Union européenne : pourquoi Sarkozy accélère edit
Un des premiers gestes du nouveau président, après la visite rituelle à Berlin, a été de se rendre à Bruxelles où il s’est entretenu avec le président José Manuel Barroso et la Commission. C'était une première significative dans la politique française : M. Sarkozy entendait de la sorte indiquer que « la France était de retour en Europe ». Pourquoi celle-ci mérite-t-elle tant d'attentions ? Cela s'explique par deux séries de facteurs.
Tout d’abord, la France se voit traditionnellement comme un leader naturel de l'Europe. Dans l'histoire de la construction européenne, elle est toujours présentée comme le pays qui le plus agi en faveur de l’intégration, avec l'Allemagne. Or pour les élites pro-européennes, le résultat du référendum a été perçu comme une humiliation : la France se retrouvait sur le siège arrière, contrainte de laisser le volant aux autres. La décision de réunir les 18 pays qui ont ratifié la Constitution, à Madrid il y a quelques semaines, a été vue à Paris comme un signal qu’il était temps de restaurer le crédit de la France en Europe.
Ensuite, sur le plan national, M. Sarkozy a fait campagne sur un programme de rupture visant à moderniser l'économie française. Il sait que c'est probablement sur ces questions que ses actions seront jugées par les électeurs et qu’il pourra obtenir un second mandat. Mais les réformes sont politiquement coûteuses, et la dernière chose qu'il souhaite est de les voir entravées par des décisions prises au niveau européen. Dit autrement, c'est parce que les questions européennes sont secondaires qu’elles doivent être traitées en urgence.
Comment ? Dans un discours prononcé à Bruxelles en septembre 2006, Nicolas Sarkozy a exposé les contours d'un plan largement attribué à l’un de ses conseillers, le député européen Alain Lamassoure : un traité « simplifié », reprenant la plupart des questions institutionnelles (la première partie du projet de Traité constitutionnel), qui avaient fait l'objet d’un large consensus durant la campagne référendaire. Le texte serait présenté comme un simple amendement du Traité de Nice ; toute rhétorique constitutionnelle serait proscrite afin de permettre une ratification par voie parlementaire. Il pourrait dans un second temps être suivi d’une négociation plus ouverte sur les objectifs à long terme de l'Union Européenne, mais cela ne devrait pas retarder le processus de ratification.
Bien que la faisabilité de ce plan ait été contestée, c’est l’une des propositions les plus astucieuses que l’on ait avancées pour dépasser le blocage actuel. En outre, ayant annoncé son plan tôt dans la campagne et ayant reçu un fort soutien des électeurs français, Nicolas Sarkozy peut légitimement e targuer d’avoir reçu un mandat pour le mettre en œuvre.
Même avant l'élection, cette proposition a émergé comme une voie médiane entre les vues des pays qui ont déjà ratifié la Constitution et de ceux qui semblent les plus opposés à une évolution du traité actuel. Un questionnaire mis en circulation par la présidence allemande de l'UE a permis de constater l’émergence d'un consensus sur les principes à intégrer dans le nouveau traité : un système plus simple de prise de décision par le Conseil des ministres ; l’extension du vote à la majorité qualifiée à certains aspects de la justice, de la politique migratoire et à la lutte contre le crime organisé ; une extension sensible des pouvoirs de codécision du Parlement européen ; le remplacement du système de présidence tournante par des présidences collégiales réunissant trois pays et un président à plein temps pour le Conseil européen ; l’amélioration du statut de Haut-Représentant de l'UE pour la politique étrangère, bien que le titre de « ministre des Affaires étrangères de l'UE » soit désormais contesté.
En considérant qu'un accord soit possible sur tous ces points, il resterait un certain nombre de questions difficiles, comme la personnalité juridique de l'Union ou le statut de la Charte de droits fondamentaux, qui figurait dans la deuxième partie du Traité constitutionnel. Certains, dont Angela Merkel, ont demandé une référence plus explicite à la cohésion sociale et au développement durable. D'autres, comme les Pays-Bas ou la République tchèque, voudraient voir donner plus de vigueur au principe de subsidiarité. Plus généralement, la proposition de la France, sans doute sous l'influence des débats de la campagne référendaire, semble sous-estimer le potentiel de conflit du chapitre institutionnel. La Pologne reste peu convaincue par la répartition des votes au Conseil et les petits pays rechignent à renoncer à « leur » commissaire. Le projet de Constitution était un tout ; n’en conserver qu’une partie menace l’équilibre du compromis initial.
La route vers un accord est donc pavée de difficultés.
Comme souvent dans une négociation complexe, les défenseurs du statu quo sont dans une situation privilégiée : ils peuvent refuser n'importe quel amendement jusqu'à ce que leurs arguments soient pris en compte. L'opposition au principe de double majorité retenu pour les décisions du Conseil des ministres (55 % des Etats membres représentant au moins 65 % de la population de l'UE) pourrait par exemple conduire à une réduction des domaines dans lesquels on accepte le passage à la majorité qualifiée. Cela serait regrettable, car il s’agit surtout d’être en mesure de surmonter une impasse au Conseil en cas d’objections persistantes d’un ou deux pays ; dans une telle situation, le nombre de voix détenu par chaque pays est rarement d’une importance décisive.
Même si les gouvernements parviennent à trouver un accord, sa ratification restera incertaine. Avant même les référendums de 2005, des « accidents » s'étaient produits à l’occasion des révisions antérieures des traités. A vingt-sept, le risque n’est que plus grand. Comment éviter une répétition de ce scénario ? Le problème est particulièrement aigu pour les pays qui ont déjà ratifié le projet de Traité constitutionnel : pourquoi entamer un nouveau processus de ratification, s’ils ne sont pas certains que leurs partenaires suivront ? Sur le papier, il y aurait bien une réponse simple à cette question : oublier l'unanimité et admettre qu'un nouveau traité peut entrer en vigueur une fois ratifié par une grande majorité d'Etats. Inutile de dire qu’ aucun gouvernement n’envisage cette possibilité pour le moment !
Une question demeure, et non des moindres : si le traité simplifié envisagé par M. Sarkozy devait voir le jour, permettrait-il à l'UE de répondre aux inquiétudes exprimées par ceux qui ont voté « non » aux référendums de 2005 ? Même au sein des pays qui ont ratifié le traité, les catégories sociales les plus réticentes étaient les mêmes : les ouvriers, les jeunes, les personnes au niveau d’étude le plus faible. On le comprend sans peine, puisque ce sont des catégories menacées par les changements sociaux et économiques en cours en Europe. Un traité limité aux questions institutionnelles suffira-t-il à apaiser leurs craintes ? C'est improbable. Permettra-t-il à l'Union d'agir plus résolument pour répondre à leur demande de sécurité ? On peut en douter. Mais là n’est pas le problème de M. Sarkozy : ses priorités sont ailleurs.
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