Fiscalité du capital: la France se rapproche de ses partenaires edit

17 octobre 2019

Il y a trois manières de gâcher une réforme attendue, utile, nécessaire. La première est de tordre le message. Une réforme qui corrige une anomalie française, source de fuite de capitaux et de désavantage compétitif est justifiée par elle même, nul besoin d’invoquer les investissements à venir ce qui crée des attentes difficiles à satisfaire et accrédite par défaut le discours du cadeau aux riches. La deuxième manière est de pratiquer la demi-mesure en exonérant d’impôt sur la fortune (ISF) le capital mobilier  mais en maintenant la taxation de l’immobilier. Un tel choix est source de distorsions comme nous le verrons plus loin sans améliorer l’acceptabilité de la réforme. La troisième manière est d’annoncer une évaluation rapide du nouveau dispositif, impossible à réaliser en pratique et qui de plus entretient le doute sur l’engagement de l’Etat ce qui ne peut que doucher l’ardeur des investisseurs qui veulent relocaliser leur capital.

Le résultat prévisible d’une telle démarche est que le coût politique est considérable : le « Président des riches », le « Robin des Bois à l’envers »…  sont nés de cette réforme, alors même que les bénéfices de la réforme sont incertains dans un horizon court.

La fiscalité du capital a été profondément réformée en 2018. Elle va dans les directions, qu’avec d’autres, nous avions préconisées[1]. Cette réforme a trois volets essentiels : l’ISF a été transformé en impôt sur la seule fortune immobilière (IFI) avec un barême inchangé, les revenus du capital auparavant imposés comme ceux du travail avec un barême progressif s’appliquant à l’ensemble des revenus sont désormais soumis au prélèvement forfaitaire unique (PFU) au taux de 30 % et le taux de l’impôt sur les sociétés (l’IS) est progressivement abaissé de 33 % à 25 %. Le rapport récemment publié par le comité d’évaluation de la fiscalité du capital apporte sur cette réforme une confirmation des craintes qu’on pouvait nourrir concernant l’énergie déployée à la gâcher, ainsi cependant que des éléments d’information précieux et souvent détaillés.

On savait que, avant la réforme, la fiscalité du capital pouvait en France être, confiscatoire au niveau marginal. Imaginons qu’un détenteur de patrimoine (financier ou immobilier) bénéficie d’un rendement du capital net de frais de 4 %, ce qui de nos jours est exceptionnel. Le taux marginal de l’ISF étant de 1,5 % correspond donc déjà à un taux de prélèvement marginal implicite de 37 %. Si l’on ajoute à cela le taux marginal de l’impôt sur le revenu et les prélèvements sociaux (CSG et CRDS), nous atteignons un taux de prélèvement marginal implicite sur les revenus de ce capital d’environ 90 %. De tels niveaux étaient sans équivalent parmi les pays développés, y compris les pays nordiques et scandinaves souvent considérés comme des références en termes de fiscalité redistributive. Le rapport montre que, en France en 2017 avant réforme, comparée aux autres pays de l’Union Européenne, le taux de prélèvement sur le capital était en points de PIB le plus élevé (à plus de 11 %) juste après le Luxembourg et la Belgique. Le taux implicite sur le capital (prélèvement sur le capital divisé par les revenus du capital) était même de très loin (à plus de 53 %) le plus élevé, le second pays étant la Belgique avec plus de 10 points d’écart, et loin devant l’Allemagne (24 %), le Royaume-Uni (32 %) ou l’Italie (34 %)… Ces niveaux élevés étaient en partie liés aux prélèvement fiscaux opérés au début de la présidence Hollande. Une telle situation n’était évidemment pas favorable à la stabilité du capital en France. Sans évoquer de causalité, qui appellerait des approfondissements, le rapport montre d’ailleurs que l’exode fiscal des assujettis à l’ISF semble avoir accompagné les changements fiscaux du quinquennat Hollande et que la réforme de 2018 aurait (le recul manque encore pour une appréciation robuste) a pour le moins infléchi cet exode.

La réforme engagée en 2018 n’a fait que rapprocher la France de la situation des prélèvements fiscaux existante dans les autres pays européens, y compris les pays nordiques et scandinaves. Un impôt sur le patrimoine n’existe que dans un nombre très limité de pays, et par exemple pour les pays nordiques et scandinaves qu’en Norvège sous une forme particulière. Les prélèvements sur les revenus du capital sont partout forfaitaires, un pays comme la Suède s’étant d’ailleurs singularisé par un passage par un prélèvement progressif puis un retour au prélèvement forfaitaire. Enfin, concernant le taux d’IS, seule Malte était plus élevé et 19 pays de l’UE connaissent un taux inférieur au nouveau taux français de 25 %, (et parmi ces pays le Danemark, la Finlande, la Norvège et la Suède). Autrement dit, la réforme de 2018 n’aboutit en rien à des prélèvements sur le capital plus faibles en France que dans les autres pays européens. La taxation du capital était en France exceptionnellement élevée comparée à son environnement européen. La France devient maintenant un pays dans la moyenne, et même dans la moyenne haute… En termes de communication si la vraie portée de cette réforme avait été expliquée, si en même temps la réforme des retraites (Comptes notionnels) avait été présentée, on pouvait valablement plaider l’alignement de la France sur le modèle suédois avec ses effets vertueux sur la croissance et l’innovation.

On peut ajouter aux considérations développées dans le rapport deux autres considérations qui paraissent importantes : l’absence de toute cohérence entre la fiscalité du capital et d’autres politiques de grande ampleur comme par exemple les politiques du logement, et l’absence de neutralité fiscale de l’IFI (et auparavant de l’ISF) vis-à-vis de l’organisation du foyer fiscal.

Il faut pointer aussi le fait que le patrimoine immobilier n’est pas un patrimoine improductif. L’investissement immobilier contribue à l’offre de logement. Concernant le marché du logement, de nombreuses études ont montré que les prix élevés dans certaines agglomérations s’expliquent par une offre insuffisante et que les politiques solvabilisant la demande bénéficient dans ce contexte surtout aux propriétaires. Or, le passage de l’ISF à l’IFI va pénaliser l’investissement locatif comparé aux investissements financiers. En conséquence, le rééquilibrage des portefeuilles (visant à passer sous le seuil de taxation par l’IFI pour le patrimoine immobilier) devrait dans un premier temps et très temporairement jouer à la baisse sur les prix immobiliers pour au contraire les pousser ensuite structurellement à la hausse du fait de la réduction de l’intérêt de l’investissement locatif par rapport à l’investissement financier. L’offre immobilière sera donc réduite et les problèmes du marché immobilier seront amplifiés en conséquence. Au vu des dizaines de milliards d’euros engagés chaque année dans les politiques du logement en France (un pognon de dingue !), la recherche d’une plus grande cohérence entre ces politiques et la taxation du capital apparait être une urgence.

Concernant l’organisation du foyer fiscal, l’aberration actuelle est simple. Si deux individus A et B ont chacun un patrimoine immobilier juste inférieur au seuil de l’IFI (soit 1,3 millions€), ils ne sont pas soumis à l’IFI quand ils sont fiscalement séparés. S’ils s’unissent pour former ensemble un seul foyer fiscal, ils passeront le seuil et deviendront, sans aucun changement concernant leur patrimoine global, éligible à l’IFI. Cette situation (qui existait déjà avec l’IGF puis l’ISF) est aberrante. Il paraitrait logique d’introduire ici un système de parts fiscales comme c’est le cas pour l’IR, afin de garantir une neutralité de l’IFI par rapport à la composition en adultes du foyer fiscal.  

Le débat sur un retour à l’ISF, au cas où les résultats favorables du passage à l’IFI ne seraient pas détectés dans un avenir proche, est dès lors totalement déplacé. Cette réforme s’inscrit dans un temps long, et comme l’indique le rapport « les mouvements de réallocations d’actifs peuvent être retardés si les agents économiques doutent de la pérennité des mesures prises. Le débat sur la réforme de l’ISF, relancé durant l’année 2018, a pu conduire à lui seul à retarder certains mouvements ». Allons plus loin : il est souhaitable que la réforme de l’ISF l’ayant transformé en IFI ne soit que la première étape avant la disparition complète de cet impôt sur le patrimoine. Ceci rapprocherait davantage encore la France de la situation des autres pays européens, dont les pays nordiques et scandinaves. L’imposition du patrimoine pourrait se concentrer sur les successions, la transmission familiale des inégalités étant la source la plus choquante de la persistance des inégalités.

Il n’est pas trop tard pour restituer la cohérence d’ensemble des réformes engagées. La réforme de la taxation du capital, comme la réforme des retraites, comme delle du marché du travail, visent à nous aligner sur les meilleures pratiques des social-démocraties nordiques.

 

[1] Voir Philippe Aghion, Gilbert Cette et Elie Cohen, Changer de modèle, Odile Jacob, 2015.