La fiscalité verte est-elle euro-compatible ? edit

30 septembre 2008

Le succès du bonus-malus sur l'achat des automobiles conduira sans doute le gouvernement à étendre le système à d'autres produits. Une vision naïve des choses conduirait à se dire que dès lors qu'une proposition est bonne pour l'environnement, n'importe quel Etat membre de l'Union Européenne peut l'adopter. Mais la réalité n'est pas si simple. En effet, même pour la bonne cause - environnementale en l'occurrence - un Etat membre ne peut pas prendre toutes les mesures qu'il souhaite sans vérifier qu'elles sont compatibles avec les règles du marché intérieur.

La construction européenne s'est faite par l'abolissement des frontières et la libre circulation des marchandises est un des piliers du droit communautaire. Ce n'est pas la première fois qu'un pays de l'Union Européenne souhaite modifier les règles du jeu de la concurrence interne à l'Union pour des raisons environnementales. À titre d'exemples, la Finlande a voulu établir une taxe différenciée en faveur de l'électricité " verte ", l'Autriche a proposé une taxe visant à limiter l'utilisation des décharges, la Grèce ou la Hongrie ont établi des taxes à l'importation des véhicules en fonction des cylindrées. On peut ajouter que le Danemark et l'Allemagne ont une longue tradition de conflits avec le droit européen sur la réutilisation des bouteilles...

Les enseignements de ces - parfois - longues batailles juridiques et des arrêts de la Cour de Justice permettent de dégager quelques pistes de réflexion indispensables pour bien comprendre la façon dont les taxes à vocation environnementale doivent être conçues en Europe.

Il faut d'abord s'entendre sur l'effet bénéfique pour l'environnement du produit concerné : pour caricaturer, si on admet qu'une barquette de fraises produites sans pesticides ni engrais est meilleure pour l'environnement, que dire de la même barquette de fraises, si elle a fait le voyage en avion depuis la Grèce ? La première étape est donc de trouver des critères incontestables en matière d'environnement.

Pour l'automobile on admet la production de CO2 est un bon indicateur, on pourrait néanmoins ajouter d'autres éléments comme la production de déchets ou la proportion de matériaux recyclables. Il est plus difficile d'obtenir un consensus dans d'autres secteurs. Pour une vraie évaluation environnementale des produits, il faut d'une part évaluer des produits à performance équivalente et d'autre part évaluer les produits sur l'ensemble de leur cycle de vie. On constatera seulement qu'il est impossible dans la pratique pour des raisons administratives et techniques de couvrir l'ensemble de ces aspects. C'est pourquoi l'exigence de la Cour est plus limitée : des critères objectifs tels que la nature des matières premières utilisées ou les procédés de production appliqués suffisent (CJCE, 2 avril 1998, Outokumpu, C-213/96).

Dans une deuxième étape, il faut vérifier que la règlementation envisagée ne constitue pas une entrave déguisée au commerce intracommunautaire et ne donc contrevient donc pas à l'article 90 du Traité. En la matière on observera que le niveau de la taxe importe finalement peu : en matière de taxe environnementale sur les voitures, des taxes limitées ont été jugées incompatibles avec les règles du marché intérieur (Grèce, France) alors que les taxes danoises de 180% du prix du véhicule TTC sont compatibles. L'absence d'une discrimination envers les autres pays de l'Union est une question extrêmement complexe : une écotaxe portant sur les bouteilles non réutilisables a toute les chances d'affecter plus les importateurs que les produits nationaux. En effet, s'il est possible pour un producteur de bière hongrois de développer son propre système de réutilisation des bouteilles, un brasseur finlandais ne pourra développer un tel système car les coûts de transport des bouteilles vides seront prohibitifs. Il y a bien une différence de situation au regard de l'accès au marché national. Mais cette discrimination repose aussi sur une argumentation objective : l'impact environnemental incontestablement plus faible d'une production locale. La jurisprudence de la Cour n'exclut pas une telle possibilité (CJCE, 14 décembre 2004, Radlberger Getränkegesellschaft GmbH & Co., C-309/02), mais elle l'assortit de la nécessité d'accorder aux opérateurs économiques suffisamment de temps pour s'adapter à un nouveau système.

Dernière étape : il faut vérifier que l'on ne se trouve pas déjà dans un domaine où le droit communautaire est intervenu. Certains produits font par exemple l'objet de mesure d'harmonisation sur la base de l'article 95 du Traité. C'est ainsi que les emballages font l'objet de la directive 94/62/CE. Si les instruments économiques permettant d'atteindre les objectifs de la directive sont encouragés, encore faut-il qu'une éventuelle taxe vise bien à prévenir et à réduire les déchets d'emballages, toute autre considération environnementale ne pouvant être invoquée.

Pour d'autres produits, certains aspects environnementaux sont d'ors et déjà pris en compte et il s'agit pour les Etats membres d'appliquer les principes posés par la législation européenne sans rien en retrancher mais aussi pouvoir ajouter quoi que ce soit : c'est le cas pour les déchets d'équipements électriques et électroniques pour lesquels une directive impose que les coûts spécifiques de ces déchets soient intégralement supportés par le producteur du produit. Une écotaxe sur ces déchets est donc déjà exigée par la législation communautaire qui précise sa portée. Il s'agit seulement de couvrir le coût d'élimination de ces déchets en vertu du principe pollueur payeur : le pollueur doit prendre en charge le coût des déchets mais il ne doit pas subventionner l'élimination de déchets d'un autre pollueur par une taxe disproportionnée.

Indépendamment de l'aspect juridique de l'écotaxe, il reste à se poser la question de son efficacité : si la théorie économique est séduisante, l'application pratique se heurte à des difficultés techniques, administratives et politiques. Un des premiers problèmes est d'établir un taux ayant une influence réelle sur le marché : si quelques centimes suffisent pour que le consommateur refuse l'achat d'un sac plastique jetable et change son comportement comme le montre le cas irlandais, l'exemple des carburants montre que l'effet d'une taxe (ou en l'occurrence une hausse des prix) doit être massif pour un effet sur la consommation limitée. A défaut d'agir réellement sur le marché, on pourrait imaginer que les recettes générées soient affectées à des causes environnementales. Ce n'est malheureusement pas toujours le cas en ces temps de vaches maigres budgétaires.