Les syndicats contestataires ont-ils le vent en poupe ? edit

16 janvier 2009

Les élections prudhommales ont eu lieu. Les chiffres ont parlé. À l’heure où de nouvelles règles du jeu vont entrer en vigueur, le champ syndical a-t-il gagné en lisibilité ? Au rebours des commentaires hâtifs qui ont suivi l’élection, il semble au contraire marqué par trois paradoxes.

Jamais le taux d’abstention n’a été aussi élevé alors que de nouvelles modalités de vote (vote électronique, vote par correspondance) avaient été mises en place et que d’importantes campagnes électorales -militante voire médiatique- ont été menées par la plupart des confédérations stimulées par l’adoption de la loi sur la représentativité syndicale (août 2008). Parmi les inscrits, l’abstention frôle ainsi les 75%. Circonstance aggravante, la baisse de la participation est incessante depuis l’organisation des premières élections prud’homales en 1979. Alors, l’abstention se situait autour de 35% ; en 1987, elle dépassait pour la première fois le seuil de 50% ; en 2002, elle était de près de 67%. Dans ce contexte extrême de désaffection des salariés, quelle peut être la pertinence de ce type d’élections pour mesurer la représentativité réelle des syndicats sur le terrain des entreprises comme lors des négociations collectives ? La question parle d’elle-même.

Un autre paradoxe réside dans certains commentaires faits à propos des résultats et de la réalité des forces en présence. Beaucoup parmi les journalistes ou les experts y ont vu un succès des organisations les plus contestataires et particulièrement de SUD et de la CGT – et ceci malgré les évolutions récentes de cette dernière vers des positions moins tranchées. Pour eux, le faible taux de participation aurait ainsi contribué à favoriser une certaine radicalité syndicale. À l’évidence, l’argument ne tient ni dans la durée, ni lors de l’élection de décembre 2008. Les meilleurs scores que la CGT a réalisé lors de ce type d’élections concernent l’élection de 1979 où elle recueillait plus de 42% des suffrages alors que la participation électorale se situait à un niveau très élevé comparé à celui d’aujourd’hui et que la centrale que Georges Séguy dirigeait – à l’époque – était autrement plus contestataire et politisée qu’elle ne l’est à présent.

Bévues de commentaires hâtifs ? Assurément. Dans les faits, lors de l’élection de décembre dernier, la CGT progresse en pourcentage mais recule en voix : en 2002, le pourcentage de voix qu’elle recueillait était de 32,2%, il est aujourd’hui de 33,8% mais la CGT perd plus de 120 000 voix entre les deux élections, une perte qui s’agrège au recul qu’elle a aussi subi lors des élections des C.E. en 2005-2006 (Source : Élections des Comités d’entreprise, DARES). Certes, SUD progresse de près de 97 000 voix, ce score étant dû à une meilleure implantation de ses candidats au niveau national comme cela s’était produit, en 2002, en faveur de l’UNSA. Mais en l’occurrence, il faut savoir raison garder. L’influence de SUD se situe à 1% des inscrits et ses gains en voix ne suffisent nullement à compenser les pertes de la CGT. Ainsi, le « pôle contestataire » « SUD-CGT » perd plus de 24 000 voix par rapport à 2002. Par contre, plus nets sont les reculs importants de la CFDT (- 3 points), de FO (-2,3) et de la CFTC qui avait placé beaucoup d’espoirs dans ce scrutin (-0,7). Mais en l’occurrence, le recul des organisations réformistes n’implique pas le succès des organisations les plus radicales, bien au contraire. En fait, le taux très élevé d’abstentions au scrutin, interdit de tirer des enseignements définitifs à propos de l’influence des forces syndicales en présence et notamment de leur influence dans l’entreprise. Seul acquis incontestable : la progression en voix et en pourcentages de l’UNSA qui renforce sa position et de la CGC dont le succès est réel au niveau national comme au sein du collège « Encadrement » (+ 5 points).

Enfin, dernier paradoxe et non des moindres. Souvent, la désaffection de l’électeur traduit le déclin de l’institution concernée par son vote. Ce n’est à l’évidence pas le cas des Prud’hommes. Jamais, les tribunaux prud’homaux n’ont été aussi sollicités par les salariés alors que dans le même temps régresse leur assise électorale et la légitimité institutionnelle qu’elle induit du point de vue démocratique et représentatif. L’abstention n’implique pas le désintérêt de l’électeur potentiel surtout lorsqu’en cas de litige avec l’employeur, le recours aux prud’hommes peut ou doit s’exercer. Mais souvent, il s’agit là d’un désintérêt qui se traduit au niveau individuel. Dès lors, n’est-on pas en présence d’un phénomène de plus en plus répandu dans nos sociétés, un phénomène lié à la montée de l’individualisme et qui induit une instrumentalisation purement individuelle des prud’hommes comme cela existe aussi à l’égard de maintes autres institutions sociales voire syndicales ? Le problème est important. Dans les sociétés démocratiques modernes, il concerne le rapport de l’individu aux grandes institutions sociales et le caractère parfois ambigu de ce rapport.

Au lendemain des prud’homales, comment faire que la participation électorale puisse connaître un renouveau et une réelle dynamique ? Les causes de l’abstention au scrutin ont déjà donné lieu à de multiples réflexions, enquêtes et sondages notamment menés par le ministère du Travail. Et pourtant… Faut-il dès lors repenser la participation aux élections prud’homales non seulement du point de vue de l’électeur individuel mais aussi de celui des missions de l’organisme ? Et en quel sens ? Faut-il par exemple réformer les prud’hommes et élargir le champ de leurs attributions aux litiges et aux conflits collectifs ?

En-deçà de ces questions, un constat plus immédiat se pose. Plus le lien de proximité entre syndicats et salariés est fort, moins la division syndicale est affichée et plus la participation électorale est élevée. C’est le cas des élections professionnelles dans l’entreprise où, bon an mal an, le taux moyen de participation se situe autour des 65% (63,8% lors des élections des C.E en 2005-2006). À ce constat, s’ajoute l’institution des nouvelles formes de représentativité syndicale. Si les élections concernant ces dernières se font au niveau de l’entreprise ou de l’établissement et si elles concernent aussi la validation des accords collectifs, ne peut-on faire en sorte que les élections prud’homales soient organisées au sein de chaque entreprise - ou dans des lieux très proches pour les plus petites d’entre elles ? Ce serait un moyen de répondre à ceux qui pensaient que les élections prud’homales constituaient l’instrument adéquat de mesure de la représentativité syndicale tout en tenant compte des nouvelles règles juridiques instituant celle-ci à partir de l’entreprise. Pari impossible ? Rejet des directions d’entreprise ? Refus des organisations syndicales minoritaires localement menacées dans leur existence lors de l’application de la loi d’août 2008 ? Peut-être mais la question mérite d’être approfondie si l’on veut que cesse la désaffection électorale qui touche les Prud’hommes et met en cause leur légitimité démocratique. « Ridicule », c’est le titre d’un film de Patrice Leconte. Il ne doit pas concerner l’élection d’une institution aussi précieuse que les tribunaux du travail.