Quelles leçons pour les Verts? edit

23 juin 2022

Notre papier de septembre 2021 dans Telos, intitulé « Où va l’écologie politique ? » débutait par cette courte constatation : « Yanick Jadot a gagné ». On voulait dire alors, Yannick Jadot a gagné, de peu, la primaire écologiste. Aujourd’hui on dirait plutôt « Yannick Jadot a perdu » puisqu’avec un score de 4,6 % il n’a pas réussi à remplir la première condition de réussite que nous avions énoncée : « dépasser le seuil de 5% des suffrages exprimés, d’abord pour démontrer les progrès de l’écologie politique par rapport à son meilleur score du passé (5,3% en 2002) ensuite, et surtout, pour accéder à un remboursement conséquent des frais de campagne ».

Il est vrai qu’à défaut de score convaincant à l’élection présidentielle les Verts sont partie prenante d’un accord électoral et politique historique, la « Nouvelle Union populaire écologique et sociale » (NUPES) qui leur a assuré un monopole de représentation de la gauche dans une centaine de circonscriptions. Et cet accord a remarquablement fonctionné, puisqu’il leur a permis de réaliser des scores électoraux confortables au premier tour des élections législatives et d’obtenir au soir du second tour 21 élus.

Quels sont, pour l’écologie politique française les enseignements à tirer de cette victoire par procuration ?

La séquence électorale de 2022 constituait pour EELV l’occasion de mettre à l’épreuve un projet politique ambitieux inspiré par l’idée d’une conjoncture politique idéale pour deux raisons majeures. La première résidait dans le constat d’un contexte environnemental de plus en plus inquiétant. Sans doute les avertissements des lanceurs d’alerte sur l’accélération du réchauffement climatique se sont-ils presque banalisés depuis le film d’Al Gore, Une vérité qui dérange, présenté en France il y a plus de quinze ans (2006). Mais ils ont depuis peu acquis une réalité plus concrète car aujourd’hui les exemples tangibles de conséquences locales (sécheresses, incendies, canicules, tempêtes, inondations…) sont légion et pas seulement à l’autre bout du monde. La seconde raison se fondait sur le pressentiment d’une opportunité politique majeure. L’effondrement du Parti socialiste aux élections présidentielle et législatives de 2017, puis aux élections européennes de 2019 semblait laisser un vaste espace politique vacant. Et les 13,5 % obtenus par la liste menée par Yannick Jadot aux européennes de 2019 paraissaient confirmer la vocation d’EELV à recueillir l’héritage des socialistes. Sans doute ce même Parti socialiste conservait-il des ressources locales le préservant d’un effondrement total lors des élections municipales (2020) et régionales (2021) mais cet effet d’inertie n’avait pas empêché les Verts de remporter des victoires spectaculaires aux élections municipales de 2020 en gagnant les mairies de villes de première importance (Bordeaux, Lyon, Strasbourg, Poitiers…). Si les socialistes voyaient s’éroder leur légitimité politique à soutenir les enjeux environnementaux, il restait à s’interroger sur la capacité de la majorité politique sortante à prétendre les traiter convenablement. Il est en effet probable qu’une fraction des électeurs écologistes avaient fait confiance à Emmanuel Macron en 2017 pour développer des politiques d’environnement réalistes. Mais, là aussi, le bilan environnemental de la majorité sortante était très discutable.

Outre une série de déconvenues avec des ministres de l’écologie rapidement découragés (Nicolas Hulot) ou victimes de maladresses (François de Rugy) plusieurs événements récents permettaient aux Verts de contester avec force les politiques d’environnement de la majorité sortante. Il était d’abord patent que plusieurs conseils, institutions ou think tank concluaient à une insuffisance notoire des politiques de transition écologique de la majorité sortante. C’était le cas, par exemple, du très officiel Haut Conseil pour le Climat indiquant dans son rapport de 2020 que « la réduction des émissions de gaz à effet de serre continue à être trop lente et insuffisante pour permettre d’atteindre les budgets carbone actuels et futurs du mandat présidentiel ». Au débit, encore, de la majorité sortante l’arrêt du Conseil d’Etat donnant raison aux associations de défense de l’environnement qui ont poursuivi le gouvernement pour son inaction dans ses politiques de réduction des émissions de carbone (jugement de « L’Affaire du siècle »). À charge aussi pour la majorité sortante la gestion discutable de la « Convention Citoyenne pour le Climat » dont il semble après coup que les recommandations n’auraient pas été traduites intégralement dans la loi « Climat et Résilience » (22 août 2021), contrairement à l’engagement imprudent du président de les transmettre « sans filtre ».

Malgré cette accumulation de bonnes nouvelles, la campagne de Yannick Jadot, périodiquement perturbée par les interventions radicales de Sandrine Rousseau, se déroule dans une certaine morosité. Et les sondages témoignent de cette tiédeur puisqu’ils affichent le plus souvent des intentions de vote se situant entre 5% et 8%. Pire, la candidature éphémère de Christiane Taubira semble même entamer un moment ce fragile capital, et à mesure que s’approche l’échéance électorale l’hypothèse d’un score inférieur à 5% devient vraisemblable. Le verdict final, 4,63% des suffrages exprimés, confirme le diagnostic : l’écologie « pragmatique » ou « consensuelle » défendue par Yannick Jadot n’a pas convaincu. Que s’est-il passé ? Sans doute pourra-t-on longtemps gloser sur le choix du candidat de défendre une écologie politique « consensuelle » ou » pragmatique » plutôt que « radicale ». Il est fort probable que ce thème fournira un motif de discussions sans fin au sein de la galaxie écologiste et un marqueur signifiant dans les débats des prochains congrès d’EELV. Nul ne peut aujourd’hui assurer qu’une écologie politique à la manière de Sandrine Rousseau aurait fait mieux. Faute de pouvoir alimenter utilement ce débat on peut en tout cas suivre en partie la logique des électeurs se déclarant « Proches d’EELV » dans les jours précédant le vote, et juste après le premier tour (Tableau ci-dessous).

Tableau 1. Intentions de vote avant le premier tour de la présidentielle puis reconstitution de vote après le premier tour des électeurs se déclarant « Proches de EELV »

Source : Base de données électorale Cevipof Le Monde Ipsos Steria

Le Tableau 1 montre que la minorité de 8% des sympathisants d’EELV qui s’apprêtait à un vote dissident en faveur de Jean-Luc Mélenchon au début du mois de mars a crû jusqu’à représenter environ 20% à la veille de l’élection. Une évolution de dernière heure aboutit au final à une évasion de près du tiers des sympathisants d’EELV dont moins de la moitié demeure fidèle à leur parti selon les données de l’enquête post-électorale Cevipof Le Monde.  Pour les sympathisants d’EELV, l’attrait de la candidature de Jean-Luc Mélenchon a donc été fatal pour le vote en faveur de Yannick Jadot. On a parlé à juste titre d’un vote « utile » ou d’un vote « efficace », c’est certainement bien le cas ici. À mesure que les sondages annonçaient un score potentiel croissant à Jean-Luc Mélenchon, des proches d’EELV ont abandonné leur fidélité au parti de l’écologie politique pour la reporter sinon sur le gagnant potentiel du moins sur celui qui rendait le plus visible possible le poids d’une gauche prenant en compte les enjeux environnementaux. Car c’est bien ici que se situait le dilemme pour les Verts. Les faibles scores de la France insoumise aussi bien aux européennes de 2019 (6,3%) qu’aux élections locales qui ont suivi avaient masqué le fait que le parti de Jean-Luc Mélenchon était en réalité le premier et seul concurrent sérieux des Verts. Dès l’élection présidentielle de 2017, Jean-Luc Mélenchon avait intégré dans son programme une préoccupation bien argumentée pour les enjeux écologiques. Et lors de la campagne de 2022, les associations environnementales qui avaient publiquement évalué les programmes environnementaux des différents candidats plaçaient au premier rang à égalité le programme environnemental des Insoumis et celui des Verts. 

L’ambition à peine cachée des Verts d’être historiquement le mouvement politique ayant vocation à prendre la place d’une social-démocratie défaillante, notamment sur les enjeux environnementaux, s’est donc brutalement heurtée au fait qu’ils avaient un concurrent de taille, et de talent, tout aussi déterminé qu’eux même à achever la mise à mort du Parti socialiste.

Au lendemain de l’élection présidentielle, il est vite apparu que le schéma classique qui tendait à ce que les électeurs confirment le gagnant de la présidentielle en lui fournissant une large majorité de députés n‘allait pas se reproduire. Il paraissait a priori étrange que des partis qui n’avaient cessé de se quereller tout au long de la campagne présidentielle puissent au lendemain de celles-ci trouver un accord programmatique et électoral. Mais en réalité, défaits électoralement et mis en péril économiquement faute de bénéficier d’un plein remboursement de leurs frais de campagne, les Verts, comme le Parti socialiste, font de nécessité loi et répondent favorablement aux propositions d’alliance électorale de la France Insoumise. Entre Verts et Insoumis, il n’y a pas grande difficulté à trouver un terrain d’entente programmatique minimal. Sur les questions environnementales les deux organisations sont pratiquement sur les mêmes positions. Sur les enjeux sociaux, c'est-à-dire pour l’essentiel sur le combat contre le libéralisme économique, il y aussi une assez large convergence : en gros, le programme économique des Verts était sans doute moins radical mais l’adoption des positions des Insoumis ne leur posait pas de problème majeur. Restent les questions de l’Europe et de la politique internationale où les divergences sont profondes mais qui seront de fait plus ou moins habilement escamotées dans l’accord programmatique.

Second volet de l’accord, les dispositions électorales sont une procédure familière pour les Verts puisqu’à deux reprises, en 1997 et en 2012, ils ont conclu ce type de pacte avec le Parti socialiste. Suivant la même logique, un certain nombre de circonscriptions, une centaine en l’occurrence[1],  leur sont réservées, c'est-à-dire que là, leurs candidats sont assurés de ne pas être concurrencés par une candidature de la France Insoumise. Dans toutes les autres circonscriptions, en revanche, ils s’engagent à ne pas présenter de candidats. Ici la règle est beaucoup plus sévère que lors des accords avec le Parti socialiste car cet impératif de monopole pour le parti dominant ne s’appliquait que dans une centaine de circonscriptions.

Les résultats obtenus par EELV dans les circonscriptions dites « réservées » sont assez proches de celles de leurs partenaires de la NUPES : 27,3% pour les écologistes, contre 25,6% pour LFI, 29,2% pour le Parti socialiste et 24,5 % pour le Parti communiste. Mais, pour apprécier l’évolution de l’écologie politique, il est intéressant de comparer le score d’aujourd’hui à ce qu’obtenaient les Verts dans des situations analogues dans le passé puisqu’à deux reprises, 1997 et 2012, ils ont bénéficié de la part du Parti socialiste du même mécanisme de circonscriptions réservées (Tableau 2). 

     

Tableau 2. Scores en % de suffrages exprimés d’EELV (Les Verts en 1997) dans les circonscriptions réservées en 1997, 2012 et 2022.

Les résultats montrent en effet un accroissement du score des écologistes lorsqu’ils bénéficient du monopole de représentation de la gauche. Cette évolution est sensible par rapport au score de 1997 (+ 7,1 points de pourcentage), plus modeste en comparant avec 2012 (+ 2,6 points de pourcentages). Au total EELV obtient 21 élus[2], soit quatre de plus qu’en 2012.

Que retenir de cette séquence électorale pour EELV ? Tout d’abord qu’elle s’est ouverte par un relatif échec : les 4,6 % obtenus au premier tour de la présidentielle par Yannick Jadot, sont sans doute le deuxième meilleur score (après Noël Mamère en 2002, 5,3 %) pour les écologistes lors d’une élection présidentielle, mais ils sont loin des espérances des Verts qui cherchaient à paraître, pour la première fois, comme une véritable alternative à un Parti socialiste jugé aveugle aux enjeux de la transition écologiste. La participation à la coalition électorale menée par Jean-Luc Mélenchon a constitué, pour les Verts, une sorte de session de rattrapage. Ils y ont d’abord gagné, fait non négligeable, une nouvelle aisance financière. Leur résultat électoral dans les circonscriptions réservées témoigne aussi d’un progrès, mais assez modeste, par rapport au passé. Enfin, l’élection d’une vingtaine de députés leur ouvre la possibilité de constituer, comme en 2012, un groupe politique à l’Assemblée Nationale.

Mais c’est finalement la question de leur spécificité politique et idéologique au sein de la coalition dont ils font partie qui peut être questionnée. En quoi leur offre politique en matière de transition écologique est-elle plus convaincante que celle de leurs partenaires de la NUPES ? Face à une France insoumise méfiante à l’égard de l’Europe leur attachement à celle-ci suffit-elle à les différencier de leurs alliés et à les rendre plus désirables aux yeux de leurs électeurs potentiels ?

[1] Dont 80 pour EELV et 20 pour leurs alliés, essentiellement « Génération Ecologie et Génération S »

[2] Auxquels s’ajoutent deux élus appartenant à des formations politiques alliées (Génération-s et Nouveaux démocrates).