Quelle transition énergétique pour l’Algérie à l’horizon 2030? edit

28 juin 2019

Depuis 2008, la compagnie pétrolière Sonatrach et ses associés étrangers n’ont pas fait une seule découverte significative de pétrole et de gaz. Pour de nombreux experts, le « Peak Oil » se situerait entre 2035 et 2040. L’Algérie sera alors peuplée de 55 millions d’habitants.

C’est à partir de 2011 seulement que la transition énergétique devient une priorité pour le gouvernement algérien. Des raisons macroéconomiques et sociales y conduisent : ressources limitées en eau, en superficies agricoles, concentration des populations dans le Nord du pays, engagements internationaux sur le climat qui deviendront contraignants à partir de 2021. La transition de l’Algérie vers un nouveau modèle énergétique est consacrée par le Programme de développement des Énergies renouvelables (Enr) ainsi que par un ensemble de mesures incitatives, enfin l’impératif d’instaurer l’efficacité énergétique. Toutefois, l’Algérie a pris un certain retard dans la mutation de son modèle énergétique qu’elle ne pourra combler qu’en mobilisant un surcroît de moyens humains, technologiques et financiers.

Le Programme de développement des Enr

C’est à partir de février 2011, que le gouvernement algérien décide d’engager l’ensemble du pays sur la voie des Enr, non seulement pour apporter des réponses globales aux défis posés par les changements climatiques mais aussi pour préserver le potentiel des énergies fossiles (gaz notamment) dont la valorisation sur le marché international procure des devises pour la consommation de sa population et son propre développement économique.

Ce programme a été révisé en 2015, avec pour finalité, une capacité installée  de 22 000 MW à l’horizon 2030, ce qui en production devrait représenter 27% du mix énergétique global. La mise en œuvre de ce Programme doit permettre à l’Algérie de se positionner comme un acteur majeur de la production de l’électricité à partir des filières photovoltaïque et éolienne, en intégrant la biomasse, la cogénération, la géothermie et vers 2025, le solaire thermique. Il faut savoir qu’en Algérie le potentiel en Enr est essentiellement porté par le solaire. Aussi bien, la stratégie conçue par les pouvoirs publics, à travers essentiellement le Ministère de l’environnement et des Enr et le Ministère de l’énergie dont relèvent les deux groupes industriels impliqués dans la transition (Sonatrach et Sonelgaz) est de développer une véritable industrie des Enr, associés à un programme de formation et de capitalisation des connaissances. Il permettra d’employer utilement les ressources disponibles localement, notamment en matière d’engineering et de management de projet. Grâce à ce programme, plusieurs milliers d’emplois directs et indirects pourront être créés chaque année (6000 à partir de 2021).

Les mesures financières incitatives

Le gouvernement algérien a dû adopter une série de mesures qui visent la promotion des Enr, à la fois en légiférant sur la matière (deux lois ordinaires spécifiques et des dispositions spéciales insérées dans trois lois de Finances annuelles), trois décrets exécutifs et cinq arrêtés interministériels. Il s’agit également de mettre en place des institutions dédiées au financement de la transition, à l’instar du Fonds national pour la maitrise de l’énergie par les Enr et la cogénération qui est alimenté à hauteur de 1% du montant de la redevance pétrolière et du produit de certaines taxes.

Le soutien du gouvernement comporte deux volets : les installations raccordées au réseau électrique et les autres situées à l’extérieur du réseau.

Pour les installations raccordées au réseau, l’aide de l’Etat consiste à garantir le tarif d’achat, autrement dit les producteurs d’Enr vont pouvoir bénéficier de tarifs qui leur permettront de rentabiliser leurs investissements sur une durée d’éligibilité de 20 ans pour le solaire et l’éolien et de 15 ans pour la cogénération. Par ailleurs, les surcoûts engendrés par ces tarifs seront supportés par le Fonds national pour les Enr et la cogénération (FNER) instituée par la Loi de Finances pour 2010.

S’agissant des installations photovoltaïques et éoliennes qui sont hors réseau électrique, ainsi qu’en matière de géothermie, le FNER est autorisé à financer des projets d’installation de ces sources d’énergie pour promouvoir tous les types de partenariat (public/ privé, national/ étranger).

D’autres mesures ont été adoptées, comme l’acquisition et la mise à disposition de terrains éligibles à l’implantation de centrales d’Enr, l’obligation pour l’Administration de délivrer aux investisseurs les autorisations et les agréments requis par la loi dans les délais les plus brefs, enfin, procéder à l’identification du potentiel d’Enr que recèle chaque région du pays.

L’efficacité énergétique

C’est indéniablement le point faible de la stratégie algérienne visant à se déprendre de la tutelle des sources d’énergie fossile. Cet objectif ne peuvent être atteints que si trois grands groupes d’acteurs jouent pleinement leur rôle : la puissance publique, les banques et les investisseurs. L’Etat, de son côté, doit veiller à la mise en cohérence des stratégies initiées par ses différentes émanations, les banques, surtout publiques, ont l’obligation de  surmonter leurs réticences à financer des projets d’efficacité énergétique, à l’instar de la fabrication des matériaux de construction absorbant les polluants atmosphériques (plâtre, mortier, béton architectonique). Quant aux industriels (à peine 15 PME au 31 décembre 2018 ont investi dans l’efficacité énergétique, avec des résultats non concluants), ils doivent prendre davantage de risques pour booster cette filière ; celle-ci ne peut objectivement se développer que si des partenariats intelligents avec des entreprises étrangères sont mis en place, autrement dit si la règle imposant que dans toute coentreprise avec un partenaire étranger, le national résident soit obligatoirement majoritaire, ne fût pas appliquée aux investissements dans les Enr. A cet égard, la promotion de l’efficacité énergétique dans le secteur industriel qui représente le quart de la consommation énergétique finale du pays, ne peut être concrétisée sans recours à l’expertise étrangère. Il ne suffit pas de s’engager à cofinancer des audits énergétiques et des études de faisabilité permettant aux entreprises algériennes de définir les solutions technico économiques les plus appropriées destinées à réduire leur consommation énergétique. Il ne suffit pas davantage de prévoir un cofinancement des surcoûts liés à l’introduction de l’efficacité énergétique pour des projets viables techniquement et économiquement. Il s’agit là de mesures volontaristes qui peuvent au mieux accompagner les changements projetés mais ne constituent pas le vecteur de la transformation énergétique. Par ailleurs,  La filière des Enr est d’autant plus stratégique qu’elle est porteuse de nombreuses opportunités pour les entreprises algériennes d’exporter de l’énergie propre vers les pays d’Afrique subsaharienne dont les besoins domestiques, agricoles et industriels sont en train d’exploser. Cette réalité aurait dû amener les décideurs algériens à définir le cadre le plus attractif qui soit pour les entreprises étrangères, notamment européennes : le cadre réglementaire est encore lacunaire, la mécanique des appels d’offres (désespérément obsolète), la réglementation des changes refondée (car conçue globalement pour un pays non demandeur d’IDE).

Former la ressource humaine

Le rôle de la recherche dans les Enr est crucial non seulement pour l’acquisition d’un savoir-faire conçu pour l’essentiel à l’étranger mais aussi pour l’adaptation des nouvelles technologies au contexte algérien dont les spécificités sont irréductibles. La recherche devait privilégier l’introduction puis le perfectionnement des principales techniques de climatisation solaire, notamment dans le sud du pays ; ultérieurement, s’approprier et de maitriser les techniques de rafraichissement solaire, afin de retenir le système le mieux adapté aux différents microclimats algériens. De nombreux projets pilotes devaient être lancés en 2013, mais aucun n’a encore vu le jour. Pour obvier à l’exode de la ressource humaine la plus qualifiée pour développer les Enr, c’est toute une politique de synergies positives entre l’Université, les Centres de recherche et l’entreprise qui doit être mise en place. Il y eu bien des velléités entre 2014 et 2017, mais aujourd’hui la dynamique marque le pas. Par ailleurs, le statut du chercheur dans les différentes spécialités rattachées à l’énergie est peu attractif financièrement. Enfin, les inconvénients du départ des compétences universitaires formées en Algérie ne sont pas atténués par l’existence de passerelles entre les centres de recherche installés à l’étranger où opèrent ces algériens et le tissu universitaire et entrepreneurial local.

L’état des lieux est donc très contrasté en 2019. Un certain discours, parfois fortement relayé par les médias et des personnalités politiques tendant à faire croire à l’intemporalité des ressources fossiles, est extrêmement démobilisateur.

Les engagements internationaux pour l’environnement restent peu contraignants

L’Algérie a adhéré à la Première Conférence des parties à la Convention de l’ONU sur le climat (COP), celle de Paris(2015) censée revêtir le caractère d’un accord contraignant et universel. Elle a également pris part aux COP 22, 23 et 24 et assistera à la COP 25 qui se tiendra à Santiago du Chili à la fin de cette année. Force est cependant d’admettre que le Droit international de l’environnement issu de ces instruments reste faiblement comminatoire. A l’instar des autres pays, l’Algérie subit le décalage entre les contraintes liées à l’immédiateté de l’action des pouvoirs publics (construire rapidement des  logements sociaux, ne pas bouleverser des activités industrielles au fort taux d’employabilité mais polluantes) et les exigences du long terme qui mettent à leur charge l’organisation d’un nouveau modèle de développement fondé sur la valorisation d’énergies propres. En conséquence de la labilité du droit international de l’environnement, seul l’accès des ONG à la justice internationale permettrait de faire condamner pécuniairement les États, à l’instar de l’Algérie, qui se soustraient à leurs obligations en matière de  développement des Enr, alors qu’ils y ont souscrits en toute souveraineté.