Mettre le risque en débat edit

12 mars 2009

Quel rapport entre la fronde opposée à la Commission européenne par les États membres lors du Conseil environnement du 2 mars 2009 sur la levée de l'interdiction de cultiver des OGM en Autriche et en Hongrie, les décisions de tribunaux français demandant aux opérateurs téléphoniques d'enlever des antennes-relais et la tourmente financière actuelle ? Ces exemples sont les manifestations les plus claires du problème que pose à nos sociétés la notion de maîtrise du risque.

Commençons par la crise financière. L'article de Nicolas Bouleau dans la livraison d'Esprit du mois de février sur les limites des mathématiques financières et l'article de Jon Danielsson publié par Telos ce mois ont le mérite de préciser les difficultés de l'évaluation du risque en matière financière. Que nous disent-ils ? Essentiellement que ce n'est tant pas du fait d'excès liés à l'appât du gain que la crise s'est développée mais plus fondamentalement du fait des limites intrinsèques des méthodes mathématiques. Autant il est possible d'assurer un risque tel que le risque automobile, répétitif, basé sur des conditions connues, s'appuyant sur un grand nombre de cas et dont le coût est limité, autant l'incertitude devient impossible à apprécier lorsque ces conditions de base ne sont plus réunies : il ne peut pas y avoir d'outils pour estimer les situations extrêmes.

Nicolas Bouleau renvoie à un élément capital pour la gestion du risque : celui-ci n'est pas un élément objectif mais il dépend de la lecture de la situation que fait celui qui cherche à s'en prémunir ou à prendre la meilleure décision possible. Cette lecture est directement conditionnée par la quantité d'information dont dispose l’observateur qui se construit alors un modèle du fonctionnement de la réalité sur la base de ces informations. C'est sur cette base que les mathématiques peuvent lui permettre de prendre une bonne décision. Dans une économie financière mondialisée, il s'agirait de développer une compréhension du monde qui dépasse largement les capacités d'un investisseur financier. Tâche impossible : on s’en remet alors au marché. Mais si chacun des acteurs s'appuie sur les mêmes informations – les notes données par les agences de notation – alors le marché n'est plus la rencontre de scénarios et de lectures autonomes où la diversité des approches permet d'atteindre un équilibre. Il n'existe qu'un seul scénario : celui basé sur la lecture sommaire de la réalité faite par des agences de notation et le marché ne peut donc pallier l'absence de modèle global.

La question des OGM et de l'interdiction des antennes-relais renvoie à une difficulté analogue : quelle est notre évaluation du risque lorsque l’existence de ces risques est elle-même incertaine ? Quelles décisions faut-il prendre en présence d'un risque faible ou non-quantifiable dont les conséquences sont considérables ? C'est ici qu'intervient le principe de précaution invoqué si facilement aujourd'hui. Là encore on ne peut qu'être frappé par la prépondérance de le caractère sommaire de la lecture de la situation qui est faite : de très nombreux risques associés à des produits toxiques sont plus certains que le risque « OGM », le risque que génère les antennes-relais est semble-t-il moins grave que celui lié à l'utilisation même des téléphones mais cela n'empêche pas que, dans l'univers des risques potentiels, ce sont les OGM et les antennes-relais qui sont choisies comme devant être bannies. Les positions prises par l'AFSSA ou par l'Académie de médecine ne sont pas en mesure de rassurer les acteurs : peu importe les risques mesurés, ce qui est déterminant c'est la perception que tel ou tel produit ou telle ou telle installation sont dangereux et doivent être bannis.

La lecture de l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles du 4 février 2009 est particulièrement instructive. La Cour se trouve confrontée à des rapports d'expertise contradictoires mais en définitive ce que les juges retiennent c'est que, même lorsque le risque est considéré comme nul par les scientifiques, les rapports préconisent tout de même soit des études complémentaires soit des mesures de précaution comme c'est par exemple le cas pour le rapport de l'OMS de 2006. Dès lors, la balance penche en faveur d'une interdiction. Mais, il n'est pas difficile d'imaginer que l'application de la même méthode à des situations de la vie courante conduirait rapidement à des impasses. Existe-t-il un seul produit dont le risque sanitaire ou environnemental soit nul ? L’utilisation du principe de précaution pour éviter un débat politique sur des choix de société ne peut que conduire à des impasses.

En définitive, c'est bien notre appréciation collective du risque tolérable, notre lecture du monde et de ses dangers, qui doivent primer : autant en matière de couverture de risques financiers qu'en matière de risque sanitaire ou environnemental, c'est seulement le débat public et sa traduction dans des règles admises par tous qui peuvent fournir un cadre de référence. Ni le juge, ni le mathématicien ne peuvent nous éviter ce débat.