La faiblesse de l'inflation découle-t-elle de la globalisation ? edit

30 avril 2007

L'inflation n'est plus ce qu'elle était. Aux alentours de 2% dans les pays développés, elle a chuté de 50% à 5% dans les pays en développement. Elle est moins persistante : les perturbations telles que la hausse des prix du pétrole se résorbent plus rapidement. Enfin, elle est moins sensible au cycle économique. Le phénomène est mondial, mais cela ne signifie pas que c'est un résultat de la mondialisation.

Certains affirment parfois que la concurrence renforcée par la mondialisation contraint les producteurs à absorber les hausses éventuelles des coûts de production et, de ce fait, modère l’inflation. Il n’est certes pas impossible que, pendant une période transitoire, les prix des biens exposés à la concurrence internationale baissent relativement à ceux produits dans des industries plus protégées. Mais cela signifierait que les entreprises placées ainsi en situation très concurrentielle opèrent avec des marges durablement très basses, ce qui les oblige à répercuter dans leurs prix toute hausse de coûts pour éviter de se retrouver en faillite. L’explication ne tient donc pas, d’autant plus que davantage de concurrence devrait rendre les prix plus réactifs, ce que contredit la moindre sensibilité de l’inflation aux cycles conjoncturels.

Un autre argument qui entend établir un lien entre mondialisation et inflation part du constat que les prix des produits importés baissent tendanciellement, d’environ 1 point par an, par rapport à la moyenne des prix. Il s’agit, là encore, de ne pas se tromper de diagnostic. Cet effet provient, pour l'essentiel, d’un effet de structure, dans la mesure où les produits importés sont surtout des produits industriels et les prix moyens surtout des prix de services. La baisse relative des prix industriels est une manifestation de la désindustrialisation, à laquelle la mondialisation ne contribue que partiellement. Celle-ci explique pourquoi une partie de la production de biens industriels à faible valeur ajoutée migre vers les pays en développement mais c’est le progrès technologique, structurellement plus rapide dans l’industrie, qui joue un rôle prédominant dans la baisse des prix industriels.

Pour comprendre la baisse généralisée de l’inflation, il faut revenir aux bases. Bien que le lien entre monnaie et inflation ait changé, dans le long terme, c’est toujours l’évolution de la masse monétaire qui détermine l’inflation. Dans les années 70, le taux de croissance annuelle de la masse monétaire des pays de l’OCDE excédait celui du PIB réel de 10% en moyenne, d’où un rythme d’inflation de 9,6% par an. Depuis le milieu des années 90, la masse monétaire croît au rythme de 3% l’an et l’inflation est de 2%.

L’idée que la mondialisation puise peser sur l’inflation est erronée car elle ne fait pas la distinction entre prix relatifs et prix nominaux. Lorsque les prix des vêtements baissent, ils baissent relativement aux prix d’autres biens et services. Mais cette baisse relative est compatible avec n’importe quel taux d’inflation, qui reste déterminé par la politique monétaire. Par exemple, si le taux d’inflation est 3% et que le prix des vêtements reste constant, leur prix relatif baisse de 3%. Il en va de même lorsque le prix des vêtements augmente de 10% pendant que le niveau général des prix augmente de 13%.

Cela dit, la baisse des obstacles au commerce combinée à l’entrée de pays émergents sur le marché mondial a un effet direct sur l’écart entre la hausse des prix à la consommation et celle des prix à la production dans les pays développés. Est-ce donc une source de moindre inflation ? Oui, mais très peu. L’accroissement des importations en provenance des pays en développement est, en moyenne et par an, de 0,15% du PIB des pays développés. Même si les prix de ces importations étaient huit fois plus bas que ceux des biens équivalents produits dans les pays riches, l’effet sur le prix à la consommation resterait minime, de l’ordre de 0,3% par an.

On en revient donc toujours à la politique monétaire. Les Banquiers centraux ont beaucoup appris des erreurs des années 70. Ils ont tous réalisé qu’il n’y a pas de bénéfices à long terme à tolérer un niveau d’inflation élevé et, au contraire, qu’une croissance équilibrée passe par un faible niveau d’inflation. L’indépendance des banques centrales a fortement contribué à la crédibilité des autorités monétaires. L’accent récent mis sur la transparence de la communication renforce ce phénomène en réduisant l’incertitude, tandis que l’amélioration des outils de suivi de l’économie permet une plus forte réactivité des banques centrales, ce qui contribue à limiter la persistance de l’inflation.

Malgré tout, il existe une relation positive entre l'évolution des prix relatifs des importations et celle de l’inflation. Les estimations indiquent que le commerce international contribue au faible niveau d’inflation, mais cette contribution est d’ampleur limitée, de l’ordre de 0,2-0,3 point de pourcentage par an. Toutefois, en raison de la résistance des prix à la baisse, l’effet est sans doute asymétrique : une hausse importante des prix importés a de fortes chances d’entraîner une augmentation de l’inflation.

Quels sont les risques d’erreur sur ce diagnostic largement partagé par la profession ? Tout d’abord, il faudrait mieux tenir compte du rôle de la globalisation financière. De plus, la fragmentation croissante des processus de production modifie profondément la structure des économies et altère vraisemblablement la dynamique de l’inflation. Dans la mesure où ces nouvelles formes de concurrence et les délocalisations nourrissent la modération salariale, il est possible qu’elles bloquent la vielle spirale inflationniste qui allait des hausses de salaires vers les hausses de prix et le besoin perçu par les banques centrales de valider ce cercle vicieux pour éviter des récessions. La modération salariale explique aussi la quasi-disparition des effets dits de second tour, les hausses de salaires qui suivaient et amplifiaient les hausses de prix des produits importés, tels que le pétrole. Enfin, au niveau mondial, l’émergence de grandes puissances économiques signifie qu’un contingent massif de ressources jusque-là sous-utilisées – par exemple la main d’œuvre chinoise – participe désormais au marché mondial et contribue – mais dans quelle mesure ? – à la conjonction de politiques globalement expansionnistes sans tension marquée sur les prix. Gageons cependant que la meilleure compréhension du phénomène inflationniste demeure l’explication la plus solide.