Pourquoi le plan Merkel est une erreur edit

27 mai 2010

Faire d’un budget à l’équilibre une condition pour rester dans l’euro, comme le propose le gouvernement allemand, est une mauvaise idée, et ce pour deux raisons. Tout d'abord, cela ne fonctionnera pas, et quand nous nous rendrons compte la crédibilité de l'euro en souffrira, ce dont notre monnaie n’a pas besoin. Ensuite, le vrai problème de l'Europe est la croissance, pas les finances publiques. Cela ne signifie pas qu’une réduction des dépenses publiques et du volume des Etats-providence n'est pas une priorité. Mais si on s’engage dans cette voie, cela doit se faire de façon crédible et non irréaliste. Cela n’est guère le cas du projet de Mme Merkel.

Pour commencer, le projet est peu crédible quand on considère ses promoteurs. Car ce fut précisément l'Allemagne (avec la France) qui en 2005 a imposé des changements aux règles du pacte de stabilité afin de ne pas avoir à payer l'amende prévue pour les pays qui violaient ces règles. Pas crédible non plus, la menace d’une expulsion de l'euro si un pays ne respecte pas la contrainte d'un budget équilibré. L'Allemagne a accepté de saper la crédibilité de la BCE pour sauver la Grèce, serait-elle vraiment prête à expulser l’Italie de l’euro si celle-ci ne présentait pas un budget à l’équilibre ?

Les expériences étrangères montrent que ce type de contraintes budgétaires fonctionne rarement. Aux États-Unis, la loi votée à l’initiative des sénateurs Gramm, Rudman et Hollings tentait de restreindre les dépenses, en prévoyant des coupes dans le budget fédéral si un ensemble d’obligations n’étaient pas respectées. La loi fut difficile à appliquer, et il fallut la modifier en 1987 lorsque la Cour suprême déclara inconstitutionnelle un certain nombre de réductions. Surtout, elle ne contribua que marginalement à la maîtrise du déficit fédéral. Si les États-Unis ont fini par présenter un budget équilibré, ce ne fut pas grâce à cette loi, mais à l’accélération de la croissance au milieu des années 1990.

Ce qui a marché en revanche, c’est le régime contraignant mis en place pour les différents États américains, avec deux nuances cependant. Tout d'abord, de nombreux Etats ont exclu du régime contraignant l'investissement public : le déficit peut être financé par l'émission d'obligations directement liées à des travaux financés en commun. Deuxièmement, même ces contraintes, quand il le faut, sont violées. La Californie, par exemple, finance aujourd’hui son déficit courant en émettant des IOU (I owe you), des reconnaissances de dette que les Californiens acceptent comme des obligations d'État.

Ensuite, ce qui semble vraiment fonctionner, ce ne sont pas les contraintes mais les procédures. Dans le cas italien, par exemple, une percée a été réalisée lors de la présentation de la loi de finances a été précédée par une résolution parlementaire fixant ex ante le déficit maximum autorisé. Des études menées par Jürgen von Hagen sur les procédures suivies par les différents pays confirment qu'elles ont de réels effets. Dans le même sens, Charles Wyplosz a proposé la création de comités d'experts chargés d’évaluer de la qualité de la loi de finances ; c’est à peu près ce que le gouvernement de David Cameron a décidé la semaine dernière en présenté un Bureau de responsabilité budgétaire (Office for Budget Responsibility) présidé par Sir Alan Budd, dont la tâche est de produire des estimations indépendantes sur les effets des lois de finances.

Il y a trois autres aspects qui rendent discutable, ou en tout cas difficile à mettre en œuvre, la proposition allemande d’un budget systématiquement à l’équilibre.

Premièrement, inclure dans l’équilibre recherché les frais liés à la dette publique conduit à des asymétries, car les intérêts sont fonction de la taille de la dette. Dans les pays où la dette publique est importante, équilibrer le budget supposerait d'abaisser le ratio dette/PIB à un rythme beaucoup plus élevé que l'inflation. L'expérience historique montre que les pays qui ont réduit leur dette l’ont fait progressivement ; les tentatives d’accélérer n’ont eu lieu que quand les pays faisaient défaut.

Deuxièmement, il n’est pas dit que l'équilibre du budget courant soit toujours la bonne stratégie. Aujourd'hui, par exemple, une politique fiscale expansionniste est nécessaire pour lutter contre la crise. C’est ce que répète depuis des mois le Fonds monétaire international : pour stabiliser la dette il ne faut pas raisonner en considérant le déficit du compte courant, mais les déficits futurs, en particulier les coûts liés au vieillissement de la population. Mettre l'accent sur l'équilibre budgétaire d'aujourd'hui pourrait être une distraction coûteuse. Cela pourrait aggraver la crise, sans rien faire pour les déficits futurs.

Enfin, et c’est peut-être le plus important, équilibrer le budget sans expliquer comment peut être très dangereux. Obligé de renforcer les contraintes budgétaires sous peine d'expulsion de la zone euro, un pays souhaitera peut-être augmenter les impôts. L'expérience irlandaise de 1982 et 1987 et les travaux d’Alberto Alesina et Silvia Ardagna montrent bien qu’habituellement, une stabilisation budgétaire fondée sur les hausses d'impôt échoue.

Mais le plus grand risque est que la proposition allemande détourne l’attention du problème central des pays de la zone euro, qui est la croissance. Aux États-Unis et dans la Grande-Bretagne de l'après-guerre, le ratio dette/PIB dépassait 150 %. En quinze ans, il fut ramené aux alentours de 50 %, et ce fut possible grâce à la croissance. Le Japon cherche depuis vingt ans à réduire sa dette, sans qu’il y soit jamais parvenu. Avec une croissance moyenne proche de zéro, le ratio dette-PIB du Japon a atteint les 200 %. Ce qu'on oublie souvent, c'est que le ratio dette / PIB ne représente pas des valeurs absolues mais des valeurs relatives : travailler sur le numérateur sans se soucier des effets que cela a sur le dénominateur peut conduire à de mauvaises surprises, comme ce fut le cas au Japon.

Cela ne signifie pas que le pacte de stabilité ne doit pas être révisé. Mais cela doit se faire intelligemment, en reconnaissant que la forte dette laissée par les générations précédentes ne sera pas résorbée en quelques années, que s’il convient de réduire les dépenses il faudra modérer la hausse des impôts, et surtout que tous les coûts ne sont les mêmes : réduire les coûts du vieillissement démographique n’a pas les mêmes effets que de tailler dans les investissements ou les infrastructures. Enfin, l’influence de comités indépendants est une solution plus intelligente que de compter sur les réductions automatiques. Un « comité indépendant faisant autorité », l’Europe en a déjà un : ce sont les bureaux de la Commission. Dans l'histoire grecque, ils ont manifestement échoué. Nous devons comprendre pourquoi et nous demander quoi faire pour éviter que cela se reproduise.

Une version italienne de cet article est publiée sur le site de notre partenaire La Voce.