Faut-il externaliser les services publics ? edit

13 janvier 2010

De nombreux pays, tels que l’Australie, la Nouvelle-Zélande, les États-Unis, le Royaume-Uni, mais aussi de manière plus surprenante la France ou la Suède, ont entrepris d’externaliser une partie de leurs services publics. Cette vague d’externalisation touche des secteurs aussi divers que la gestion de l’eau, la collecte des déchets, les transports publics, les services postaux, ou la construction et la gestion des autoroutes. L’externalisation implique non seulement le transfert d’actifs mais aussi celui du contrôle du service public vers une entreprise de droit privé. Du point de vue économique, on peut s’étonner de tels choix dans des secteurs qui s’apparentent à ce que les économistes appellent des monopoles naturels. En effet remplacer une gestion publique par une gestion privée ne permet en rien de résoudre les problèmes de déficit de concurrence et de pouvoir de marché qui entravent ces secteurs. Dans un récent article nous analysons les coûts et des bénéfices de ce type d’opération.

L’externalisation se distingue d’une simple privatisation par l’existence d’un contrat passé entre l’autorité publique et l’entreprise privée concernant le service délégué. Nous trouvons que dans les pays riches l’externalisation est socialement désirable dans les secteurs de haute technologie ou pour couvrir des services publics déficitaires. Dans les pays en voie de développement, l’externalisation est bénéfique chaque fois qu’elle permet la création d’infrastructures ou de services qui n’existeraient pas sans cela.

Le point de départ de notre analyse est la prise en compte des fortes contraintes budgétaires qui pèsent sur la plupart des gouvernements. Dans ces conditions, toute dépense implique des arbitrages coûteux. Par exemple, accroitre les subventions aux entreprises publiques requiert soit une diminution de la production de biens publics, soit de l’offre des services d’éducation ou de santé, soit un accroissement de la fiscalité engendrant des distorsions économiques non négligeables (par exemple une hausse de la TVA diminue la consommation des biens privés), soit un accroissement de l’endettement public. Le coût d’opportunité des fonds publics reflète les contraintes subies par les ministères et les agences gouvernementales qui n’ont pas le droit d’inscrire d’engagements d’investissement à long terme dans leurs budgets pluriannuels. Dans les pays en voie de développement, les difficultés considérables rencontrées par les gouvernements dans la simple collecte de l’impôt se traduisent par un coût d’opportunité des fonds publics plus élevé encore.

Notre étude compare deux régimes. Dans le premier régime, dit de gestion publique, le gouvernement met en place une entreprise publique dont il confie la gestion à un de ses représentants. Ce dernier possède des informations privilégiées sur l’activité de l’entreprise qui lui permettent d’obtenir des rentes. Le gouvernement est donc obligé d’établir un contrat de gestion incitatif pour limiter ces rentes. Par ailleurs, le gouvernement est légalement responsable des profits et des pertes de l’entreprise publique, du fait de son statut.

Dans le régime d’externalisation, une entreprise privée est invitée à servir les usagers après avoir financé les investissements nécessaires. L’Etat se réserve le droit dans certains cas de demander le paiement d’une franchise en échange de la délégation de service public. L’entreprise privée possède les droits de propriété et d’exploitation, ainsi que les droits sur les flux financiers générés par son activité. Si le gouvernement n’intervient pas l’entrepreneur privé risque de vendre ses services à un prix trop élevé (i.e., au prix de monopole). Une telle situation, que nous appelons ex ante, n’est généralement pas optimale. Le gouvernement peut offrir à l’entrepreneur un contrat après qu’il ait réalisé son investissement et que les incertitudes liées à l’exploitation aient été levées. Ce contrat ex-post, dit d’externalisation, doit alors répondre à deux problèmes. Le premier problème est, comme précédemment, lié à l’asymétrie d’information entre le gouvernement et l’entrepreneur. Seul ce dernier connaît les coûts de son activité et doit être incité à baisser ses prix et à étendre son niveau de service par un contrat et des subventions appropriés. Le second problème est que le contrat doit être pour l’entrepreneur au moins aussi profitable que la situation de statu quo. En effet il n’est pas question de renationaliser le service, ni d’exproprier l’investisseur privé. Le contrat et les subventions doivent donc garantir à l’entrepreneur au minimum son niveau de profit ex ante, sans quoi il le refusera.

L’analyse révèle que les contrats d’externalisation sont plus sélectifs que les contrats incitatifs proposés aux gestionnaires publics. Les entrepreneurs privés se voient proposer un contrat seulement lorsqu’ils sont efficaces (c'est-à-dire quand ils ont un coût faible) et que le service rendu à la collectivité est jugé suffisant. Avec l’externalisation le gouvernement n’a plus d’obligation légale de renflouer les entreprises déficitaires. Si elles sont trop inefficaces il ne contracte pas avec elles, et elles ne reçoivent donc rien. En revanche les gestionnaires publics reçoivent toujours les subventions qui leur permettent d’atteindre l’équilibre budgétaire, quels que soient leurs coûts.

La raison est que, en vertu des problèmes d’asymétrie d’information auquel il est confronté, le gouvernement est obligé de réduire le niveau de service des entreprises publiques ayant des coûts élevés. Cette politique permet d’éviter que les entreprises publiques efficaces réclament des subventions exagérées en prétendant avoir elles aussi des coûts élevés (une entreprise publique qui annonce des coûts élevés est « punie » par de faibles niveaux de service). Ce problème d’incitation est parfois tellement sérieux que le gouvernement impose à l’entreprise publique un niveau de service moindre que celui offert par un monopole privé.

Si le gouvernement propose des contrats ex-post aux entrepreneurs privés, il devra les inciter à produire le niveau de service de gestion publique. Il devra donc compenser financièrement les investisseurs privés pour la perte de revenu occasionnée par cette restriction de leur production. Comme tout transfert financier vers l’entreprise privée augmente les rentes des entreprises privées plus efficaces, le gouvernement est pénalisé par ces deux effets. Il choisit alors de ne pas offrir de contrat ex-post aux entreprises privées les plus inefficaces. Cette politique réduit la fréquence et le montant des subventions aux entreprises privées chargées de l’exploitation des infrastructures et de la fourniture de services externalisés.

Les bénéfices de l‘externalisation sont doubles. Il y a tout d’abord un bénéfice budgétaire pour le gouvernement qui n’est plus obligé de subventionner les services qui font des pertes récurrentes. Il a même parfois la possibilité d’encaisser des franchises payées par les entreprises privées. L’externalisation génère un second bénéfice : le niveau de service est supérieur à celui généré par la gestion publique sur les segments les moins profitables du service. Ainsi l’externalisation est-elle préférable pour des activités sujettes à de fortes incertitudes technologiques ou à une faible rentabilité. Elle est aussi la meilleure option pour des gouvernements soumis à de fortes contraintes budgétaires. Ces résultats offrent une grille de lecture utile pour éclairer les décisions d’externalisation de certaines activités publiques.

Un exemple naturel d’externalisation dans les secteurs à haute technologie est celui de l’industrie pharmaceutique. Cette dernière est en effet caractérisée par de très gros investissements en recherche et développement tout en étant soumise à des risques d’échec extrêmement élevés. La forme contractuelle qui régit les relations entre le gouvernement et les entreprises pharmaceutiques privées est très proche du type de contrat d’externalisation que nous avons décrit. Les firmes pharmaceutiques effectuent librement leurs investissements. Après le dépôt des brevets, elles possèdent les droits de propriété et d’exploitation sur les molécules qu’elles ont développées et en fixent librement le prix. Les agences gouvernementales de santé n’interviennent qu’après la mise sur le marché des molécules en subventionnant les plus efficaces d’entre elles (par exemple en France au travers des remboursements de la sécurité sociale). Ces programmes de subvention augmentent la consommation des molécules ayant un impact significatif sur la santé bien au delà du niveau de laissez-faire. Les molécules jugées peu -u pas efficaces quant à elles ne sont pas remboursées.

Il existe aussi de nombreux cas d’externalisation des segments peu profitables des services publics. Par exemple, en France, en Suède ou en Nouvelle Zélande, dans les régions rurales à faible densité de population une partie des services postaux est externalisée dans des commerces de proximité ou dans des stations-service. Notre analyse suggère que ce type d’externalisation augmente le bien-être global car les usagers obtiennent un service en dehors des heures habituelles d’ouverture des bureaux de poste et dans des endroits où il n’en n’aurait pas sinon. De plus, les propriétaires des commerces obtiennent des revenus supplémentaires, souvent vitaux dans des zones à faible densité de consommation, et les contribuables ont moins de subventions à payer pour le maintient du service. Il en est de même des transports publics qui sont externalisés à des compagnies de taxi locales dans les régions rurales de France, de Suisse ou du Canada. La Commission européenne offre des soutiens financiers pour le développement de tels services de « taxibus ». Dans ce cas, les entreprises privées ou les conducteurs eux-mêmes investissent dans leur flotte de taxi et restent libres de mener leurs activités comme ils l’entendent. Ils reçoivent néanmoins des subventions qui augmentent leurs revenus en échange d’un service au public. Sur simple coup de fils, et en échange du prix d’un ticket de bus, la différence étant prise en charge par la collectivité, le taxi transporte les usagers le long d’une route préétablie. Cette solution offre une meilleure qualité de service et un plus grand confort pour les usagers à un moindre coût public.

Dans les pays très pauvres, l’externalisation ex ante est optimale dans les segments de service à faible rentabilité. C’est le cas dans les pays d’Afrique sub-saharienne où la fourniture d’eau et d’électricité aux classes pauvres ou moyennes, ainsi que les transports publics, sont offerts par des entreprises privées non subventionnées. Les gouvernements de ces pays souffrent en effet de contraintes budgétaires insurmontables. Il est donc préférable de voir de telles fournitures de service s’organiser de manière privée, quitte à ce que les entreprises jouissent de rentes de monopole, plutôt que ne pas avoir de fourniture de service du tout.

Une version anglais de ce texte est publiée sur le site de notre partenaire VoxEU.

Les références de l'article original sont les suivantes : Auriol, Emmanuelle and Pierre M. Picard (2009), “Government Outsourcing: Public Contracting with Private Monopoly”, Economic Journal, 119(540), 1464-1493.