Libérer l'université edit

25 janvier 2007

L'autonomie des universités n'est pas un luxe car c'est l'avenir de l'institution qui est en jeu. Sur le modèle de la séparation des pouvoirs dans l'organisation de l'Etat, une meilleure gouvernance ouvrirait la voie à une véritable démocratie universitaire, à l'opposé de la caricature qui prévaut actuellement.

Commençons par définir de façon précise ce que l’on appelle l’autonomie des universités. Elle a trois composantes. La première est une pleine capacité de gestion de tous les moyens matériels, patrimoines et revenus, mis à la disposition des universités, quelle qu’en soient leur origine, publique ou privée ; et pleine liberté de générer des ressources propres. Seconde composante, la capacité des universités à choisir leurs personnels, à contracter avec eux, et à choisir leurs étudiants à tous les niveaux. Troisième composante, la liberté d’organiser les structures internes en fonction des objectifs que les établissements se fixent et de leur environnement extérieur, notamment économique, social et territorial.

Introduire ces trois libertés ne serait pas une nouveauté dans le service public. Nombre d’établissements publics français en bénéficient, bien qu’ils soient sous la tutelle d’une autorité publique. Citons par exemple les établissements publics que sont le CEA dans le domaine nucléaire, le CNES dans le secteur spatial, et beaucoup d’autres, dans le domaine des transports ou encore de la santé publique. Notons ainsi que l’octroi de ces trois libertés est parfaitement compatible avec le maintien d’un service public de l’enseignement supérieur et de la recherche, régulé, mais non pas organisé directement, par l’Etat.

Ainsi définie, l’autonomie engendrerait une certaine mise en compétition des établissements entre eux. Il faudrait alors réguler la concurrence de façon à en réduire les éventuels inconvénients.

D’abord les universités doivent être toujours en mesure de rendre des comptes sur l’utilisation des moyens qu’elles utilisent, quelle qu’en soit l’origine, publique ou privée, ainsi que de leur capacité à atteindre les objectifs qu’elles ont affichés. Ensuite la mise en œuvre de la liberté de s’organiser librement en interne doit toujours s’accompagner de la mise en place d’une stricte séparation entre le pouvoir de décision et le pouvoir académique ou scientifique : un Sénat académique qui propose et classe des projets, aussi bien en recherche qu’en formation, et un Conseil d’administration de taille réduite, composé principalement d’acteurs extérieurs à l’université, et dont la fonction est de rechercher les meilleurs moyens, matériels et organisationnels, pour réaliser les projets arbitrés par le Sénat académique. Naturellement les arbitrages indiqués par ce dernier s’imposent. Le rôle du Conseil d’administration serait de rendre possible la réalisation du plus grand nombre de projets dans les meilleures conditions d’efficacité, non d’arbitrer entre eux.

L’Etat ou toute autre autorité régulatrice aurait la charge de veiller au respect des équilibres entre ces deux instances, sans tomber dans le ridicule actuel de textes qui imposent pour toutes les universités la même structure interne et les mêmes compositions des conseils.

Qu’en serait-il des déséquilibres d’accès que pourrait induire la liberté de fixation des droits d’inscription ? On peut parfaitement introduire des règles de redistribution d’une partie des ressources supplémentaires procurées par des droits d’inscription plus élevés via des bourses pour les étudiants de milieux modestes. On peut montrer que ce serait là un système équitable, facilitant l’accès des plus modestes à l’enseignement supérieur, améliorant la motivation des étudiants, et induisant finalement une plus grande efficacité de l’ensemble. C’est ce que pratiquent de nombreuses universités étrangères et ce que fait Sciences Po Paris.

Même chose pour le choix des étudiants : sans aller jusqu’à des systèmes de quotas, des mécanismes incitatifs peuvent très bien être mis en place attribuant par exemple des subventions publiques différenciées selon les taux d’insertion professionnelle des diplômés (obligation de résultats pour les universités), et croisant ce critère avec l’origine sociale des étudiants (obligation d’égalité d’accès à l’enseignement supérieur à compétences identiques). On obtiendrait ainsi un système de subventions diversifiées : un étudiant de milieu aisé réussissant ses études et son insertion « rapporterait » moins de subventions publiques qu’un étudiant réussissant de la même façon mais venant de milieux modestes. Le gain en subvention serait à chaque fois réduit en cas d’échec à l’examen ou à l’insertion. Cet exemple illustre bien l’importance d’une évaluation ex post forte et prêtant à conséquence pour les universités.

Autre illustration, la liberté du recrutement des personnels et de la gestion de leurs carrières est parfaitement compatible avec le statut actuel de la fonction publique. Le mécanisme à mettre en place pourrait être le rattachement des personnels au budget général de l’Etat pour leur salaire de base, ce qui est déjà le cas, et d’une convention de mise à disposition passée par chaque université avec ses personnels. Cette convention préciserait les conditions de cette mise à disposition en termes financiers ainsi que le service attendu. Les avantages principaux du statut de la fonction publique seraient préservés, mais des incitations fortes pèseraient ainsi sur les personnels. Ils seraient dûment évalués, avec les conséquences adéquates, sur leurs activités réelles comparées à leurs obligations prévues dans leurs conventions de mise à disposition. Un tel mécanisme est compatible avec des systèmes d’accord sociaux si l’on veut éviter de trop gros écarts. Le Canada et plusieurs pays européens sont assez proches de ce système.

Une diversification entre établissements suivra inévitablement la compétition induite par l’autonomie. Est-ce à dire qu’il y aura des « universités à deux vitesses » ? Non si l’on met en place des modalités de financement incitatives pour accompagner les universités sur la base d’objectifs clairement définis et partagés, leur permettant de valoriser leurs savoir-faire particuliers et de mieux répondre à la demande sociale particulière qui peut s’adresser à elles. Là aussi une évaluation ex post rigoureuse est nécessaire. Diversifier en bon ordre les universités n’est pas les hiérarchiser. Faire semblant de croire que toute les universités peuvent tout faire conduit au contraire tout droit à un nivellement par le bas parce qu’aucune ne peut vraiment tout faire bien, alors que pratiquement toutes pourraient remplir parfaitement un certain nombre, limité, de missions. Mais elles ne peuvent en quelque sorte exprimer leurs talents.

Les avantages de l’autonomie des universités apparaissent aisément. Mais le grand progrès viendrait de la séparation entre le pouvoir décisionnel et le pouvoir académique. Cela entraînerait la disparition de la confusion pour ne pas dire de la collusion qu’entretient l’organisation actuelle où les membres des conseils universitaires sont à la fois juges et parties : juges car ils doivent rendre des arbitrages, parties car ces décisions s’appliquent à eux, directement ou indirectement. Dans l’organisation proposée, l’engagement du Conseil d’administration renforcerait l’incitation du Sénat académique à proposer des projets pertinents et ambitieux et réciproquement, la qualité des projets proposés serait une incitation forte pour les administrateurs à trouver des moyens de les mettre en œuvre, sous peine d’être taxés d’incompétence. Au passage cela permettrait de placer la gestion des personnels administratifs sous la coupe du Conseil d’administration, assainissant ainsi les rapports entre personnels administratifs et personnels académiques qui sont actuellement souvent aussi les supérieurs hiérarchiques des premiers.

Au fond c’est une séparation qui est de même nature que la séparation des pouvoirs dans l’organisation de l’Etat, et qui ouvrirait la voie à une véritable démocratie universitaire, à l’opposé de la caricature qui prévaut actuellement.