Covid: il n’y a plus de droit à l’erreur edit

15 octobre 2020

Quand l’épidémie est arrivée, on ne savait rien du coronavirus, cette cellule sphérique qui semblait élégamment piquée de clous de girofle. L’erreur était permise, en fait entièrement prévisible. Seules deux expériences étaient connues : la saturation des hôpitaux italiens et l’efficacité apparente d’un confinement ultra-rigoureux en Chine. Il était logique de confiner, même si le coût allait être exorbitant. Pour le reste, il aurait mieux valu être honnête sur le manque des masques, mais il est vrai que leur utilité n’était pas établie. Aujourd’hui on en sait beaucoup plus, en médecine sur la maladie, et en termes de politiques publiques, sur la manière de l’aborder[1]. L’erreur n’est plus permise.

On a compris que le confinement généralisé est non seulement hors de prix, mais aussi source de souffrance mentale et d’inégalités. On nous dit que c’est la solution de dernier recours, mais ce n’est pas exact. Bien sûr que ça marche, comme vient de le montrer encore une fois la Nouvelle-Zélande, mais de nombreux pays, en Asie ou en Suède, n’y ont pas eu recours et ne s’en sont pas mal sortis. La solution de dernier recours est le confinement localisé, essentiellement les zones urbaines denses, ce qui est train d’arriver.

La deuxième vague, prédictible et prédite, arrive. En juin, après de longues semaines d’un confinement qui a considérablement réduit la contagion, les gens ont voulu croire que c‘était gagné et le gouvernement n’a pas résisté à la tentation de crier victoire. Mais, bien sûr, le virus est toujours là, et il le sera jusqu’à ce que la plupart des personnes soient immunes, soit parce qu’elles ont été malades, soit parce qu’elles sont vaccinées. On peut espérer que ce sera le cas dans un an environ. D’ici là, rien n’est gagné et le plus probable est que les vagues vont se succéder. Il est évidemment impossible de recommencer tous les quelques mois à imposer des confinements généralisés. Il va falloir faire mieux.

Cibler les personnes âgées pourrait grandement réduire le coût des confinements. Les retraités, qui ne travaillent pas et sont payés de toute façon, sont les premières victimes du Covid. Ce sont aussi eux qui vont en plus grand nombre à l’hôpital où les places sont rares dans les périodes de pic de contagion. Curieusement, le gouvernement hésite à « stigmatiser » les personnes âgées. Peut-être, après tout, se confinent-elles volontairement, tant il est évident que c’est dans leur intérêt mais, à ma connaissance, on ne sait pas si c’est vraiment le cas.

On a aussi compris que le confinement doit être mis en place très tôt. Comme c’est impopulaire, on a tendance à hésiter, voire à négocier avec les maires. Il est essentiel d’impliquer les maires, mais il faut le faire très en amont, pas au moment de prendre la décision car il est déjà trop tard.

Une autre leçon est que le Covid est très inégalitaire. Il touche les personnes qui ne peuvent pas travailler à la maison et celles qui vivent dans des habitats denses, souvent en périphérie des villes, et sont donc tributaires des transports en commun. Ce sont, en général, les mêmes, et une partie significative d’entre elles, peu dipômées, ont du mal à appréhender la nature de la maladie et donc à adopter les bonnes pratiques. Le confinement sélectif renforce ce sentiment inégalitaire, au demeurant parfaitement justifié. Le risque est de ne pas confiner, ou de confiner tout le monde, et ce trop tard parce que l’on a trop longtemps hésité. L’exemple parfait est celui d’Israël où ce sont les religieux orthodoxes qui sont le plus touchés par l’épidémie. Pour éviter sa propre chute, le gouvernement a décrété un confinement généralisé techniquement inutile. Il est bien préférable de confiner les secteurs les plus touchés par l’épidémie et de se montrer généreux vis-à-vis des personnes les plus démunies

Mais quand on en arrive au confinement, c’est que l’on déjà commis beaucoup d’erreurs. En effet, on a compris qu’il est possible de contenir les contagions autrement. Port de masques et distanciation sont efficaces, même si ce n’est pas la panacée, mais à condition que tout le monde adhère à ces mesures. L’adhésion ne se décrète pas, elle se gagne. Les autorités doivent être convaincantes. Elles doivent donc avoir une communication constante et cohérente, donc transparente. Intervenir à la télévision de temps à autre ne suffit pas, pas plus qu’agiter des menaces sur un ton paternaliste. Un peu partout dans le monde, on a vu qu’au début de l’épidémie, dès qu’ils ont compris la menace du Covid, les gens ont souvent drastiquement réduit leur mobilité et adopté les masques (là où ils étaient disponibles) avant même les mesures autoritaires. La Suède et l’Allemagne font appel au sens civique plutôt qu’aux interdictions. L’administration française peine à abandonner ses vieilles habitudes.

L’autre mesure essentielle est de tester et tracer. Ça marche quand on teste tout le monde, de manière répétitive. Il est essentiel d’avoir les résultats dans les 24 heures puis que les personnes atteintes révèlent leurs contacts. Alors que nous aimons nous imaginer comme étant capables de rivaliser avec les meilleurs dans les hautes technologies, il est incroyable qu’une activité aussi low tech que les tests ne soit pas menée avec l’ampleur nécessaire. Les tests groupés (qui mélangent les prélèvements de plusieurs personnes) permettent de tester rapidement un grand nombre de personnes : pourquoi ne pas les pratiquer ? Et pourquoi ne pas utiliser la masse de données existantes (entre autres grâce au GPS et aux applications de ces maudites GAFAM) pour effectuer le traçage en temps réel ? Les bonnes âmes, qui se méfient d’un tel usage de l’information, ne semblent pas prendre la mesure, en termes de vies humaines, des conséquences de la protection absolue des données individuelles.

Là encore, c’est une question de confiance. Un gouvernement transparent, y compris dans la gestion des données personnelles, doit pouvoir convaincre de larges segments de la population que l’information ne sera pas utilisée à d’autres fins et sera détruite après la crise sanitaire. Sinon, à quoi sert la démocratie ? La Chine sait tracer, mais aussi la Corée (du Sud), et à Singapour on a créé de petits appareils qui servent de « mouchards » et qui, ô surprise, sont populaires. En France, on préfère s’en remettre au papier-crayon-téléphone des employés de l’assurance maladie, comme au siècle dernier.

On fait grand cas des opposants à toute mesure « liberticide ». Beaucoup sont mus par leurs intérêts personnels, comme les cafetiers, les tenanciers de boîtes de nuit et les commerçants. Il serait si simple de les dédommager convenablement. Le coût serait une goutte d’eau dans le plan de relance, et tellement plus efficace que la transition numérique qu’il entend promouvoir à bourse déliée.

Le gouvernement ferait bien de méditer ce qu’indique l’expérience internationale. Au début de la pandémie, les sondages ont fait apparaître une montée nette de la popularité des dirigeants politiques, surtout ceux qui prenaient des mesures strictes. Une marque de confiance spontanée. Puis, progressivement, les gouvernements ont été jugé sur leurs résultats. C’est aussi ce qui est arrivé à Macron : une brusque montée des opinions favorables en mars, puis une baisse à partir d’avril lorsque le nombre de décès a puissamment augmenté. Angela Merkel et Jacinda Ardern son homologue néozélandaise, ont aussi grimpé dans les sondages et se maintiennent depuis lors. Elles interviennent constamment pour expliquer leur action et elles sont perçues comme sincères car transparentes.

[1] Quand j’écris « on sait », je me base sur des travaux de recherche publiés dans la revue en ligne (et en anglais) Covid Economics.