Grèce : nuages noirs sur les banques françaises  edit

2 mai 2010

Le plan de sauvetage a éloigné pour un temps la perspective du défaut de la Grèce sur le paiement de sa dette. La réaction en chaîne qui menaçait d’emporter le Portugal, l’Espagne et l’Irlande a été stoppée, mais le soulagement risque d’être de courte durée. Le FMI et l’UE ont estimé que les coûts d’un défaut partiel et immédiat de la Grèce étaient supérieurs à un report à des temps meilleurs d’une inévitable restructuration de la dette grecque. Parmi les arguments qui ont sans doute pesé il faut compter la fragilité d’un système bancaire européen qui commence à se relever de la crise des subprimes, qui n’a pas fini de purger ses bilans des actifs toxiques et des mauvais risques accumulés et qui va devoir faire face à de  forts besoins en capital pour satisfaire les normes de solvabilité en cours d’élaboration. Dans ce contexte peu rassurant, la banque française se singularise par une exposition exceptionnellement élevée au risque grec.

D’après la BRI, les banques françaises sont exposées a hauteur de 79 milliards d’euros sur un total européen de 189 milliards d’euros. Les banques allemandes le sont moins : à 43milliards. On reste interdit devant pareils chiffres : qu’est-ce qui justifie en effet que les banques françaises soient si investies en Grèce : est-ce l’effet d’une position commerciale particulièrement avantageuse qui justifierait que les banques accompagnent leurs clients, est-ce l’effet d’une industrie financière particulièrement active et innovante, est-ce l’effet d’une abondante épargne en quête de placements sûrs (obligations en euros) ? La réponse n’est pas évidente surtout si l’on se fie aux déclarations des dirigeants de cette industrie. Pour Baudouin Prot en effet l’exposition de BNPP est « négligeable » ; quant aux dirigeants du CA ils ont laissé filtrer des chiffres dans la presse révélant une exposition inférieure à 1 milliard d’euros.

En fait le cas grec est illustratif  de la stratégie de la banque française au cours des dernières années. Quatre traits permettent de la résumer : une stratégie multidomestique d’expansion dans la banque de détail en Europe qui la mène en Grèce, la croissance continue de la gestion collective pour placer l’argent d’épargnants avides de produits sûrs et défiscalisés, l’émergence de nouveaux modèles économiques et la quête du leadership dans les produits dérivés,

La banque française est d’abord exposée au risque grec à travers ses filiales locales qui portent de la dette souveraine. La banque française a poursuivi avec constance depuis la  création de la zone euro une stratégie multidomestique de banque de proximité. C’est ainsi que BNPP a ajouté à sa base française une base italienne puis belge et que le Crédit Agricole a trouvé des relais de croissance en Italie et en Grèce. Le caractère récurrent des revenus générés par l’activité de banque de détail, la capacité à foisonner à partir de la gestion du compte chèque en multipliant les services offerts et au-delà à monter en sophistication ont fait de cette politique un classique. Le problème est que les derniers arrivés n’ont pu se développer que sur des marchés plus problématiques comme la Grèce. L’acquisition d’Emporiki par le Crédit Agricole (24 milliard d’euros d’engagement) a tourné au cauchemar et a motivé l’éviction de Georges Pauget. SocGen est pareillement en difficulté avec Geniki. De plus la crise actuelle n’est que le premier acte d’une crise rampante : l’économie grecque qui est déjà stagnante va subir un choc récessif du fait des mesures très strictes du plan UE/FMI. La violente contraction de la demande interne publique et privée, le faible soutien à attendre de la demande externe vont à la fois ralentir l’activité bancaire et dégrader la solvabilité des entreprises et des ménages. Au total l’exposition de la France du fait du contrôle de banques grecques est donc triple : d’abord un risque liée à la détention de la dette souveraine grecque par des banques locales , ensuite, un risque lié à la dégradation des conditions économiques en Grèce suite au plan d’austérité et enfin un risque de « bank run » de la part de déposants qui peuvent vouloir protéger leurs dépôts contre le risque du retour au drachme.

La finance française est également exposée à travers les portefeuilles de titres constitués pour le compte des épargnants par les gestionnaires de fonds collectifs. On le sait les Français ont fait de l’assurance vie le vecteur principal de leur épargne financière. Or les supports de contrats d’assurance vie sont essentiellement placés en obligations libellées en Euros. La dette grecque est donc présente dans le portefeuille des épargnants français. La moindre exposition des Français au placement action leur a évité le choc des crises passées (krach de la nouvelle économie, des subprime…) elle ne leur évitera pas le coût éventuel d’un défaut partiel sur la dette grecque. Les estimations varient sur l’importance de cette exposition, on parle de 20 milliards d’euros ce qui en cas d’une décote de la dette de 30% signifierait une perte de 6 milliard d’euros (S&P estime qu’en cas de défaut de la Grèce la perte pourrait être de 50 à 70% de la valeur de la dette). Mais les épargnants ne sont pas seuls à détenir de la dette souveraine, les assureurs doivent aussi en détenir sauf à imaginer qu’ils se soient désengagés quand la dette grecque a commencé à être dégradée. On sait en effet que les assureurs ne peuvent détenir dans leurs réserves techniques des dettes dégradées.

La finance française est exposée aussi au travers de banques qui comme Dexia se sont aventurées dans un jeu perdant sur des arbitrages de taux : elles empruntaient court et plaçaient long. La constitution d’un portefeuille de 150 milliards d’euros d’obligations financées par des ressources levées sur le marché monétaire et qui avait déjà mis Dexia au bord du gouffre en septembre 2008 risque à nouveau de fragiliser cette société en cas de défaut grec et pire encore en cas de contagion aux pays du sud de l’Europe. D’après certaines estimations Dexia pourrait perdre jusqu’à 35% de son actif net.

Enfin les excellentes performances des activités de marché des grandes banques comme SocGen et BNPP, nourries par une rivalité pour le leadership sur les produits dérivés, ne peuvent pas ne pas avoir conduit à des prises de risques dont on ne découvrira que plus tard les implications. Quelle est l’ampleur des prises de position sur le marché des CDS sur dette souveraine, comment ont-elles évolué dans la période d’extrême tension qui vient de s’achever ? Faut-il rappeler que SocGen avait été très actif face à AIG sur le marché des CDS et qu’il en avait tiré grand profit ? L’absence d’information dans ce domaine comme dans le reste nous conduit ici à mentionner le risque plus qu’à l’estimer.

Entrées tardivement sur un marché grec qu’elles croyaient plein de promesses en prenant le contrôle de banques peu performantes, les banques françaises héritent de leurs engagements et sont donc en risque en cas de défaut sur la dette souveraine et de dégradation de la conjoncture économique. Pire encore le risque de défaut étant contagieux les banques françaises s’exposent à la fois à des fuites de déposants en Grèce et à des pertes encore plus importantes sur leurs actifs dans les autres pays méditerranéens. Comme par ailleurs elles ont un problème spécifique de fonds propres, il n’est pas excessif de considérer qu’on a célébré trop tôt leur rétablissement.