BCE : comment elle peut mieux faire edit

6 mars 2008

La plus grande incertitude règne aujourd’hui en ce qui concerne les intentions de la BCE. L’inflation augmente, la croissance ralentit, les marchés financiers ne parviennent pas à sortir de leurs profondes difficultés : tout cela complique sa tâche. Mais son véritable défi est un déclin de sa crédibilité.

C’est dans ces moments difficiles que les décisions d’une banque centrale doivent être comprises, sinon approuvées, par le public et les marchés financiers. Dans un récent rapport, «Monitoring the European Central Bank», nous expliquons tout ce que la BCE pourrait gagner en efficacité et en légitimité si elle annonçait ses prévisions de taux d’intérêt et si elle publiait les minutes de ses réunions.

Notre point de départ est un résultat établi par les travaux de recherche et confirmé par la pratique : la politique monétaire agit avant tout grâce à sa capacité à influencer les attentes des épargnants, des investisseurs, des consommateurs et des marchés. Malheureusement, la manière dont la BCE analyse la situation et en tire ses conclusions demeure floue et donc risque d’être incomprise. Un exemple récent montre la portée de ce résultat et les limites de l’action de la BCE, même si ses choix ne sont pas remis en cause.

A la fin de l’année 2005, la BCE a commencé à faire remonter ses taux d’intérêt, après les avoir longuement maintenus très bas. Son intention annoncée était de les normaliser, et elle avait raison. Mais elle n’a jamais indiqué ce qu’elle considérait comme un niveau « normal » ni à quel rythme elle entendait procéder. Si les marchés financiers avaient compris, alors, qu’elle allait remonter ses taux de deux points de pourcentage, ils auraient réagi (en fixant les taux à long terme et les cours boursiers) d’une manière qui aurait effectivement rendu la politique monétaire moins lâche et le taux d’inflation n’aurait pas atteint les niveaux qui ont suivi. Pourquoi la BCE n’a-t-elle pas signalé ses intentions ? Il est possible que le Conseil des Gouverneurs ait été divisé, aussi bien en ce qui concerne l’objectif de taux final qu’en ce qui concerne le rythme des hausses. C’est tout à fait normal et même souhaitable. Mieux vaut un Conseil ouvert à des opinions divergentes que dangereusement guidé par une pensée unique. Mais, dans ces conditions, les marchés, et le public en général, auraient été considérablement aidés s’ils avaient pu comprendre les termes du débat. Or c’est impossible puisque les délibérations du Conseil des Gouverneurs sont soigneusement tenu secrètes.

L’argument à la base de ces remarques est que l’inflation est très étroitement guidée par les anticipations du secteur privé : lorsqu’ils négocient prix et salaires, les entreprises, les employés, ou les marchés financiers sont très attentifs à l’évolution prévisible de l’inflation. C’est pour cela que les banques centrales sont devenues de plus en plus transparentes et attachent une grande importance à leur communication. La BCE se flatte de bien « préparer les marchés », de faire en sorte que ses décisions soient prévisibles. Mais ce n’est la seule décision du mois prochain qui compte. L’impact macroéconomique d’un quart de pourcentage en plus ou en moins sur le taux au jour le jour est très limité, voire négligeable. Ce qui compte pour les particuliers et les entreprises, ce sont les taux d’intérêt à plus long terme. Or ces taux dépendent de ce qui arrivera au taux à un jour de la banque centrale durant l’année ou les deux ans à venir. C’est pour cela qu’un certain nombre de banques centrales pionnières ont commencé à publier leurs prévisions de taux d’intérêt sur deux ou trois ans. La BCE n’échappe pas, bien sûr, à ce besoin d’information. Mais sa méthode de communication est le langage codé. Elle a développé sa propre linguistique (avec des mots comme « vigilance » qui peut être ou ne pas être « extrême »). Mais de telles expressions sont imprécises sur le long terme et, à court terme, peuvent être mal interprétées.

La meilleure manière pour la BCE d’être transparente est de publier les votes de son Conseil des Gouverneurs. L’évolution des votes est informative, car les décisions sont rarement unanimes. On peut alors observer comment le Conseil réagit aux événements. Publier les votes ne signifie pas révéler les noms des personnes ; le risque existe que des pressions nationales s’exercent sur les membres du Conseil. Publier les minutes, comme le font désormais la plupart des banques centrales, fournit les explications nécessaire pour comprendre les votes. Ici encore, les minutes ne doivent pas nécessairement inclure de noms.

Plus de transparence est aussi nécessaire pour la légitimité démocratique de la BCE, qui est protégée des interférences politiques par son statut d’indépendance. En effet, dans un régime démocratique, le soutien populaire est la seule défense d’une banque centrale. Or ce soutien peut être érodé par les critiques des responsables politiques. On le voit bien en France où, Colbertisme oblige, l’opinion publique est traditionnellement sceptique à l’égard de la notion de banque centrale indépendante. Dans ces conditions, des hommes politiques peuvent être tentés de se rendre populaires en attaquant la BCE. La répétition de critiques, le plus souvent infondées, peut alors endommager la réputation de la banque. La meilleure défense de la BCE est une communication de qualité, et pas seulement en direction des marchés financiers. Mais une bonne communication exige que la stratégie soit claire et doit s’appuyer sur un degré élevé de transparence. Après bientôt dix ans d’existence, il est temps de repenser  la stratégie et la transparence.

Il est aussi temps de revoir l’organisation des deux organes de la BCE, le Directoire et Conseil des Gouverneurs. Le Directoire comprend six membres, dont le président Jean-Claude Trichet, qui sont basés à Francfort. Il gère la banque au jour le jour et prépare les délibérations du Conseil des Gouverneurs qui réunit en outre les Gouverneurs des banques centrales nationales. Conduire la politique monétaire et, surtout, l’expliquer, représentent un travail à plein temps. Or les membres du Directoire ont aussi de lourdes responsabilités administratives, pour lesquelles ils ne sont pas nécessairement qualifiés. A l’exception du président et du vice-président, ils devraient pouvoir se consacrer exclusivement à la tâche de formuler et expliquer la politique monétaire. Cette redéfinition des postes aurait aussi l’immense avantage de contraindre les chefs d’Etat et de gouvernement qui les nomment à choisir des personnes qui sont les meilleurs experts en matière de politique monétaire, un critère qui ne semble pas toujours avoir été prioritaire par le passé.

La BCE a remarquablement bien réagi à la crise du crédit depuis le mois d’août dernier. Son prestige auprès des marchés financiers en est sorti accru. C’est donc un bon moment pour revoir la stratégie, la transparence et la gouvernance. 

Francesco Giavazzi, Université Bocconi, Milan.
Petra Geraats, Cambridge University.
Charles Wyplosz, Institut des Hautes Etudes Internationales et de Développement.

Une version anglaise de ce texte est publiée sur le site de notre partenaire VoxEU