taux de cohésion le plus faible (78,1%) tous domaines politiques confondus contre 86,7% dans le cadre de la 7e législature.

Les prises de position se rejoignent généralement mais moins que dans les autres groupes politiques appartenant à la grande coalition. Cette dernière s’appuie sur l’accord qui a soutenu la candidature de Jean-Claude Juncker à la présidence de la Commission européenne. Jonathan Hill issu des rangs du parti de David Cameron, est en charge des questions financières au sein du Collège des Commissaires.   

Seuls trois domaines politiques laissent entrevoir une loyauté moindre parmi les députés britanniques : la culture (55,7%), le transport et le tourisme (68,1%), ainsi que l’égalité de genre (69,6%) – sujets, à l’exception du transport, pour lesquels les compétences européennes sont réduites. Cette moindre loyauté s’accompagne d’une dispersion plus prononcée des attitudes de vote, caractérisée dans certains cas par une position divergente de plusieurs dizaines de points par rapport à la moyenne. Par ailleurs, ces trois commissions sont les domaines dans lesquels la loyauté des députés britanniques envers leur groupe s’est le plus effritée dans le cadre de la 8e législature par rapport à la 7e législature (alors plus de 90%), ce qui a contribué à tirer vers le bas leur loyauté globale envers leur parti (de 95 à 89%).Toutefois, cette fidélité envers le groupe reste plus élevée que celle montrée par les 24 députés britanniques conservateurs envers leur groupe PPE-DE avant 2009, qui s’élevait à 75%. Le PPE-DE bénéficiait alors d’un taux de cohésion de 88% et était le parti le plus souvent du côté de la majorité parlementaire lors des votes (86%). Or, au cours de la 7e législature, soit après la scission entre le PPE et les Conservateurs, si le PPE voit son taux de cohésion progresser (93%) tout comme le nombre de fois où il vote dans le même sens de la majorité parlementaire (90%), le groupe ECR ne s’aligne sur la majorité parlementaire que dans 55,7% des situations de vote. Au cours de cette période, le groupe EFD est le groupe vis-à-vis duquel le groupe ECR vote le plus similairement (63% des votes), devant le groupe PPE (59%) et les libéraux (55%) !

Depuis 2014, le groupe ECR, qui n’est pas plus souvent du côté « gagnant » (58,7%), s’est davantage rapproché de l’attitude de vote du PPE (66% de votes similaires), devant les libéraux (59%), les S&D (49%) et le groupe EFDD (44%). Par ailleurs, dans tous les domaines politiques sans exception, les députés britanniques sont davantage loyaux envers leur parti national qu’envers leur groupe parlementaire. Toutefois, leur stratégie de vote suit souvent le mot d’ordre des deux structures, de manière relativement homogène, une fois de plus dans les domaines où la ligne politique semble être la plus forte et la plus affirmée.

…face à la politique « Youtube »

En mai 2014, Nigel Farage avec son parti United Kingdom Independence Party (UKIP) a vu son nombre de représentants à Strasbourg plus que doubler avec 22 députés rassemblés dans le groupe EFDD (Europe de la liberté et de la démocratie directe). Ils étaient 10 députés répartis entre le groupe EFD et les Non Inscrits entre 2009 et 2014. Cet effectif en nette hausse contribue au renforcement de la loyauté des députés UKIP envers leur groupe parlementaire, puisque ces derniers, auparavant loyaux à hauteur de 51% tous domaines politiques confondus, le sont à hauteur de 86% dans le cadre de la 8e législature. Cette progression est certainement aussi liée au fait que l’augmentation de la part des députés britanniques au sein du groupe EFDD (de 26% après 2009 à 49% après 2014) a conduit à une « britannisation» de sa ligne politique.

Depuis 2009 ils « animent » le groupe EFDD avec le Movimento 5 Stelle de Beppe Grillo, respectivement 22 et 17 eurodéputés, les autres délégations étant représentées par seulement un ou deux élus. Les Britanniques représentent donc 49% de l’ensemble du groupe. La logique de ce parti est difficile à cerner en dehors des slogans visant le départ du Royaume-Uni de l’Union européenne. Pour illustration, si de manière générale les députés britanniques restent loyaux à la ligne de leur groupe (86% des votes), les députés italiens au contraire s’en éloignent dans plus de 50% des situations de votes (52%). En conséquence, il s’agit souvent du mariage de la carpe et du lapin tant il est difficile d’établir une ligne commune entre les partis composants ce groupe : une fois sur deux les Italiens du mouvement 5 étoiles et les élus de UKIP votent de façon distincte !

Plus qu’une logique constructive, et participative, la constitution de ce groupe offre une vitrine au leader pro Brexit dont la fonction de président de groupe lui permet d’invectiver la Commission ou les chefs d’Etats et de gouvernements lors de leur venue en plénière et espérer une reprise médiatique. Dominé par la délégation britannique, sans cohésion réelle à l’exception d’un rejet mécanique des propositions institutionnelles, ce groupe ne compte pas dans la composition des majorités lors de votes. De manière générale, ils n’intègrent ces majorités que dans 28% des situations de votes seulement.

Ces données montrent que les eurodéputés de UKIP, sur le modèle des députés du Front National ou du mouvement 5 étoiles, bien qu’à chaque fois présents en nombre avec une vingtaine de députés et représentant un tiers des délégations nationales, ne contribuent pas à l’élaboration des politiques publiques européennes.

Une stratégie à repenser

Concentrés numériquement au sein de trois groupes politiques, les eurodéputés britanniques obtiennent quelques postes à responsabilité sur certaines thématiques identifiées comme essentielles pour le Royaume-Uni.

Divisés politiquement, leur influence est marginale au sein d’un Parlement européen gouverné par une grande coalition. Seuls les travaillistes contribuent significativement à l’activité parlementaire grâce à leur poids au sein du S&D. Ils sont aussi bien « loyaux » envers leur parti national qu’envers leur groupe parlementaire et s’intègrent ainsi dans l’élaboration des compromis politiques du Parlement. En revanche, les deux autres groupes à majorité britannique exercent un poids relatif: les députés UKIP s’appuient sur la caisse de résonnance médiatique offerte par l’institution mais sans ligne directrice constructive pour être un interlocuteur crédible ; les conservateurs paient une stratégie d’isolement floue. L’approche de David Cameron d'exfiltrer son parti de la droite européenne au Parlement européen a eu pour effet de supprimer « l’effet de levier » dont ils bénéficieraient en interne pour peser sur les choix du PPE. De plus, la scission entre les « proUE » et ceux favorables au Brexit marginalise le groupe ECR comme force contributive lors de l’élaboration des accords.

En cas de maintien du Royaume-Uni, et face à une crise d’autorité probable, une redéfinition de l’action des eurodéputés conservateurs semble nécessaire pour peser de nouveau au sein du Parlement européen.

Les propos tenus ici sont propres à l’auteur et ne sauraient engager l’institution dont il relève. Les pourcentages des votes cités sont issus de Votewatch.eu.