Européens, encore un effort ! edit

14 octobre 2008

Deux problèmes demandent aujourd’hui à être traités en priorité : l’érosion des bases de capital des banques, et le fonctionnement du marché interbancaire. Si les banques centrales ont agi d’une façon concertée, en revanche les Etats ont donné le spectacle de leurs dissensions. Celles-ci ont-elles vraiment disparu ?

Le système bancaire et la finance de marché apparaissent aujourd’hui paralysés : pas de marché interbancaire, les banques ne se refinancent plus entre elles mais font appel à la banque centrale dont elles relèvent afin d’obtenir des liquidités pour leurs opérations courantes, pas de marché du crédit, pas de marché à terme… les banques ne se font plus confiance et, de peur de voir leur contrepartie faire faillite, elles préfèrent ne plus se prêter et n’interagir qu’avec la banque centrale.

Que s’est-il passé ? Les actifs utilisés par les banques pour se financer à court comme à plus long terme, comme ceux inscrits dans leurs bilans, n’ont plus de prix. Ces actifs étaient pour une grande part adossés au marché immobilier américain, qui s’est effondré. Et comme ces actifs sont des compositions de différents types d’actifs et d’emprunts immobiliers américains, il n’est pas possible d’estimer directement leur valeur et donc leurs prix. Les banques ne peuvent donc plus s’en servir comme gage d’emprunts, et ont vu leur ratio de capital s’effondrer. La crainte de voir une ou plusieurs d’entre elles faire faillite, sans véritablement évaluer la vulnérabilité relative de chacune d’entre elles (en l’absence d’exposition claire et transparente de leurs bilans) a alors conduit les banques à cesser de se prêter entre elles. Sans ressources, les banques cessent alors également de financer l’économie, ne prêtant plus ni aux entreprises, ni aux consommateurs.

Face à ce double problème, liquidité et érosion de la base de capital des banques qui peut éventuellement les rendre insolvables, les autorités publiques sont intervenues de deux façons : les banques centrales ont prêté massivement de la liquidité aux banques d’une part, se substituant au marché interbancaire, et les gouvernements ont injecté du capital dans les banques pour renforcer leur base de capital et éviter des faillites et un risque systémique d’autre part. Enfin, pour rassurer les déposant, consommateurs comme entreprises, les Etats ont étendu la garantie des dépôts. Au total, la liquidité fournie par les banques centrales atteint des sommes astronomiques, et les injections de capital commencent à coûter cher aux finances publiques. On peut ainsi estimer qu’avec le Plan TARP c’est plus de 1000 milliards de dollars qu’engageraient les Etats-Unis ; si l’on cumule les plans européens que l’on connaît à ce jour, on arrive à 1445 milliards d’euros de garanties et 350 milliards d’euros d’injection de capital. En effet cette semaine les gouvernements européens présentent des plans alignés sur celui du Royaume-Uni : les Etats se portent garants non seulement des déposants, mais aussi des prêts interbancaires et/ou de prêts bancaires aux entreprises. Au total, ces garanties représenteraient des sommes colossales si elles venaient à se matérialiser.

Ces solutions ne peuvent qu’être temporaires : le marché interbancaire doit se remettre à fonctionner pour que les banques se prêtent entre elles à un niveau de taux raisonnable et puissent à nouveau offrir des crédits aux investissements des entreprises et des ménages. La base de capital des banques doit être solide pour assurer leur solvabilité, c’est-à-dire leur capacité à rembourser leurs emprunts et émettre des crédits. Les solutions efficaces doivent donc viser à remettre en état de marche le marché interbancaire (et donc à restaurer la confiance des banques entre elles), et permettre aux banques de stabiliser leurs ratios de capital, qui sont les garants de leur solidité. Dans ce cadre, deux approches ont été proposées, le Plan TARP aux Etats-Unis et le Plan de Gordon Brown au Royaume-Uni, dans la lignée duquel s’inscrivent les plans européens.

Le TARP vise à atteindre le double objectif de stabilisation des bilans bancaires et de re-créer de la liquidité sur le marché en fixant un prix plancher aux actifs adossés sur l’immobilier. L’idée sous-jacente est que, une fois ce prix plancher fixé, un marché de ces actifs pourra se remettre en place, le cercle vicieux de dévalorisation des actifs par des ventes brutales et désespérées étant stoppé. La tâche est difficile car le succès du plan dépend de deux conditions : que les banques se résignent à vendre leurs actifs à l’Etat et non pas au marché, et que l’immobilier cesse de chuter. Les banques ne se résigneront à vendre ces actifs à l’Etat que si elles espèrent un meilleur prix que celui du marché, ce qui aura nécessairement un coût élevé. En outre, les prix de ces actifs ne seront véritablement stabilisés que lorsque les prêts immobiliers cesseront de faire défaut et que les emprunts pourront à nouveau être considérés comme viables. Or il se pourrait que la correction immobilière se poursuive encore un moment aux Etats-Unis. Enfin, l’impact de ces ventes sur leur bilan ne sera pas positif : les bilans seront certes « nettoyés » des actifs « toxiques » mais la base en capital sera réduite, ce qui diminuera d’autant le bénéfice de s’être débarrassé de ces actifs.

Toujours dans ce même cadre, le plan anglais, par ses deux étapes, a l’avantage de s’attaquer aux racines du mal plutôt qu’à ses symptômes. La première étape vise à reconstruire le bilan des banques en leur demandant d’augmenter leur base de capital Tier 1 c’est-à-dire « de qualité ». Les banques peuvent augmenter leur capital soit en levant des fonds sur le marché, soit auprès du gouvernement si nécessaire. Le gouvernement anglais a mis 25 milliards de livres à disposition des banques anglaises à cet effet (une autre tranche du même montant pourrait suivre). Cette première étape a le mérite de renforcer la base en capital des banques, ce qui rassure sur leur solvabilité. C’est un pas vers la résolution du problème numéro 1, l’érosion des bases de capital. En seconde étape, et après cette augmentation du capital, les banques pourront emprunter auprès d’autres banques avec une garantie du gouvernement : c’est le marché inter-bancaire qu’on remet ainsi en marche, et donc un grand pas vers la résolution du problème de liquidité. La garantie des prêts interbancaires s’élève à 250 milliards de livres.

C’est dans ce contexte que la baisse des taux coordonnée devient intéressante. En elle-même, cette baisse aurait peu d’impact (autre que psychologique pour rassurer les marchés que les banques centrales sont sensibles à leur problème), puisque le problème n’est pas le taux des banques centrales, mais les taux auxquels les banques se prêtent qui ont atteint des niveaux pharamineux reflétant le manque de confiance des banques entre elles. Les banques ne prêtent qu’au taux le plus élevé possible pour se prémunir contre un éventuel risque de défaut. En revanche, si la confiance des banques entre elles se rétablit, et donc que le marché inter-bancaire fonctionne de nouveau, les taux auxquels se prêtent les banques vont baisser pour converger vers les taux directeurs des banques centrales (c’est-à-dire les taux auxquelles les banques se refinancent) comme dans une situation normale ; dans ce cas on aura rétabli le mécanisme de transmission de la politique monétaire. La baisse des taux est alors l’instrument de politique monétaire qui permet de lutter contre le ralentissement, la récession économique dans laquelle les économies s’enfoncent.

Alors que les banques centrales ont tout au long de cette crise été admirables de coordination à travers le monde (la dernière action a fait intervenir les banques des pays du G7 mais également d’autres pays), on ne peut dire la même chose des gouvernements. Les Américains ont proposé aux Européens de les suivre avec un équivalent de leur plan TARP, sans succès. La première action européenne a été celle de l’Irlande, de garantir les dépôts de six de ses banques, créant ainsi une distorsion de la concurrence au sein des banques européennes. Le mini sommet européen du 4 octobre s’est soldé par un quasi échec, son résultat principal ayant été de reconnaître à chaque Etat membre la possibilité de sauver ses banques de la faillite dans le cadre légal défini par les autorités de concurrence européenne et les critères de Maastricht, les deux prévoyant des dérogations en cas de circonstances exceptionnelles. A la décharge des gouvernements, face à la menace de faillite de banque transfrontalière, un accord a été rapidement trouvé, même si des dissensions sont apparues par la suite.

Il aura fallu attendre une semaine supplémentaire de tourmente sur les marchés et un sommet du G7 pour que l’eurogroupe trouve une position commune : celle-ci consiste à favoriser une solution « à l’anglaise » pour résoudre la crise financière. « A l’anglaise » dans le sens où les deux étapes de fond du plan anglais sont respectées : les banques doivent tout d’abord améliorer leur base de capital (avec de l’argent ou une garantie publique), puis elles auront accès à la garantie de l’Etat pour les prêts interbancaires et/ou bancaires aux entreprises nécessaires à leur refinancement. La convergence des pays de l’eurogroup vers une position commune est à saluer. Il reste maintenant à voir si la convergence se manifeste en pratique. Ainsi il semblerait qu’à ce jour l’Espagne, le Portugal, les Pays-Bas s’alignent sur le modèle britannique. En revanche les Français n’accorderaient pas directement la garantie de l’Etat aux prêts interbancaires mais à un véhicule spécifique auprès duquel les banques pourraient se refinancer. La logique de fond est alors différente : la solution palliative d’une chambre de compensation, d’une BCE aux capacités de prêts de liquidité est étendue. Si cette approche devrait en théorie permettre aux banques de prêter de nouveau aux entreprises, elle ne contient en revanche pas d’incitation pour le marché interbancaire à refonctionner. Il reste à voir ce que les autres pays – notamment l’Allemagne – vont décider de faire pour bien comprendre si la crise trouve enfin une solution. Il restera ensuite à repenser la réglementation bancaire..