Le pari risqué de l’Europe edit

13 mai 2010

En mettant 750 milliards d’euros sur la table, les autorités européennes ont montré qu’elles ont enfin pris la mesure des enjeux qui mobilisent les marchés financiers. Le seul problème est que l’argent n’est pas vraiment là. L’idée est qu’il n’a pas besoin d’être là puisqu’il s’agit de garanties, pas de prêts. L’Union Européenne va simplement se porter garante des dettes publiques espagnole ou portugaise. Il ne faudra lever des fonds que si les gouvernements espagnols ou portugais font défaut, ce qu’ils n’ont aucune raison de faire si les marchés continuent à leur prêter de l’argent, ce que les marchés n’ont aucune raison de ne pas faire si les dettes sont garanties. Bloquer la contagion de la crise sans dépenser un euro, il fallait y penser !

La question est de savoir si ce plan miraculeux va vraiment marcher. Les premiers 500 milliards de garantie doivent être apportés par la Commission et les gouvernements qui se portent garants. Cette somme représente presque 6% du PIB de l’Union, environ 11% des dépenses publiques. La garantie engagera les contribuables de chaque pays garant. Ce n’est pas tous les jours qu’une telle somme est engagée d’un seul trait de plume. Quand on voit les torrents de conflits que génère la PAC, qui représente environ 0,5% du PIB de l’Union, on peut imaginer, et même espérer, que les garanties ne vont pas être avancées à la légère. La solution va être d’exiger des plans d’austérité budgétaire à la rigueur exemplaire. C’est d’ailleurs ainsi que pourront être mobilisés les 250 milliards restants, ceux qui doivent être apportés par le FMI qui ne prête que sous conditions.

Le problème est que la reprise économique démarre tout juste et qu’elle n’est pas encore arrivée dans les pays sous pression. L’austérité budgétaire va probablement faire retomber la Grèce, l’Espagne et le Portugal dans une récession profonde, ce qui va faire baisser les rentrées fiscales et aggraver le déficit budgétaire, donc les besoins d’emprunter. Autrement dit, les conditions auxquelles les garanties sont apportées ne seront pas remplies au moment où de nouvelles garanties seront nécessaires. Que feront alors, dans six mois ou un an, les gouvernements garants  et le FMI ? S’ils retirent leurs garanties, ou refusent seulement de les étendre, les défauts de paiement seront inévitables. Comme c’est précisément ce qu’on veut éviter, la tentation de fermer les yeux sera grande. Mais si les marchés s’en aperçoivent, ils vont alors paniquer à nouveau et il faudra alors garantir les nouveaux emprunts. Lorsque les contribuables découvriront que les fameuses conditions draconiennes ne sont pas satisfaites et que le plan miraculeux pourrait devenir très coûteux, le piège se refermera.

La seule solution sera alors de se retourner vers la BCE, qui vient de s’engager à acheter les dettes publiques sous pression. Prudente, la BCE a annoncé qu’elle va stériliser ces achats, c’est-à-dire que, d’une main, elle va fabriquer de la monnaie pour acheter les dettes publiques et, de l’autre, elle va reprendre cette monnaie en vendant d’autres actifs ou même en empruntant. Ces opérations peuvent être très coûteuses si les taux d’intérêt remontent. A son tour, la BCE va se retrouver piégée.

En effet, entre l’austérité budgétaire imposée aux pays sous conditions du FMI et le besoin des autres pays de réduire leurs propres déficits pour ne pas attirer l’attention des marchés financiers, la zone euro va être la région du monde où la croissance est la plus molle, à supposer qu’elle soit positive. Il est probable que l’euro va alors plonger, ce qui sera salutaire pour la croissance. Mais un euro déprécié est source d’inflation puisque les produits importés deviennent plus chers, et la pression inflationniste tend à se manifester plus vite que la reprise de croissance. Que fera alors la BCE ? Laissera-t-elle l’inflation se développer ?

Les 750 milliards représentent un pari audacieux. Une vigoureuse reprise mondiale peut soutenir la croissance en Europe et, de ce fait, améliorer les finances publiques tout comme la récession de 2009 les a détériorés. Le plan aura alors permis d’éviter des défauts de paiement en série dans la zone euro, et ce sans coûter un centime aux contribuables, puisque les garanties n’auront jamais été invoquée. Mais si la croissance ne revient pas dans la zone euro, les déficits budgétaires vont continuer et pourraient s’aggraver. Les défauts de paiement pourraient alors être inévitables et les 750 milliards de garanties compenseraient les investisseurs aux frais des contribuables, sérieusement appauvris. La BCE aurait alors perdu sa crédibilité et l’inflation pourrait bien être de retour, comme toujours après une crise budgétaire. On regretterait alors de ne pas avoir accepté les défauts de paiement maintenant.