Que faire pour les Etats surendettés de la zone euro ? edit

4 janvier 2010

Les problèmes de finances publiques de la Grèce ont mis en évidence une fragilité de la zone euro : il n’est pas possible de forcer un pays de la zone euro à redresser ses finances publiques, mais un pays avec des finances publiques en mauvais état peut en revanche faire « tanguer » l’euro. Seules les agences de notation semblent avoir un véritable pouvoir : par les notes qu’elles attribuent aux dettes souveraines, elles menacent effectivement les banques de certains pays d’interdiction de refinancement auprès de la BCE. Les institutions européennes seraient plus crédibles si elles reprenaient un rôle aussi concret que celui des agences de notation et montaient une procédure pour rendre payant un ajustement des finances publiques et coûteux un refus de le faire.

En théorie, un pays avec des problèmes de financement devrait en tirer les conséquences et faire défaut. En pratique, la menace de défaut d’un pays de la zone euro a des conséquences pour d'autres pays de cette zone. Cette menace réveille les scepticismes sur la solidité de la zone euro et fait peser le doute sur la capacité d’autres pays aux finances publiques fragilisées à redresser leur situation. Par exemple, un défaut de la Grèce pèserait immédiatement sur la capacité à se financer de l’Espagne, l’Irlande et du Portugal. Ainsi, si l’on admet qu’un pays de la zone euro peut faire défaut, mais que l’on veut préserver les autres pays de la zone euro, alors il faut envisager que le pays défaillant puisse être exclu de la zone, afin d’éviter les effets de contagion, qui finalement fragiliseraient l’euro. Pour des raisons politiques (l’euro est une construction plus politique qu’économique), comme pour des raisons légales (un récent papier de la BCE montre qu’expulser un pays de la zone euro, ce qui revient à l’expulser de l’Union Européenne, est quasiment impossible), une telle issue est difficilement envisageable.

Si l’on admet donc que la zone euro ne laissera pas un des siens faire défaut, et que sachant cela un pays peut en profiter pour repousser toute forme d’ajustement, il faut donc que les membres de la zone euro trouve un moyen de forcer ce pays à redresser ses finances publiques.

Les finances publiques d’un pays de la zone euro relèvent de la souveraineté nationale. Il faut donc envisager une procédure suffisamment « gagnante » pour que le Parlement du pays en question et la population trouve un intérêt à y adhérer. Il faudrait également une sanction suffisamment punitive pour rendre toute alternative à un ajustement fortement indésirable.

Une procédure d’ajustement serait gagnante si elle permettait au pays en danger de redresser ses finances publiques à un moindre coût. Dans la plupart des ajustements budgétaires, les dépenses d’investissement sont fortement réduites, parce qu’elles sont plus faciles à réduire que les dépenses de consommation. Une solution serait donc que l’UE continue de financer ces dépenses d’investissement (via les fonds structurels ou la Banque européenne d’investissement), en échange d’un engagement national à ajuster. La compensation des difficultés d’ajustement par la poursuite des investissements permettrait également de remporter plus facilement l’adhésion de la population, et redonnerait aussi à Bruxelles un rôle positif.

Si le pays choisit la solution de l’ajustement, son engagement doit être crédibilisé de différentes façons. Tout d’abord il faut que le Parlement du pays en question vote l’ajustement et sa mise en œuvre dans les détails afin de préserver la procédure démocratique du pays (et de s’assurer de l’adhésion de tout le pouvoir politique). Ensuite, il faut que le déboursement du financement des investissements se fasse par tranche, comme c’est le cas dans les procédures d’ajustement FMI. Enfin, pour éviter que le refus d’ajuster d’un pays ne puisse avoir de conséquences sur les autres pays « fragiles », il faudrait qu’une telle procédure soit proposée à l’ensemble des pays considérés comme fragile, en ce moment l’Irlande, l’Espagne, la Grèce et le Portugal. Dans l’éventualité où un pays refuserait une telle procédure, le marché pourrait ainsi distinguer entre pays vertueux avec un engagement sérieux d’ajustement, et pays « non vertueux », ce qui éviterait un phénomène de contagion.

Les fonds structurels représentent environ 300 milliards d’euros sur la période 2007-2013, et pourtant ils sont peu visibles par les citoyens européens. D’autant que la procédure administrative pour toucher l’argent est lourde, si bien que certains pays n’obtiennent pas les fonds ou renoncent à ces fonds. En outre, on ne sait s’ils ajoutent véritablement à des projets d’investissement existants ou s’ils s’y substituent. Ils pourraient donc utilement être orientés pour servir une telle procédure : l’UE a d’ailleurs assoupli et accéléré les versements au titre de ces fonds pour aider à faire face à la crise, dès 2008. D’autre part, la procédure de déficit excessif envisage déjà comme sanction un « changement de la politique de prêts » de la BEI ; on pourrait renverser ce rôle en « changement favorable » de la politique de prêt de la BEI si le pays choisit la solution de l’ajustement.

L’Union Européenne dispose des institutions pour mettre une telle procédure en place. Ces institutions sont Eurostat, la Direction des Affaires économiques et financières de la Commission, et la Cour Européenne de Justice. Eurostat devrait publier un audit des comptes du pays en question et contrôler ces comptes régulièrement. La DG EcoFin serait en charge du suivi de la mise en œuvre des procédures budgétaires et de l’utilisation des fonds investis, aux côtés de la BEI. Enfin la Cour Européenne de Justice serait impliquée s’il y avait conflit dans l’application de cette procédure. L’UE a su mettre en œuvre de telles procédures (la facilité de balance des paiements) avec les pays européens, membres de l’UE mais pas de la zone euro. Elle devrait pouvoir mettre en place une telle procédure pour les pays de la zone euro, même si le FMI doit être impliqué dans le montage et le suivi d’une telle procédure.

En revanche, il faut reconnaître qu’une sanction crédible reste difficilement envisageable dans le cadre institutionnel existant. On le voit avec la procédure du pacte de stabilité dont les sanctions n’ont jamais été utilisées, en dépit de nombreuses entorses au pacte. En outre, si le Traité de Lisbonne récemment ratifié a prévu des sanctions radicales comme la suspension des droits de votes au Conseil des Chefs d’Etat, cette sanction n’est invoquée que dans le cadre d’une infraction aux principes fondamentaux de l’Article 6(1) du Traité, qui concerne les droits de l’homme, la démocratie, les libertés et la règle de la loi. Le Traité a également introduit une procédure de sortie de l’Union Européenne mais pas d’expulsion. Et ce serait là des sanctions extrêmes. Il faut donc espérer que l’offre d’une aide à l’ajustement soit assez motivante pour inciter les pays à s’engager dans une procédure d’ajustement facilitée.

En conclusion, une telle procédure permettrait de résoudre les turbulences que traverse la zone euro actuellement avec des pays aux finances publiques fragilisées. Elle aurait aussi l’avantage de redonner un rôle moteur et positivement visible aux institutions européennes.