Est-il suffisant d’augmenter le nombre de logements sociaux? edit

1 août 2013

 

Le projet de loi Duflot 2, examiné en ce moment par l’Assemblée nationale, vise principalement à réduire l’excédent de demande de logements sociaux en augmentant la quantité de logements disponibles. Certaines associations reprochent à ce texte de ne pas dire à qui seront attribués ces nouveaux logements. L’offre étant limitée, il est effectivement pertinent de se demander à qui et comment, parmi les ménages éligibles – plus de 60% de la population française est éligible en termes de revenus – les bailleurs sociaux attribuent ces logements. A priori, en ce qui concerne l’accession à un logement social, les chefs de famille monoparentale, les femmes enceintes et les familles nombreuses sont prioritaires, surtout s’ils ont des difficultés financières. Si, en plus, l’attribution des logements peut se faire en respectant une certaine « mixité » sociale et culturelle, c’est encore mieux. Qu’en est-il dans la réalité ?

Une série de travaux réalisés à partir de l’enquête Logement 2006 de l’Insee permettent de déterminer les caractéristiques qui, toutes choses restant égales par ailleurs, impactent la durée d’accès à un logement social. On constate en particulier que plus le niveau d’études du chef de ménage est élevé, plus le niveau de revenu annuel par unité de consommation est élevé et moins la famille mettra du temps à obtenir un logement social ; il en est de même, s’il a signé un contrat de travail pour une durée indéterminée. Ce résultat est renforcé pour les ménages d’origines autres qu’européennes (appelés ménages non-européens par la suite). L’âge du chef de ménage n’a pas un effet linéaire sur la durée d’obtention d’un logement social. Les plus jeunes et les plus âgés (au-delà de 57 ans) ont des durées plus courtes. L’effet de l’âge est le même quelque soit l’origine du chef de ménage. Ce résultat est peu surprenant, le chômage des jeunes et des plus de 55 ans étant élevé en France. En revanche, la durée d’obtention d’un logement social est plus longue pour :

- les ménages déclarant un niveau de patrimoine supérieur à 30000 €. Pour les ménages non-européens, il faut préciser, en plus, qu’avoir un patrimoine inférieur à 5000€ ralentit le processus d’obtention,

- les demandeurs ayant connu des problèmes de loyers impayés,

- les femmes seules avec des enfants surtout si elles sont non-européennes,

- les couples lorsqu’ils ont des enfants, ceci est, là encore, d’autant plus vrai pour les ménages non-européens.

Enfin, peut-être le plus étonnant, il existe une différence significative entre les durées moyennes d’accès à un logement pour les ménages européens et pour les ménages non-européens. Les ménages européens mettent en moyenne deux ans de moins que les ménages non-européens pour obtenir un logement social. Une partie relativement importante de l’écart entre ces deux durées n’est pas expliquée, au sens statistique, par les caractéristiques observables telles que le type de logement demandé, la taille de la famille ou encore la catégorie socio-professionnelle du ménage. La probabilité estimée d’obtenir un logement au cours du premier mois est d’environ 10 % pour les européens et de 1,5 % pour les non-européens. Au bout d’un an, les européens ont près de 50 % de chance que leur demande de logement ait été satisfaite, pour les non-européens cette probabilité n’est que de 15 %. Enfin, alors que pour les ménages non-européens la probabilité d’attendre plus de 5 ans est proche de 70 %, celle des ménages européens est inférieure à 35 %.

Comment expliquer ce bilan qui semble être un peu éloigné de l’objectif affiché par la puissance publique ? Les bailleurs sociaux, paraissent peu enclins à prendre des risques financiers et/ou d’une autre nature (e.g. intégration dans la collectivité locative). Ils ont peut-être des préférences pour la « stabilité », sans doute pour se garantir le plus possible contre le risque de non paiement ou de problèmes de gestion au quotidien. Cela les conduit à sélectionner en priorité des ménages ayant des revenus relativement « élevés » par unité de consommation, une situation professionnelle « sure » et étant plutôt diplômés. Cette exigence tacite de stabilité est plus défavorable aux ménages non-européens puisqu’en moyenne ils ont une situation sur le marché de l’emploi plus précaire, des revenus par unité de consommation plus modestes et leur chef de ménage à un niveau de diplôme plus faible. En ce qui concerne les ménages avec enfants, l’offre limitée de « grands » logements et la faible mobilité des familles occupant ce type de logement est une explication plausible au fait qu’ils aient du mal à obtenir un logement. Pour les femmes seules on peut de nouveau invoquer la préférence pour la « stabilité » des bailleurs sociaux mais on peut aussi penser que ces ménages ont des exigences sur le type de logement demandé plus difficiles à satisfaire (e.g. proximité d’un établissement scolaire, résidences sécurisantes).

Comment expliquer la différence d’accès au logement social suivant les origines du ménage ? Plusieurs raisons peuvent être avancées. Une première, objective, est liée aux caractéristiques de l’offre. Il se peut que les ménages européens et non-européens demandent des logements se situant sur des segments du marché différents. On peut tout de même se demander pourquoi, n’accédant pas à un logement social, ils ne modifieraient pas leur demande. Une deuxième serait que les demandeurs utilisent leurs réseaux sociaux pour obtenir un logement plus rapidement. Il est possible, voire probable, que les ménages européens aient un réseau social et/ou un meilleur ensemble d’informations leurs permettant d’accélérer l’accession à un logement, ce qui pourrait être assimilé à de la discrimination indirecte. Une troisième concerne le comportement des bailleurs sociaux qui pratiqueraient de la discrimination statistique en pensant (à tort ou à raison) que les ménages non-européens sont des ménages à « risque ». Ce risque pouvant être lié à un problème financier (non paiement des loyers), un problème culturel (modes de vie différents de celui des européens) ou des problèmes d’insécurité (dégradations, violence, etc.). Les bailleurs associeraient un « risque » moyen plus élevé aux ménages non-européens. La dernière, est de maintenir une certaine mixité sociale et culturelle. Dans ce cas, deux conditions doivent être remplies, d’une part que les décisionnaires aient une idée des équilibres à respecter et d’autre part, qu’au cours de la dernière décennie ils aient décidé de modifier ces équilibres. Malheureusement pour le vérifier il faudrait des données sur les stocks et seules les données sur les flux sont disponibles.

Quoiqu’il en soit, au moins une partie des ménages les plus « défavorisés » n’obtient pas dans un délai « raisonnable » un logement social. Ces ménages louent donc à des bailleurs privés qui jouent finalement un rôle « social », mais à quel prix et dans quelles conditions ? Si le projet Duflot 2 peut encore être modifié, il faudrait qu’il encadre différemment le rôle des commissions d’attribution en tenant compte notamment de l’aversion au risque des bailleurs sociaux, sinon l’augmentation du nombre de logements disponibles risque de profiter encore aux ménages les moins « défavorisés ».